Au crépuscule de la dictature, à l’aube d’un système démocratique, cette élection a eu lieu et un nouvel état devait voir le jour. Un Etat, régie par des règles de droit, un Etat né de la volonté du Peuple, devait être inauguré par le biais des élections de l’Assemblée constituante et les réformes que celle-ci allait entreprendre. Un corps de 217 représentants, venant d’horizons différents, a ainsi été inaugurée le 22 novembre dernier.

Là, au cœur du Palais du Bardo, tout le monde est sur un pied d’égalité : un vote vaut un vote. Une personne est un représentant et il n’a qu’une voix. L’assemblée a même voté une clause très spécifique, qui fait partie du règlement intérieur, et qui détaillée cette responsabilité et son caractère sacré. Ainsi dans la section 4 du règlement, l’article 94 énonce :

Le vote est personnel et ne peut pas être fait par ou pour un autre. Un vote peut être un vote d’approbation, de rejet, ou d’abstention“.

Or depuis le 3 mai, des vidéos de nos élus pris en flagrant délit de triche et entrain de jouer avec leurs voix et les votes des autres élus – et donc de commettre une fraude électorale – au sein l’Assemblée constituante, ont commencé à circuler sur Internet. Deux vidéos en particulier ont été très rapidement diffusées sur les sites de réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter. Les vidéos montrent des membres de l’assemblée : Abdelmounem Krir (ex-Aridha) et Iyed Dahmani (PDP) en train de voter « à la place» d’autres membres de l’assemblée, absents au moment du vote. Ces vidéos montrent clairement les deux membres en flagrant délit de triche. Des images dont ont ne peut nier la crédibilité, et qui semblent avoir été enregistrées par des téléphones mobiles ou d’autres appareils d’enregistrement.

Bien sûr, nous pouvons accorder le bénéfice du doute aux deux membres et accepter de les croire quand ils disent avoir voté “à la place” de représentants (et non pas avoir utilisé un siège vide pour voter deux fois). Mais en considérant que ce n’est pas la deuxième raison qui prime, et bien la première, et en se basant sur le règlement intérieur qu’ils ont eux-même voté; la première excuse est tout aussi accablante. Voter au nom d’un autre est formellement interdit. L’article 94 du règlement intérieur de l’ANC ne laisse pas de place à l’interprétation.

Cependant, à ma grande surprise, le règlement intérieur de l’Assemblée constituante ne précise pas les sanctions en cas transgression.

Le 3 mai, le jour où les deux représentants messieurs Krir et Dahmani, ont été filmés en train de tricher, j’étais à l’Assemblée constituante. J’ai d’ailleurs discuter avec certains membres de l’assemblée au sujet de l’absence générale de traçabilité vote. Lors d’un vote réalisé la veille, le système d’affichage de vote avait déclaré que 174 membres avaient voté, alors même qu’il n’y avait qu’environ 130 membres présents dans la salle*. Lors de la pause, je me suis dirigé vers le café proche de l’hémicycle de l’assemblée, où j’ai trouvé de nombreux représentants. J’ai ainsi pu parler avec le second vice-président de l’ANC, Arbi Abid, du fait que le nombre de vote ne correspondait pas au nombre de personne présentent dans l’hémicycle, et donc de mes doutes quant à la légitimité du vote. Dans un premier temps, il ne croyait pas ce que je lui disais et a été choqué de mes déclarations. J’ai insisté pour qu’ils annulent le vote de la veille et que le vote soit refait mais à main levée, puisque le système électronique de décompte ne permet pas de savoir qui vote et comment. Il a promis qu’il allait rapporter ma requête au sein de son bureau, vers lequel il se précipita dés la fin de notre conversation. Son bureau est composé de plusieur membres : lui-même, le président de l’ANC Mustafa Ben Jaafar, la première vice-présidente Mehrzia Labidi, ainsi que d’autres membres administratifs. Pendant ce temps j’ai discuté avec d’autres membres de l’ANC de ce problème : Azed Badi, Slim Abdessalem, Nadia Chaabane, et d’autres membres . Nadia Chaabane a d’ailleurs été une des rares membres de l’assemblée qui, en utilisant Twitter, a permis de diffuser l’information de la tricherie.

Le lendemain, lors d’un nouveau vote, Azed Badi (ex-CPR, maintenant un membre du Congrès démocrate indépendant) et Sahbi Atig (Ennahda) eux aussi membres de l’ANC, ont exprimés leur susision quant à la possibilité de tricherie. Le même jour, lors d’un autre vote, Mustafa Ben Jaafer, président de l’assemblée, a eu les mêmes doutes que moi-même et que bon nombre de citoyens tunisiens. Il a d’ailleurs exigé que le vote en question soit refait. Ferjani Doghmane, qui est le président du comité des finances, a même suggéré à M. Ben Jaafer de compter le nombre de représentants présents, à main levée (de sorte que les nombre de voix d’origine soit conservé à titre de référence). Et en effet, le vote à main levée a clairement indiqué que certains membres de l’assemblée avaient voté deux fois (voire plus) à la place des membres absents.

Quelques jours plus tard, le député Azed Badi a lancé une pétition pour demander un meilleur décompte des votes et une plus grande transparence au sein de l’Assemblée constituante, y compris quant à la traçabilité des votes. J’ai appelé M. Badi et demandé une copie de la pétition (il m’a promis de me faire suivre une copie vec les signatures dés que possible). Cet article sera alors mis à jour avec un lien de redirection vers la pétition.

Ce qui est le plus alarmant dans ce problème c’est l’absence de toute réponse officielle de la part des deux membres en question, alors même que l’on aurait peu penser que par honte de leur comportement et suite à la diffusion des vidéos, ils auraient démissionner. Le fait est que d’un point de vue mathématique on sait qu’ils ne sont certainement pas les seuls à tricher lors des votes. Et il est certain que les médias n’ont pas fait correctement leur travail quant à la couverture des transgressions. Et finalement on peut affirmer que le budget national tunisien a été adoptée à travers une série de votes nuls. De ce fait la répartition des ressources de fonctionnement de toute la société tunisienne n’a pas été fairt en fonction de la volonté du peuple. La confiance des citoyens tunisiens a été trahie. Comment se fait-il alors que les médias, les experts juridiques, les organisations d’observation… ne prennent aucune mesure officielle pour lutter contre ces actions honteuses ?

Depuis le 5 mai dernier, OpenGovTN a commencé à discuter d’une nouvelle campagne qui portera sur : 1. la traçabilité du vote au sein de l’ANC 2. la diffusion de toutes les minutes des réunions des comités. Cette campagne s’appellera : # 7ell2 [# Open2]. Jusqu’à présent, le groupe a été le seul à prendre en considération de manière sérieuse la question de la fraude de vote. Ils ont d’ailleurs rencontré Mustafa Ben Jaafer qui s’est engagé accéder à leurs deux exigences. La date limite pour que la traçabilité soit faite et la diffusion des minutes est le 31 mai. Si aucune modification officielle n’a eu lieu à cette date le groupe OpenGovTN intentera une action en justice.

Ecrire à propos de ces transgressions me remplie de honte. Il m’est douloureux de devoir rapporter de tels faits et je suis dans un état de choc, de déception psychologique, pleine d’amertume. Il me coûte de devoir écrire noir sur blanc : plusieurs membres de l’Assemblée constituante trichent et ne font pas bon usage de leur fonction de représentation, qui leur a été confiée par la loi.  Chaque représentant qui triche représente milliers de Tunisiens et la confiance de chacun de ces Tunisiens a été violée de mauvaise foi. Et c’est du fait de ce genre de mauvaises pratiques que le peuple tunisien ne verra peut-être jamais se lever l’aube de la démocratie.


*Le taux d’absentéisme qui sévit au sein de l’ANC est un autre sujet qui nécessite une attention égale et que des investigations soient menées.