Il y a de ça presque un an déjà, et en réaction alors aux nominations de nos amis Béji Caïd Essebsi et Mbaza, respectivement chef du gouvernement et président de la république par intérim, je me permettais au détour de l’un de mes articles d’écrire cette phrase : « … Et je ne parlerai même pas de ces autres vieillards, à la santé et à l’élocution toutes deux chancelantes, et que l’on a ressortis de la naphtaline, à quatre-vingts ans passés, pour venir parler à la jeunesse des facebookers ! ». Le ton de ma phrase, faisant ouvertement allusion à l’âge des intéressés, pouvait paraître blessant, bien que ce n’était là nullement mon intention. Comme vous, chers amis lecteurs, j’étais élevé dans le respect des ‘’anciens’’. Notre culture, comme l’éducation ‘’à l’ancienne’’ reçue de nos parents, nous enseignent de telles valeurs.

Cet abus de langage n’était ainsi qu’apparent ; je ne m’en servais que pour exprimer un ressentiment de colère et crier à l’incompréhension. A mes yeux, comme ce devait être à l’époque le cas pour beaucoup de compatriotes, la nomination de Caïd Essebsi constituait tout à la fois un symbole de trahison et une insulte à l’intelligence. Trahison d’abord, pour l’histoire. Car ce monsieur, aussi respectable soit-il, aussi charmeur qu’il puisse paraître, était bel et bien un homme du passé. Si intimement associé à ce passé qu’il en devenait pratiquement l’un des acteurs indéboulonnables. L’une de ces figures avec qui une majorité de Tunisiens est née, grandie et vieillie ; le regardant, des décennies durant, se mouvoir au cœur du dispositif politique qui présidait au destin du pays (Bourguibisme et Bénalisme). Je ne m’étendrai pas ici sur ce passé, car bon nombre d’articles, et rien que sur nawaat, l’ont déjà fait, et de belle manière. Je vous recommanderai à ce sujet, si ce n’était déjà fait, d’aller lire l’excellent papier de Tahar Chegrouche daté du 7 février (article intitulé ‘’L’initiative de Monsieur Béji Caïd Essebsi : Ni destouriens ni bourguibistes, plutôt rcdistes’’).

Ainsi, et à titre d’exemple, c’est sous des gouvernements dont faisait partie « Si Béji », comme se plaisent à l’appeler tous ces nostalgiques du bon vieux temps, que des régions entières du pays s’étaient vues tout bonnement oubliées, spoliées de leur droit au développement. Et à ce titre, ne serait-ce que moralement, Si Béji, devait être pris pour responsable ; et, en conséquence, il n’aurait en aucun cas dû faire partie d’un gouvernement post-révolution qui se voulait l’incarnation d’un nouvel état d’esprit, et dont la mission principale était de faire basculer notre cher pays vers une ère nouvelle. Sa nomination, c’est aussi, disais-je, une insulte à l’intelligence. Car remettre quelqu’un de son âge aux commandes d’un pays dont la jeunesse venait de se révolter pour réclamer son droit à l’existence, c’était comme dire à cette jeunesse-là : ‘’C’est bien, t’as chassé le dictateur… Maintenant, tu peux te taire !’’ Et cela était tout simplement méprisant !

A ce même Caïd Essebsi, on peut aussi légitimement faire le reproche de n’avoir rien fait ou presque durant ses mois d’intérim. Ne quittant jamais son palais de la Casbah, et brillant par une absence d’action sur le terrain, tout comme à l’échelle des réformes (Police, Administration, Justice…). Certaines langues, mauvaises ou pas ( !), iront sans doute jusqu’à l’accuser, lui et son équipe, d’avoir profité, à la faveur du vide qui s’était fait, pour placer bon nombre de ses pions et disciples à différents postes de l’administration et des institutions étatiques, oeuvrant ainsi à ‘’savonner’’ le plancher à ceux qui allaient reprendre la succession.

Les défenseurs de Caïd Essebsi argueront sans doute, non sans une certaine justesse, que toutes ces critiques doivent être nuancées en se référant au contexte d’instabilité et de cacophonie de l’époque. Les élections du 23 octobre devaient alors venir mettre fin à toutes les polémiques et clore une fois pour toutes cet épisode de transition contestée, et qui n’avait que trop duré. Mais c’était sans compter, une fois encore, sur la témérité et la hardiesse de notre cher « Si Béji », qui, tel un diablotin habité par la bougeotte, n’entend toujours pas rendre les armes, ni s’avouer rassasié de pouvoir.

Ayant visiblement pris goût aux délicieuses séances de serrage de mains et à la luxure des palais, le revoilà alors candidat déclaré pour un tour encore ! Poussant le culot jusqu’à nous annoncer ces jours-ci la création de son propre parti (ce qui, en toute logique, devrait faire le 120ième parti autorisé !) ; en nous jouant une fois encore la rengaine, déjà maintes fois fredonnée par le passé, du retour aux valeurs du « Destour originel ». Omettant juste au passage de revisiter son acte de naissance pour s’apercevoir que des destouriens de sa génération, il n’en reste tout simplement plus beaucoup. Sa démarche ne devant servir à l’arrivée qu’à rameuter la horde de ces irréductibles rcdistes, qui n’ont rien de destouriens, et qui, nous nous en doutions bien, refusent toujours d’abdiquer et se rêvent d’un retour possible aux avant-postes du pouvoir… Ces mêmes Rcdistes que le peuple, et au prix de quel sacrifice, avait cru avoir chassés à tout jamais !

Le grand William Shakespeare n’était pas le premier à s’être crié que l’on pouvait être malade de pouvoir. Il ne devrait, hélas, pas être le dernier non plus. Monsieur Caïd Essebsi vient de lui donner la réplique ! Ne consentant visiblement toujours pas à aller se reposer, et restant, à bientôt quatre-vingt-dix ans, toujours accroché à son diadème d’homme politique comme le ferait un enfant pour son nounours. Baignant dans ses vieilles certitudes qui lui font miroiter qu’il a encore de l’avenir, et que la Tunisie a, encore et toujours, besoin de lui. Se refusant toujours à se regarder dans un miroir pour s’apercevoir que son Destour a vécu. Que le Bourguibisme a vécu. Que lui aussi a vécu… Que tout ça, c’est du passé. Et que nous, c’est bel et bien d’un avenir que nous rêvons.

Il convient évidemment de se garder de tout mettre sur le dos de notre cher Si Béji. Nous le savons tous, beaucoup parmi nos anciens Rcdistes ne l’ont pas attendu pour retrouver déjà un strapontin dans les sphères politiques. Bon nombre d’entre eux ont vite fait de retourner leurs vestes pour aller se fondre dans la masse des nouveaux adhérents aux différents partis politiques, Ennahdha en premier. Ceux-là, dans mon seul papier rédigé en arabe, je les ai nommés ‘’Islamiyou sabi7at al khamès 3achar’’ (traduit, ça donne : Les islamistes nés au petit matin du 15 janvier…). Ces caméléons changeant de couleurs au gré des paysages, je le maintiendrai toujours, sont, et de loin, la pire des espèces ! On me forcerait à faire un choix, j’opterais sans hésitation aucune de passer s’il le faudrait mille ans dans une cellule de prison en compagnie d’un salafiste, d’un Trotskyste ou qui d’autre que vous voudrez, mais pas avec un de ceux-là ! Pas eux, pitié !… Opportunistes-nés, seule l’avidité de pouvoir et l’appât de gain les guident. Et le mot ‘’morale’’ ne figure même pas dans leur vocabulaire… C’est à croire qu’ils aient ça imprimé quelque part dans leurs gènes !

Il y a de ça trois ans, j’ai connu l’un de ceux-là. Un peu par la force des choses, car il était le frère d’un ami. Avec un petit diplôme de rien du tout, et à doses répétées de failloterie et de cirage de pompes, il était parvenu à se hisser à la tête du secrétariat d’un grand ministère. Disposant ainsi d’un passeport diplomatique et de toute une garde prétorienne à son service… Un jour, je m’en souviens, alors que, naïvement, je venais voir s’il pouvait intercéder en ma faveur pour trouver du travail, un syndicaliste croisé par hasard à deux pas dudit ministère ne put s’empêcher de m’avertir : ‘’Méfie-toi de lui, il te vendrait pour un dinar !’’

Ayant connu l’énergumène en question, jusqu’à il y a un an, tout à la fois mythomane fanfaron, fonctionnaire corrompu, buveur de bière dans les salons de l’Africa, coureur de jupons –et autres sefsaris- dans les ruelles étroites de la vieille médina ; quelle ne fut alors ma surprise lorsque, croisé de nouveau il y a voilà quelques semaines dans l’une des rues de Tunis, me passant au nez presque méconnaissable, la barbe volontairement laissée en friche, habillé d’un drôle de djellaba à capuche rayé, un peu à la marocaine ! Faisant mine de se hâter pour éviter de s’attarder en ma compagnie, il me lança juste qu’il était en retard pour le ‘’darss’’ (leçon coranique) qui se donnait dans une mosquée non loin !… Partant m’attabler au café Dar zmen pour siroter tranquillement mon verre de thé à la menthe, le seul commentaire qui me vint à l’esprit cet après-midi-là, je m’en souviens encore, c’était celui-ci : ‘’Allah le tout puissant peut bien ramener sur le droit chemin qui veut de ses ouailles égarés, mais certainement pas lui. Pas ce type-là, je ne peux le croire !’’

O donc, petit peuple ! Mon si cher petit peuple… Puisse cet amour, qu’en toute modestie je prétends te porter, m’autoriser à te dispenser ce conseil : Méfie-toi ! Tout juste ça : Méfie-toi. Ne te fie plus ni aux sourires carnassiers des uns, ni aux discours racoleurs des autres ; mais sache les juger, les uns comme les autres, sur leurs seuls actes. Apprends donc, cher peuple, à aller regarder au-delà de la façade pour voir ce qu’ils cachent ; et, si tu veux, tu peux même aller lire dans leur cœur ! Ainsi, nul ne devra plus prétendre parler et agir en ton nom, sans que tu ne l’en ais toi-même jugé digne… Cela t’éviterait dans le futur de te laisser berner. Cela t’épargnerait le risque de t’endormir un jour, et de devoir amèrement constater au réveil que l’on t’a encore une fois vendu… pour 1 dinar !