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En votant le 23 octobre 2011, beaucoup aspiraient à un changement radical qui rendrait la dignité, les droits et la pleine citoyenneté aux Tunisiens, à travers une politique éthique en rupture définitive avec les pratiques mafieuses du régime déchu.

Se drapant dans leur victimisation passée, et se faisant passer pour des parangons de vertu, les candidats du parti islamiste Ennahdha ont réussi à récolter 37 % des voix des citoyens qui ont participé à cet événement historique. Élus normalement pour une assemblée constituante dans le but de rédiger une nouvelle constitution, ils forment, avec l’aide d’autres formations pour atteindre la majorité, un gouvernement provisoire largement dominé par les islamistes.

Après une centaine de jours, on peut facilement constater les stratagèmes de ce gouvernement et découvrir le vrai visage de cette formation au pouvoir, qui, jour après jour, perpétue les mêmes méthodes et les mêmes pratiques sinistres du régime déchu. Voyons comment !

Le mensonge comme recette de communication

Le gouvernement, dominé par Ennahdha, ne cesse de mentir et de faire usage de langue de bois, sur presque tous les sujets. Il ment sur l’économie, sur l’emploi, sur son supposé programme pour régler les problèmes de la société, sur la justice, et surtout sur ses intentions concernant la période de transition et les futures élections. Il souffle le chaud et le froid, quitte à sortir régulièrement son porte-parole Samir Dilou pour diluer ou démentir ce qui a été dit lorsque les réactions du public se font fortes. Mais toujours avec un sourire énigmatique et sans la moindre gêne quant aux véritables intentions du gouvernement. Pis, sûr d’avoir trouvé le bon filon pour faire peur à une population de plus en plus soumise aux dictats d’une religiosité de façade, le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, n’hésite pas à parler du danger des anarchistes staliniens et des extrémistes laïques, sans jamais évoquer les groupuscules fanatiques proches de sa mouvance, qui terrorisent les citoyens et commettent les pires dépassements sans être condamnés ni même simplement inquiétés.

La violence comme mode de gouvernance

Tout cela, en accusant ceux qui les dénoncent de nuire à l’image du pays. Laissez-nous travailler, disent-ils, pendant que sont opportunément lâchés dans les rues ces groupuscules extrémistes, qui font désormais la pluie et le beau temps dans le pays, à chaque fois que le gouvernement désire semer la peur, terroriser la population et menacer les libertés. C’est dire le soutien dont ces individus bénéficient pour envahir et saccager les lieux de culte et l’espace public, brutaliser les citoyens, piétiner le drapeau national et le remplacer par celui de la mouvance salafiste, coloniser des institutions publiques, et ce, sans la moindre réaction des forces de l’ordre qui n’ont pourtant pas hésité une seconde à agresser sauvagement des manifestant pacifiques lors de la fête des martyrs du 9 avril 2012. Les matraques et les bombes lacrymogènes, que s’est procurées le gouvernement après la chute de Ben Ali, semblent faire désormais partie de notre patrimoine national comme moyens de gouvernance. Les abus se répètent.

Et que dire des violences verbales et physiques pour bâillonner les médias et les journalistes, sans parler de la célérité avec laquelle on punit la libre expression sous prétexte de troubles à l’ordre moral imposé par quelques-uns. On assiste même à des procès et des appels au meurtre à l’encontre de personnes publiques, une forme d’inquisition mise en place contre les intellectuels et les médias en ayant recours aux lois liberticides conçues par le régime déchu pour bâillonner la liberté d’expression. Sans compter qu’on sent poindre le retour de la surveillance d’Internet.

Tout cela en parfaite contradiction avec les déclarations, à l’étranger, de membres du gouvernement, comme pour ajouter au mensonge.

L’allégeance comme véhicule de promotion

Tout en occupant la population avec la violence et le mensonge, Ennahdha place ses pions et procède à des nominations partisanes massives, dépourvues de toute transparence, dans les centres névralgiques de l’État, les administrations publiques et le corps diplomatique.

Ces nominations sont à chaque fois basées sur l’allégeance au groupe, perpétuant une pratique de type tribal qui n’a jamais contribué à l’édification d’un état digne de ce nom et dont les conséquences en termes de corruption, d’injustice, d’incompétence et de sous-développement sont néfastes et durables – les années Ben Ali nous en ont fait connaître les méfaits. Tout cela en criant au complot contre l’État et à la trahison du pays, argument stalinien par excellence, dès qu’une opposition s’exprime.

Et maintenant ?

Les pratiques indignes du régime déchu sont de retour et le pays se trouve désormais dans une situation de non-changement, le clivage en plus. Espérons que ces agissements secouent sans tarder la population et que finisse par s’imposer le renforcement des valeurs de tolérance, d’ouverture et de démocratie, après l’ivresse provoquée par des sensations étranges pour les Tunisiens après la révolution.

À moins que le projet caché des forces obscurantistes soit tout autre : contenir la Tunisie dans ce qui serait supposément son milieu naturel, à savoir un pays en marge de la marche de l’Histoire, et appartenant à un monde marqué depuis des siècles par l’autoritarisme des clans au pouvoir, le sous-développement, la corruption et la pauvreté intellectuelle et culturelle. Vu la constance avec laquelle les autorités actuelles soutiennent les agissements extrémistes et les comportements sectaires, on est en droit, parfois, de craindre le pire.

* Conseiller scientifique, chercheur en analyse de politiques publiques.