Lettre ouverte au Cheikh Ghannouchi : Entrez dans l’Histoire en refondant la conception de la religion, pour un islam postmoderne, moins cultuel et plus culturel !
Honorable Cheikh,
Je vous avais déjà adressé une lettre ouverte dans la langue du Coran et, à la suite du souhait de Nawaat de la traduire à l’intention de ses lecteurs francophones, j’ai choisi d’en reprendre les thèmes dans une nouvelle lettre confirmant et étendant le propos de la première.
Dans le livre que vous avez édité récemment, vous avez résumé votre expérience politique, pointant notamment l’apport de votre mouvement à la pensée islamique contemporaine en Tunisie. Vous y avez souligné l’évolution majeure de votre lecture de la philosophie politique occidentale, passant d’une conception essentialiste marquée par le rejet total en tant que doctrine athée à un peu plus d’objectivité, vous amenant à un “refus relatif”, selon votre expression, soit à un rapport plus objectif.
Certes, si cette évolution est louable, car courageuse, elle n’est pas suffisante et en appelle une autre eu égard à la présence actuelle de votre parti aux commandes d’un pays où tout reste possible, le meilleur comme le pire.
Vos récentes déclarations, faut-il en convenir, sont venues confirmer les propos encourageants que vous tenez dans ledit ouvrage, ce qui est un gage supplémentaire pour ceux qui, comme moi, vous créditent d’une volonté sincère d’oeuvrer à une véritable révolution tout autant dans la structure de pensée du parti islamique que vous présidez que dans la conception de l’islam ainsi que de son approche et sa mise en oeuvre en Tunisie.
Mais, comme il y a loin des généralités — où l’on peut se complaire par commodité, — aux questions de détail qui fâchent et que l’on cherche souvent à éviter, je me permettrai de vous interpeller sur ces dernières, non pas par intention malicieuse de vous embarrasser, mais bel et bien pour l’envie de vous voir confirmer, avec l’audace qui vous est coutumière, votre réelle évolution sur les questions sensibles qui ne font pas moins partie de nos moeurs actuelles.
1 – Les retrouvailles avec l’identité ne sont point la répudiation d’autrui qui est cet autre soi-même, et c’est la première question délicate sur laquelle l’on doit s’accorder dès l’abord et sur laquelle vous semblez avoir évolué, mais pas toutes vos troupes.
Il est indéniable que la Tunisie aujourd’hui est étrangère dans sa propre culture, ignorante — sinon adversaire — de son identité. En cela, vous avez raison de dire que l’héritage de Bourguiba fut catastrophique, ayant sacrifié à une ouverture à tout va (bien que l’ouverture, en elle-même, fut un bien, une valeur sûre) les plus évidentes composantes de base de notre identité faite essentiellement de maîtrise de sa propre langue. Et il est inutile de dire à quel point l’aisance dans l’usage de sa langue maternelle influe sur le développement serein de la personnalité.
Or, comme l’identité arabe est intrinsèquement liée à sa dimension islamique à travers le Coran qui est la meilleure école aussi bien pour l’apprentissage de sa langue que la connaissance de sa culture, je suis le premier à appeler au retour de l’enseignement du Coran dans les écoles. Il nous faut, cependant, le faire comme une dimension culturelle et non seulement religieuse, laissant la question de la foi, qui relève des libertés individuelles, à la discrétion des intéressés, mais leur assurant la connaissance de leur religion en tant que culture et civilisation, et ce dans le cadre du service public de l’éducation nationale s’imposant à tous.
Cependant, il serait catastrophique, aussi bien pour la Tunisie que pour l’islam plus généralement, de vouloir, au nom des retrouvailles avec soi, répudier autrui, cet autre qui n’est que nous-même. D’ailleurs, outre l’attachement à son authenticité, le Tunisien tient à cette autre dimension essentielle de son être profond qui est son ouverture sur autrui, quitte à le faire quelque peu et s’il le fallait en consentant une certaine gêne pour soi.
2 – L’islam en Tunisie peut être postmoderne, renouant avec l’islam des Lumières et en étant rationaliste et universaliste. Or, dans votre livre, vous insistez sur votre capacité à vous remettre en cause et à tirer les leçons de vos erreurs que vous reconnaissez volontiers, comme celle qui fut un temps d’ignorer la spécificité islamique tunisienne ternaire, faite non seulement d’adhésion au rite malékite, mais aussi de la forte prégnance du courant rationaliste des disciples d’Al-Ashari et des préceptes soufis.
Or, d’une part, pareille tendance à accepter de se remettre en cause est une posture bien postmoderne! Et, d’autre part, aujourd’hui, en Tunisie, la conception de l’islam peut encore évoluer vers plus de scientificité et d’universalité. Et dans cette nouvelle étape, votre parti peut être le moteur du changement, son acteur majeur.
L’islam a été assurément moderne avant la lettre; ce fut ce que je nomme sa rétromodernité à laquelle renvoie l’ère postmoderne dans laquelle nous vivons. Aussi, en postmodernité, cet islam rétromoderne, déjà moderne avant la lettre, ne peut que l’être encore plus en se résumant à ce qui est essentiel dans son message.
En effet, au-delà de l’aspect cultuel, l’islam est rationaliste et universaliste. Sa scientificité lui vient de l’accent qu’il met sur la nécessité du recours constant à la raison dans le cadre de la saisine de l’esprit et de l’intention vraie de ses préceptes bien plus que de leur lettre et au-delà de leur formulation. Quant à son universalité, elle lui vient du fait qu’il ne renie pas les révélations précédentes, s’intégrant dans la tradition monothéiste judéo-chrétienne. De fait, l’islam est l’ultime Testament de Dieu à ses créatures après l’Ancien et le Nouveau Testaments, et il est plus juste de parler de tradition judéo-christo-musulmane pour tout croyant monothéiste se voulant objectif.
Par conséquent, l’islam postmoderne est cette soumission à Dieu (qui est l’exacte traduction du terme islam), laquelle soumission peut avoir une déclinaison judaïque, chrétienne ou musulmane, toutes agréant à Dieu dans le cadre d’une croyance en l’unicité divine, la condition majeure et même exclusive de toute croyance monothéiste. Il est aussi cette foi qui, dans le cadre de la reconnaissance de l’unicité de l’Être absolu, érige l’esprit humaniste de ses principes au-dessus de la littéralité de ses textes, n’hésitant pas à délaisser l’application d’un texte qui s’avère n’être plus aussi révolutionnaire qu’il le fut au temps de la révélation. Ce faisant, il ne s’agira pas d’être en harmonie avec le goût du jour, mais plutôt avec l’esprit même du texte religieux et surtout avec la suprême clémence et miséricorde divines.
Bien évidemment, ce rôle à reconnaître à la raison humaine amenant à ne plus appliquer certains textes ne concerne pas les dogmes essentiels de l’islam, ne touchant que son corpus juridique relatif à la politique de la cité, puisque l’islam est à la fois une religion et une politique. Ce faisant, on n’inventera rien, puisque déjà le calife Omar fut assez prompt à agir de même pour être en harmonie avec son temps ainsi qu’avec l’esprit de sa religion. C’est ainsi que l’on gardera aux règles islamiques leur intemporalité.
3 – La future constitution comme assomption de la postmodernité de l’islam doit être le but majeur de votre parti qui, avec son poids à l’Assemblée Constituante, sera en mesure de concrétiser cette conception novatrice de l’islam dans la constitution que l’on doit rédiger en y consacrant les libertés publiques, toutes les libertés publiques, sans exception et sans restriction aucunes. En les garantissant ainsi, l’islam prouvera à ses détracteurs qu’il est bien tolérant et humaniste, consacrant la dignité humaine à travers la reconnaissance de la liberté de l’homme et de la femme, ce que fut la manifestation de sa rationalité en des temps où les droits de l’Homme n’existaient pas encore, des temps où la loi suprême n’était pas celle du droit, mais de la force.
Sans attendre la rédaction de cette constitution, votre parti, au gouvernement comme à l’Assemblée Constituante, pourrait même annoncer la couleur en prenant des textes solennels de nature à assainir la situation fort troublée actuellement et ce en :
— pénalisant toute anathématisation de l’adversaire pour cause de ses idées, la liberté de pensée ne devant nullement constituer un blasphème;
— consacrant l’accès libre à Internet, y compris aux sites jugés indécents par vos troupes, aucune censure ne pouvant être décrétée sauf risque de trouble réel, avéré et prouvé de l’ordre public, mais décidé au cas par cas et sans y inclure les moeurs qui ne relèvent pas de l’ordre public, car relevant de la sphère privée;
— rejetant d’office toute action en justice ayant pour motivation manifeste une raison religieuse ou idéologique, évitant ainsi que l’islam et les idées et convictions en général ne soient instrumentalisés pour des causes partisanes, car notre religion universaliste et rationaliste a pour credo l’esprit fraternel et tolérant s’accommodant de toutes les différences et divergences en tant que libertés individuelles excluant toute intervention dans la sphère privative des personnes et ce dans la seule limite de la reconnaissance de l’unicité divine.
4 – L’islam a été et sera avant tout spirituel, le soufisme ayant souligné son haut degré d’humanité. Certes, le soufisme populaire a connu, comme tout mouvement ayant la faveur des masses, des manifestations aberrantes relevant du charlatanisme. Mais, ce ne fut pas le cas des premiers maîtres du soufisme qui étaient toujours de grands jurisconsultes imposant le respect pour leur piété et leur savoir immense, y compris dans les rangs des plus dogmatiques des musulmans.
Or, le soufisme islamique a déjà apporté la réponse à la question qui semble relever de la quadrature du cercle pour nombre de musulmans aujourd’hui, à savoir comment concilier l’esprit humaniste de l’islam, ses principes de liberté, de justice et d’égalité et le libellé de certains de ses versets, soit le caractère sacré de la révélation qu’on décrète trop vite intouchable devant rester figée à travers le temps et l’espace. En privilégiant l’aspect ésotérique du Coran à son donné exotérique, en tenant davantage compte de l’esprit que de la lettre des textes sacrés, les soufis n’ont fait que rappeler le sens original du sacré chez les Arabes, à savoir ce qui est supérieur, digne de respect et non ce qui ne doit pas être touché.
De plus, la dimension soufie dans l’islam maghrébin, et tunisien en particulier, est grande, ayant manifesté bien moins de déviance que dans les autres pays du Maghreb et le plus de proximité avec le soufisme pur des origines.
5 – La vérité en islam, pour peu qu’on y accède, se dit sans fioritures. Si l’islam postmoderne emprunte beaucoup à sa riche tradition spirituelle, il saura aussi tenir un discours rationaliste et universaliste en son essence, ne laissant nullement place à une quelconque langue de bois, la vérité y étant toujours dite sans recours à des détours, et ce même si elle heurte le bon sens apparent.
Il en est ainsi de la parole avérée du prophète dans un dialogue célèbre avec l’un de ses compagnons les plus réputés par leur piété et leur attachement à l’islam des origines : Abou Dhar, assurant que le credo d’unicité divine suffit au croyant pour entrer au paradis, et ce même s’il a par ailleurs violé des préceptes majeurs de l’islam en volant ou en forniquant, son attestation de soumission au Dieu unique rendant sa personne digne de respect dans son intégrité physique et sa dignité humaine, incluant sa liberté privée.
Qu’en sera-t-il aujourd’hui de votre position, alors que vous répétez à l’envi que la souveraineté appartient au peuple et que, dans ce peuple, il est des courants de pensée et de comportement ne cadrant pas nécessairement avec les préceptes de l’islam sans mener, loin de là, à renier le dogme majeur de cette religion qu’est l’unicité divine? Demanderez-vous à vos militants, à l’exemple du prophète qui demeure la référence absolue de tout vrai musulman, le respect de ces sensibilités, même si elles peuvent se révéler minoritaires dans le peuple dans la richesse de sa diversité? Vous alignerez-vous sur le bel exemple prophétique qui revient à reconnaître en l’homme, même croyant, la part du diable qui lui est inhérente?
À ce propos et pour être plus concret, mettant les points sur les i en usant de la méthode sociologique paroxystique, permettez-moi de vous prier de vouloir bien clarifier votre position sur les trois interrogations majeures et symboliques suivantes qui ne semblent pas avoir une même réponse, et en tout cas pas l’attitude la plus démocratique et la plus humaniste, chez certains ministres du gouvernement et députés de votre mouvance politique :
a) Votre parti anathémisera-t-il quiconque en Tunisie déclare ne pas croire en Dieu selon votre façon de le faire en le rejetant de la communauté nationale et/ou musulmane? Accepterez-vous que des Tunisiens musulmans puissent, par exemple, répudier l’islam sans encourir un décret de mise à mort ou d’exclusion de leurs droits de citoyens?
b) Votre parti s’engage-t-il à ne pas criminaliser l’athéisme ou à considérer inférieures les autres obédiences religieuses? Et, plus particulièrement, vous engagez-vous à abroger toutes les lois et tous les textes réglementaires anciens qui sont contraires aux libertés individuelles, celles-ci étant parties intégrantes des libertés publiques?
c) Votre parti considère-t-il la liberté sexuelle comme une liberté personnelle essentielle échappant à la sphère publique ou religieuse et admet-il le droit du garçon ou de la fille à des rapports homosexuels, si leur nature l’exige, sans pénaliser ou stigmatiser ce qu’on appelle inversion sexuelle, considérant cela comme un aspect essentiel des droits de l’Homme et abolissant toutes les mesures répressives en vigueur y relatives?
6 – La conception de l’islam en Tunisie sera refondée pour de bon si vous continuez à pousser vos troupes — surtout la jeune garde qui est, paradoxalement, la plus réticente à innover — à montrer plus d’audace pour aller dans le sens de l’histoire. Ainsi, comme EnNahdha a su, durant ses années de combat et de martyre — et vous le rappelez à juste titre dans votre ouvrage — s’abstenir de répondre à la répression par la surenchère à la violence, elle se doit aujourd’hui de ne pas prendre le prétexte de soigner “l’islam blessé en Tunisie” pour appliquer sur le corps apparemment malade de notre pays une recette inspirée par la revanche et qui ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois !
À ce propos, je tiens à noter ici ma conviction que si maladie il y a en notre pays, elle n’est certainement pas celle de ses couches profondes et qui comptent — soit ses femmes et ses hommes, toute sa jeunesse —, avides et pétillantes de vie, car ce sont juste les élites qui sont malades, atteintes de ce que j’ai appelé, dans un autre article ici même, un Alzheimer politique.
L’honneur de votre parti, le vôtre aussi en tant que théoricien de premier plan de l’islam du troisième millénaire et ce dans tout le monde arabe musulman, est de ne pas manquer le rendez-vous avec l’histoire qu’offre la situation actuelle en Tunisie aux musulmans pour rénover leur conception de la religion de Mohamed à la tête d’un siècle inaugurant un cycle nouveau pour l’humanité. En cela sera confirmé ce qu’avait prédit notre prophète, à savoir le renouvellement périodique de l’islam par ses hommes les plus illustres à chaque nouvelle période de cent ans.
Agissant ainsi, vous contribuerez activement à ce que ce cycle soit le nouveau grand siècle ou siècle d’or, non seulement pour l’islam seul, mais aussi pour l’humanité tout entière et ce par la préservation de l’esprit révolutionnaire de l’islam. Car la règle régissant la condition humaine reste le déclin de toute chose et son dépérissement en l’absence de travail de veille et de refondation incontournable le moment venu.
Or il est temps de refonder, non pas l’esprit de notre religion, qui reste intangible et éternel, valable pour tout temps, mais la conception humaine du support textuel qui le véhicule et qui a commencé depuis belle lurette à dater, en arrivant à vider l’islam de son originalité, contrariant même son message, que ne résume authentiquement que son esprit.
Pour spécifier en quoi consiste cette rénovation à laquelle je vous invite afin de faire partie pour de bon des grands hommes de la pensée humaine, rappelons d’abord que le prophète était un modèle de tolérance et demandons-nous si l’on doit être moins tolérant que lui? Ensuite, quand j’évoque l’attitude à rénover de l’islam à l’égard de l’homosexualité, par exemple, remémorons-nous que le prophète avait dans son entourage immédiat au moins un transsexuel autorisé même à approcher ses illustres femmes! Quant à la liberté d’accès au Net, interrogeons-nous si la censure n’était pas de la tartuferie, indigne d’une religion qui est la plus libre des religions en matière de moeurs, car en parlant directement et le plus humainement possible?
7 – La vertu ne s’impose pas par décret. Ainsi, s’agissant de la Toile, on peut y trouver de tout, certes, et surtout des horreurs; mais le plus horrible n’est-ce pas l’inconscience de certains jeunes parmi les Tunisiennes et les Tunisiens qui, poussés par leur désir irrépressible de liberté et leur soif d’absolu dans l’épuisement de leur être, se laissent le plus souvent inconsidérément aller à alimenter ses horreurs en étant abusés par des monstres dont le souci commercial tue en eux toute valeur morale, fermant trop rapidement les yeux, par exemple, sur les droits personnels de ces jeunes à leur image?
Or, mettre fin à ces horreurs ne consiste pas à les voiler aux yeux des intéressés et de ceux d’autres jeunes prêts à être les futurs pigeons des escrocs du Net, ce qui semble se faire encore, même si on clame publiquement l’absence actuelle de filtrage. Pour être efficace dans la poursuite d’un tel but, il importe de laisser libre l’accès à internet pour que les inconscientes et innocentes victimes sachent à quel point elles sont abusées et puissent éventuellement se retournent contre leurs abuseurs afin de faire prévaloir en justice leurs droits à leur image, pour le moins, sans évoquer l’éventuel abus de confiance découlant du détournement à des fins mercantiles de ce qu’ils pouvaient considérer comme un jeu innocent devant rester privé.
En effet, un accès libre à l’internet, malgré ses horreurs pour les âmes sensibles et les mineurs (et qui peuvent être voilées par les parents, dans le cadre de leurs responsabilités propres, et ce grâce à des logiciels dédiés), est la garantie que les inconscients et inconscientes de notre jeunesse soient d’abord mis en face de leurs turpitudes éventuelles (à supposer qu’elles le soient) et, si elles les jugent telles une fois leur folie commise, la certitude qu’elles seront d’elles-mêmes amenées à s’abstenir d’y participer à l’avenir.
Or, tant que la censure et l’interdiction sont de règle, leur comportement, combien il serait de la folie, continuera à relever du jeu à leurs yeux, sans la moindre conscience des esprits malsains qui en tirent avantage. Et ceux-ci, à la faveur de la censure qui devient de la sorte leur complice indirect, se verront ainsi encouragés à continuer impunément leurs basses oeuvres, leurs victimes restant dans l’ignorance de ce qu’on fait de leur image comme usage abusif, pénalement répréhensible.
De plus, pareille censure, comme on le sait pertinemment, n’agit que sur la conséquence, l’effet, ignorant la cause de ce qui peut être jugé répréhensible. Or, l’islam que nous voulons en Tunisie est un islam de personnes libres, conscientes de leurs actes et les assumant. Ainsi, voulons-nous des citoyens qui ne versent pas dans l’immoralisme, s’abstiennent d’aller sur les sites pornographiques ou de participer à en alimenter la matière et ce par une pleine conviction, par un acte totalement libre et non par défaut ou par obligation, n’ayant point la liberté ou la possibilité de faire autrement. La vertu, la vraie, ne s’impose pas par décret, ou alors elle n’est qu’apparence trompeuse; or, l’islam condamne pareil comportement, car viciant la pureté de l’intention qui doit primer la forme de tout acte dans la vie du véritable croyant.
L’islam que nous appelons de nos voeux en Tunisie, et que vous pouvez grandement aider à ce qu’il y soit instauré, ne doit pas être une croyance par défaut, celle d’automates sans cervelle ni libre arbitre, mais une foi par conviction d’êtres libres, car n’étant soumis qu’à leur créateur avec qui ils entretiennent un rapport direct,serein et sans intermédiaires.
Il s’agit là d’un haut degré de spiritualité, et c’est en toute liberté que l’on y parvient! Et la liberté, surtout dans le domaine des moeurs, est un antidote aux excès, aux dérives qui donnent ces infractions si nombreuses dont sont coutumiers nos tribunaux et qui, pour une grande part, ont pour origine la misère sexuelle marquant la vie de nos concitoyens et pour laquelle une liberté tous azimuts ne fera qu’apporter un peu plus d’ordre et de calme, la sérénité nécessaire agissant sur les frustrations et les névroses en découlant.
Ainsi sera rééquilibrée la vie émotionnelle perturbée de nos jeunes et moins jeunes dont l’élan vital sera ainsi rationalisé et canalisé, et non plus brimé comme il l’est aujourd’hui, ce qui ne fait qu’augmenter le déséquilibre de la personnalité dont souffre tout Arabe, en Tunisie y compris, bien que ce soit à un degré moindre. Or cela vient justement de la vitalité qui y est prégnante sous forme d’inclination permanente à la liberté du Tunisien à travers une envie de vivre remontant à la nuit des temps sur cette terre, magnifiée de la plus belle manière par son plus célèbre poète en une volonté irrépressible et irrésistible.
8 – La postmodernité étant spirituelle, l’islam doit passer du niveau basique du cultuel au niveau suprême du culturel. C’est la destinée du fait religieux en postmodernité d’être spirituel avant tout, et l’islam en est le prototype eu égard à ses qualités intrinsèques aussi bien techniques, faites de plasticité, de souplesse et de simplicité du dogme, que du fait de son esprit d’humanisme, de tolérance et d’attachement à la liberté de l’Homme comme la constante anthropologique de sa dignité. De la sorte, l’islam postmoderne sera inévitablement et indubitablement une religion universelle, le Testament ultime d’Allah à ses créatures, le prophète Mohamed ayant été le sceau d’une révélation judéo-christo-musulmane.
Et il le sera grâce à son fondement rationaliste qui privilégie l’esprit des textes à leur lettre, l’intention toujours noble et tolérante aux préceptes qui, du fait qu’elles touchent la condition imparfaite de l’homme et ses déclinaisons mouvantes, ne peuvent que relever du regard des hommes dont le jugement doit s’éclairer de l’exemple divin. Or, cet exemple est éloquent dans la nécessité de recourir à la raison, de s’adapter aux circonstances, de satisfaire aux moeurs, à toutes les tendances pouvant exister dans la nature humaine quitte à défaire ce qui pouvait paraître parfait à un moment, tant que cela ne concerne pas un dogme de la foi impliquant un rapport de la créature avec son créateur. Et Dieu le montre de la façon la plus éloquente à sa créature, usant de la technique de l’abrogation, comme pour l’inviter à s’en inspirer pour ce qui relève de sa vie sur terre en dehors de son rapport avec son créateur.
Ainsi, en Tunisie et grâce à votre parti, pourrait être apportée la preuve que l’islam a été et est effectivement ce qui est le mieux pour l’Homme, non seulement en tant que religion, mais aussi en tant que politique pour une cité humaine faite d’hommes et de femmes, certes imparfaits, mais évoluant toujours vers plus d’élévation et d’unité parfaite de leur être pour une condition meilleure d’unité où le spirituel domine le matériel et le spiritualise.
De cet islam, la Tunisie s’honorera; et pas seulement la Tunisie, car il sera le modèle spirituel et politique qui s’exportera aussi facilement que s’était étendu le message islamique à son apparition sur la terre, quand il était une révolution dans tous les domaines, répondant à une soif normale d’évolution de la mentalité et de la condition humaines.
Un tel islam, encore en avance sur son temps ainsi qu’il le fut à ses origines, incarnera à merveille la scientificité et l’universalité en postmodernité par une approche renouvelée, le faisant passer de son aspect culturel, qui ne concerne que le croyant et ne relève que de sa sphère privative, à son aspect culturel, socle d’une brillante civilisation passée et une culture encore plus brillante à venir. Et cet islam-là ne saura être qu’une civilisation (qui a déjà été) et une culture (qui sera aussi) très respectueuses de toutes les libertés et des droits de l’Homme sans restriction aucune, permettant à tout un chacun, pour peu qu’il croie en un Dieu suprême, pour peu qu’il se sente soumis uniquement à cet Être supérieur qui est tout amour, clémence et miséricorde, de proclamer haut et fort sans risquer d’être contredit : je suis musulman!
Et alors, honorable cheikh, une bonne part du mérite d’une pareille nouvelle révolution de l’islam en son message toujours le même et toujours renouvelé et qui constituera un véritable nouveau tournant dans l’histoire de l’humanité, reviendra à votre mouvement qui aura été capable de faire montre de clairvoyance quand il le fallait.
Car, de cette clairvoyance dépendra le sort de la Tunisie qui, si elle doit rester toujours musulmane, ne le sera que comme un modèle du genre et jamais comme cet État dont rêvent certains de vos jeunes militants et leurs caricatures intégristes, où l’islam est voulu sinon obscurantiste du moins quelconque, vidé de son originalité, son essence même.
Honorable cheikh,
C’est là le défi de l’avenir que vous avez aujourd’hui le moyen de relever et de gagner pour l’intérêt bien compris de votre parti et, surtout, pour l’honneur de l’islam et l’avenir de la Tunisie et même de l’humanité tout entière. Il ne s’agit de rien de moins !
La loi du genre humain, demain, sera celle de la fraternité, ou encore de l’affrérement, son synonyme moins galvaudé, selon le terme plus éloquent que l’on doit au sociologue de la postmodernité qu’est Michel Maffesoli. Ce qu’on attend de vous, c’est juste de faire en sorte que cette fraternité, actuellement en cours dans les sociétés postmodernes en une centralité souterraine et qui ne tardera pas à affleurer à la surface, soit celle de l’islam, car elles le méritent s’il sait passer de l’islam rétromoderne qu’il fut en un islam postmoderne.
Merci pour cette contribution très pertinente; je partage.