Depuis des jours, depuis mon retour de Damas, je ne cesse de me poser des questions sans réponses : Comment peut-on cautionner la transgression des droits de l’homme au nom du panarabisme ? Pourquoi la violence et les appels aux meurtres sont-ils aussi récurrents en Tunisie ces derniers temps ? De quel droit peut-on légitimer la violence envers nos adversaires ?

Les droits de l’Homme sous la botte du panarabisme et du nationalisme

Partie avec M.Ahmed Manai et dix autres tunisiens pour assister aux élections des membres du Conseil du peuple syrien, j’ai réalisé que ceux avec qui j’ai été ainsi que la centaine d’invités du régime syrien ne parlaient que d’une chose : Le complot de l’Occident et des pays du Golf contre la Syrie ! En effet, il y aurait «un complot contre Bachar Al Assad» considéré comme « seul rempart contre Israël » comme ils le disent…

Depuis “l’éveil arabe” et le déclenchement des événements en Syrie, le corps sociétal semble se débarrasser de sa toxine : la dictature. Certes des milliers ont rejoint la résistance contre la tyrannie du Parti unique Al Baas mais parmi ceux qui s’opposent à “Bacher” il y a aussi des meurtriers

Poussant le vice plus loin avec un nationaliste tunisien, pro Bachar, je lui ai montré une vidéo sur youtube où on voit un soldat de l’armée syrienne en train d’ensevelir un autre de l’armée dite libre alors que ce dernier était encore en vie. Sa réponse face à ce spectacle morbide fut : « Cela ne m’étonne pas, du côté de l’armée d’Asaad ou celle de l’Armée libre ». Aucune émotion, comme si ce qu’il venait de voir n’était qu’une chose “naturelle”. J’ai donc eu la preuve concrète que, bien qu’il sache ce qu’il en est de la barbarie de l’armée de Bachar, il continue quand même à le soutenir corps et âme, au nom du « panarabisme »… Cet homme était un observateur envoyé en Syrie par la Ligue arabe.

Cautionner le meurtre et la tyrannie au nom de la raison d’Etat, de panarabisme voire de l’idéologie nationaliste, est la logique de cet homme et bien d’autres. La sacralité de la vie et du droit naturel n’est qu’une chimère, une utopie pour eux. Par ailleurs, ce qui rend les choses encore plus confuse, ce serait le volet religieux. A cette idéologie nationaliste, que je considère bâtarde et dénuée d’humanisme, l’exégète tunisien ou syrien, tel que Mohamed Ramadhan Said Al Bouti, trouve dans dans le Coran, par miracle, des arguments pour soutenir Bachar Al Assad, l’injuste.

Ainsi, d’après les “nationalistes arabes” avec qui j’ai été à Damas, tuer un manifestant- qu’il soit syrien, libyen, tunisien, bahreïni, saoudien ou iranien- appelant à la liberté n’est que justice pour faire face au mal absolu « Israël ». Après plusieurs interviews, une phrase m’a été repétée à plusieurs reprises: Il n’y a jamais eu de révolution. Pour eux, cette vague de soulèvements est factice. Théorie du complot me dit-on. Stupidité, me dis-je.

De retour à Tunis, je me posais cette question : Pourquoi sommes-nous condamnés à un panarabisme dictatorial ? Pourquoi ne pas impulser une nouvelle politique, celle d’un panarabisme démocratique ? Et si la Syrie devenait une vraie démocratie, l’Etat sioniste ne serait-il pas ébranlé par un peuple syrien libre et débarrassé d’un dictateur accroché au trône depuis plus de 12 ans ? Une Syrie démocratique n’aurait-elle pas plus de crédibilité en s’opposant au gouvernement israélien ?

Je me suis abstenu de faire une synthèse de ce que j’ai vécu en Syrie mais je me suis contenté de relater les faits à ma manière. J’ai pensé qu’il était plus convenable de s’adresser à un expert pour que mon article soit bien étayé. J’ai donc posé à l’un de nos illustres historiens Ahmed Jdey de la fondation Timimi quelques questions mais faute de temps, il m’a répondu sans développer sa pensée…

Drôles de militants pour les droits de l’Homme

Ce sujet de panarabisme- imbibé de lacunes dont souffrent nos contrées sur le niveau des droits humains- me préoccupait. Depuis toujours et surtout depuis ma rencontre avec Imen Triki, l’une des militantes les plus acharnées contre l’injustice avant la Révolution, mon rêve était et continue à espérer voir ma Tunisie devenir le pays le plus respectueux des droits de l’Homme dans le monde entier.

Les Femmes et les hommes d’exception qu’on a dans notre pays, qui se sont opposés au régime autoritaire de Ben Ali, sont des modèles à suivre. Par contre, on a parfois de drôles de personnages dans cette “élite”. Parmi eux, M.Abderraouf Ayadi. Invité au local de Nawaat pour une interview, ce dernier nous déclare sans gêne qu’il adore, qu’il aime et respecte Hitler.

Dans le livre « Dictateurs en sursis » de l’ami de Ayadi, devenu aujourd’hui Président de la République, à la page 106, Moncef Marzouki écrivait déjà sur ces hommes qui ont « une conception très particulière des Droits de l’Homme ». Il explique qu’en 1991, il a été scandalisé par certains de ses camarades de la LTDH « descendus dans la rue aux cris de « Vive Saddam ! ». Clamer le nom de « l’un des pires dictateurs de la planète » par une supposée élite militante est en effet une chose assez insolite.
Le soutien à un dictateur, pourvu qu’il « s’oppose à du juif ou de l’américain», semble être- à ma grande surprise- quelque chose de tout à fait “normale” dans notre société. Même Hitler serait bien adoré par beaucoup de Tunisiens…
Il n’est pas étonnant de voir des internautes tunisiens affichant comme photo de profil celle d’Adolphe Hitler, Joseph Staline, Sadam Houssein ou Bachar Al Assaad … Sans la moindre gêne, ils expliquent cela avec des « arguments » indiscutables !

Quand nos leaders et politiciens appellent au maintien de la peine de mort

Dans le même esprit, s’ajoute la question de la peine de mort. Récemment, une polémique a eu lieu à ce sujet au sein de l’Assemblée Constituante “élue”. Certains députés sont contre son abolition. Idem, un autre militant sous Ben Ali, dont les “frères islamistes” ont été sauvés de la mort grâce à Amnesty et aux associations, a refusé, paradoxalement, lors du Conseil des Droits de l’Homme à Genève, au nom de la Tunisie, la recommandation de l’abolition de la peine de mort. Il s’agit là de notre valeureux ministre des droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle Samir Dilou.

Le parti islamiste Ennahdha, auquel appartient M. Dilou, a lui aussi tranché quant à cette question. Lors du Congrès à Tunis qui a eu lieu le 3 juin, à l’occasion du 31 ème anniversaire de la création du mouvement islamiste, son chef M. Rached Ghannouchi déclare que l’abolition de la peine de mort est contraire à la charia.
Par ailleurs, hier une vague d’insultes contre M. Ghannouchi a été déclenché, pour une énième anecdote. Sa photo a circulé sur facebook où il a été mentionné qu’il a été agressé. Bien que cela soit de l’intox, les commentaires de certains internautes, ravis de cette agression, furent pour la plupart une légitimation de cette violence. En voici un aperçu :

Ghannouchi est un terroriste …J’approuve cette agression …On ne parle pas de l’agression d’un vieux monsieur mais de celle de l’ayatollah de la néo dictature.

La culture de la violence, verbale ou physique voire idéologique semble être ancrée dans notre société. En effet, ayant assisté à la conférence du mouvement islamiste Hezb Tahrir qui eu lieu le 29 mai, ceux que j’ai interrogés m’ont affirmé que l’amputation, la flagellation et toutes ces horreurs sont un ordre de Dieu. Une fois de plus les ordres divins, cette charia serait le terreau et un moyen de persuasion de la populace et une légitimation de pratiques moyenâgeuses et barbares qu’on croyait révolues.

Vendredi dernier, dans le même délire de cette « nouvelle Tunisie », Jalel Brik, un personnage facebookien connu pour sa verve vulgaire et grossière, annonce son athéisme, son islamophobie et son “sionisme”. La réaction de beaucoup de Tunisiens fut illico des appels au meurtre via la radio et les réseaux sociaux …

Si je devais aussi énumérer le nombre d’agressions verbales et physiques dans les régions, à Jendouba, Ben Guerdane, Sejnane, … il faudra peut-être me mettre dans la peau de Dilou et faire son travail, celui de ministre des droits de l’Homme. Le nombre de faits et propos de ce genre, d’appels à la violence et au meurtre sont innombrables. D’ailleurs le manifeste des 70 intellectuels condamnant cette ambiance de violence et d’intimidation envers les artistes, les journalistes et citoyens, n’est qu’un signe évident d’un sentiment d’insécurité de plus en plus accru chez les Tunisiens. En parallèle, nos politiciens et députés appellent au maintien de la peine de mort et cautionnent, par leur silence complice, les appels au meurtre contre les athées de Tunisie.

La police n’est-elle pas à l’image du peuple ?

Epuisée par tant de propos et faits barbares observés au quotidien, dont le seul point commun serait l’absurde, je pose une énième question : Les policiers qui tabassent les manifestants ou torturaient les prisonniers sous Ben Ali, sont-ils vraiment différents du Tunisien lambda ? Ironie du sort, un autre fait de la semaine m’achève : le ministre de la Justice Nourreddine Bhiri a rencontré il y a plus de 8 jours Daniel Benjamin, coordinateur de la lutte antiterroriste aux Etats-Unis, pour “la mise en place de groupes privés américains afin d’entrainer les policiers tunisiens“. L’un de ces groupes ne serait que les fameux “Black Water”. Ces mercenaires de la mort (notamment en Irak et en Afghanistan) vont ainsi se charger de l’entrainement de nos angéliques policiers. La politique sécuritaire ne va donc pas changer sous ce gouvernement qui se dit “révolutionnaire”.

Destruction des idoles barbares pour une Tunisie démocrate

La question des droits de l’Homme peine à s’implanter dans un esprit du peuple grangréné par la charia, la culture de la violence dans la sphère familiale, politique et autre. Influencée par les contrées arabes et faisant partie d’un tout plus ou moins homogène grâce à la langue arabe et notre histoire commune, notre évolution vers la démocratie tarde à venir à cause des entraves idéologiques et d’une vision sclérosée voire difforme des Droits de l’Homme. Certains de mes compatriotes dépriment, ne serait qu’à cause de cette violence verbale devenue quotidienne, qu’on entend tous les jours via les médias, les réseaux sociaux ou dans la rue.

L’une de mes amies tuniso-américaine ayant à peine 23 ans s’est effondrée en sanglots dernièrement. Venue des Etats Unis pour contribuer à la transition en Tunisie comme beaucoup d’autres Tunisiens éblouis par la vague d’optimisme des premiers jours post-Ben Ali, elle se voit confrontée à la boite de pandore de la Révolution. Récusant cette déprime, j’opte pour la marche de l’Histoire. Après avoir fait tomber le mur du silence, notre challenge actuel n’est autre que l’instauration de la justice, notamment son indépendance et son équité. Le prochain, probablement dans cinq ans sera sans doute l’éducation. Entre temps, la violence, sous toutes ses formes font se proliférer.


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