L'appel de la Tunisie Beji Caid Essebsi Crédit Photo David Thomson

Béji Caid Essebsi, l’homme octogénaire, revient sur la scène politique et marque la journée du 16 juin 2012 par une conférence qui a réuni plus de 7000 personnes. Venu annoncer la nouvelle alliance partisane sous le nom de « L’appel de la Tunisie », l’ex premier ministre, qui a laissé place au nouveau gouvernement de la Troika après les élections du 23 octobre 2011, a fait un discours riche en significations.

Le rendez-vous a été fixé à 10 heures du matin au Palais des Congrès à l’avenue Mohamed V à Tunis. Un dispositif sécuritaire a été mis en place pour assurer le bon déroulement de ce meeting. Cependant, quelques dizaines de manifestants se sont mis devant la porte pour dénoncer cette réunion.

Une jeune femme criait « cet homme est un traitre ainsi que ceux qui le suivent ! Le 13 octobre 1959, alors qu’il était directeur général de la Sureté de l’Etat, il a pendu mon oncle Salah Najjar qui était youssefiste et on ne sait toujours pas où il est enterré…»

Vers 11h du matin, les deux hommes de l’initiative : Taieb Baccouche et Beji Caid Essebsi apparaissent. La foule commencent à chanter l’hymne national tunisien.

Remarque 1 :
Pendant les premiers mois de la Révolution, les Tunisiens chantaient l’hymne national pour toute occasion de manifestations ou rassemblements et ce avec beaucoup de joie puisque ses paroles sont bien porteuses de significations citoyennes et révolutionnaires. Par ailleurs, avant le 14 janvier 2011 ce chant usité par le régime de Ben Ali n’avait plus ni gout ni sens ; chose qui a changé après la fuite du président déchu.
Après la chute de Ben Ali, il est nécessaire de faire remarquer qu’il y avait un sentiment de jubilation à chaque fois qu’on chantait surtout cette deuxième strophe de l’hymne :

Que ne vive point en Tunisie quiconque la trahit.
Que ne vive point en Tunisie qui ne sert pas dans ses rangs !

Tout au long de cette réunion où l’hymne a été chanté, les présents s’arrêtaient, net, à la première strophe, chose bien significative vue le fait que les rcdistes bien présents dans la salle sont encore considérés comme les traîtres de la nation. Ce n’est qu’à la fin du meeting qu’un CD a été mis où pouvait entendre tout l’hymne sans interruption.

Remarque 2 :
Tout au long de ce meeting, et bien que l’initiative donnait un nouvel espoir aux rcdistes venus par milliers soutenir l’Appel de la Tunisie, Béji Caid Essebsi n’a à aucun moment prononcé le mot « rcd ou rcdiste ». Désormais on parle de « destourien » un terme bien compris par tout le monde où on se prête à une sorte de négation provisoire de ce passé- le temps que le peuple l’oublie.

Niant par leur silence leur affiliation à l’ex-Président, ça sera plutôt le nom de Habib Bourguiba, le premier Président de la Tunisie, qui sera répété plus de trois fois pour rappeler « la gloire de la Tunisie fière de ses acquis réalisés durant les cinquante années passées ». Outre le mot « rcd », ça sera celui de « Ben Ali » qui sera le mot noir à éviter.

D’emblée M. Béji Caid Essebsi aborde les deux questions d’actualité, à savoir la sécurité de plus en plus fragilisée dans le pays et l’état du tourisme en crise. D’ailleurs, à quelques mètres du Palais du Congrès une manifestation organisée par la Fédération Tunisienne des Agences de Voyages et du Tourisme (FTAV) et la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie (FTH) se déroulait sur l’av. Habib Bourguiba. L’objet de cette marche était de tirer la sonnette d’alarme contre les violences qui mettent à mal la situation du tourisme tunisien. Coïncidence ? On ne peut le savoir pour le moment.

M.Essebsi prend clairement la position des artistes en déclarant qu’ « il n’y a pas de vie sans créativité ». Signalant l’absurdité de la décision du ministre de la culture qui a fini par fermer le Palais il fera savoir que la réaction du ministre était inappropriée.

En outre, il rappellera le fait que la peinture controversée où on voit la kaaba et le prophète n’a pas été exposée en Tunisie mais au Sénégal. « Serait-ce Dakar la capitale de la Tunisie ? » lance-t-il ironiquement en visant par là le ministre des affaires étrangères connu pour ses lacunes en géographie.

Ce dernier aurait dit que « l’âge biologique de Béji Caid Essebsi était épuisé. » L’homme politique, en rapportant, ces propos rétorque devant la foule que ce « pauvre homme est excusable puisqu’il ne connait même pas la capitale de la Turquie.»

Ainsi, ridiculisant à deux reprises Rafik Abdessalem, M.Essebsi s’adresse aux présents qui s’esclaffent de rire et qui partagent avec lui son but, celui d’évincer un gouvernement “d’incompétents” …

Dans ce discours bien ficelé entre rires et verve bien tunisienne et à l’ancienne, un appel a été lancé à tous les partis qui voudraient se rallier à cette initiative pourvue qu’ils respectent les points suivants :

1-« Croire en l’Etat tunisien »
2-« Se maintenir au premier article de la Constitution de 1959, sans rajout ni soustraction »
3-« Réserver le drapeau tunisien sans brandir aucun autre qu’il soit noir ou multicolore »
4-« Préserver les acquis de la Tunisie des cinquante années précédentes et surtout le code du statut personnel »
5-« Se conformer à la démocratie, la vraie gouvernance, et ce selon les critères internationaux »
6-« Réaliser la justice sociale et le droit aux régions à une répartition équitable des richesses »
7-« Refuser la violence et opter pour le dialogue »

Pour conclure, l’ex-premier ministre proposerait un Etat de droit où seul la violence légitime de l’Etat serait permise afin que la Tunisie sorte de la situation sécuritaire précaire causée par ceux qui ne croient ni en l’Etat ni à ses symboles tel que le drapeau tunisien.

Répété à maintes reprises, il appelle à « l’ouverture » en refusant l’exclusion des « destouriens » et des hommes d’affaire dont les passeports sont confisqués et ce afin de relancer l’économie et faire fonctionner l’Etat.

Anwar Kallal, l’un des présents à ce meeting a été bien ravi par cet appel et ce discours. Président du club des investisseurs Tunisiens en France, il nous a fait savoir que mise à part les 2000 passeports confisqués des hommes d’affaire, « 215 milliardaires tunisiens » ne peuvent plus travailler à cause des restrictions dont ils font l’objet actuellement .

Dans le Palais des Congrès, outre les rcdistes qui étaient au rendez-vous, des Tunisiens curieux sont venus écouter M.Essebsi avec un espoir, celui d’une Tunisie où « l’identité tunisienne serait respectée » dixit Moncef Khemiri, un professeur universitaire.

D’ailleurs, lors de la conférence de presse qui a suivi le discours M.Essebsi, M.Taieb Baccouch, l’autre “deus ex machina” censé sortir le pays de cet état précaire, a défié les islamistes qui ne cessent de traiter tous ceux qui critiquent le gouvernement de mécréants, d’être dépourvus des valeurs islamiques et que ces « salafistes » ne seraient pas musulmans.

Ainsi, une guerre d’identité semble de plus en plus visible entre les deux camps politiques majeurs en Tunisie. Entre Ennahdha et le RCD, certains tunisiens se voient confrontés à choisir entre la peste et le choléra. Que ce soit le gouvernement incompétent d’Ennahdha qui ne cesse d’intégrer des rcdistes corrompus ou l’Appel de la Tunisie, coalition d’rcdistes, de destouriens et de quelques partis de gauche, le choix se porterait probablement sur celui qui assurerait la chose la plus vitale que tout citoyen réclame, à savoir la sécurité.

NB: Deus ex machina est une locution latine signifiant « Dieu issu de la machine ». Elle est surtout employée dans le vocabulaire théâtral au sujet d’une personne qui arrive, d’une façon impromptue, à la fin de la pièce et par qui le dénouement s’effectue. Dans le cas actuel de la Tunisie, Béji Caid Essebsi et Taieb Baccouche se présentent comme la solution providentielle à tous les problèmes.

En parallèle sur les réseaux sociaux, les réactions face à cet “Appel de la Tunisie” ont été bien diverses, en voici un aperçu