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Pres de 18 mois après le déclenchement des événements un certain 17 décembre à Sidi Bouzid, force est de constater que la Révolution Tunisienne passe aujourd’hui par une zone de turbulences qui va être déterminante pour son devenir. Nous sommes en train d’assister à l’émergence de deux dangers imminents qui guettent le succès de la transition démocratique : d’une part le spectre d’une dictature religieuse, de l’autre la resurgence de l’ancien système politico-mafieux qui a presii aux destinées du pays pendant cinq décennies (avec certains acquis indéniables pour le pays et la population pour les deux premières décennies puis une descente aux enfers lente mais sur durant les trois dernières décennies).

Certains indices ne trompent pas. Pour la première menace, on voit clairement que Nahdha se comporte de plus en plus comme un RCD barbu. Il apparaît clairement, surtout avec les développements récents (affaire Baghdadi Mahmoudi ou la présidence de la République s’est carrément retrouvée hors-jeu puis demission d’Abou pour insuffisance de latitude), que la troïka n’est qu’un faire-valoir qui sert de paravent pluraliste à Nahdha, qui dans les faits gouverne pratiquement seule. TAK et CPR sont en train de payer, et paieront encore plus dans le futur, le prix de cette erreur d’appréciation, naivete politique, manque de courage ou opportunisme(chacun l’appelle comme il le souhaite mais le résultat est le même) d’avoir cru pouvoir peser sur les orientations de Nahdha de l’intérieur. Pour les décisions importantes, Nahdha fait cavalier seul. Laxisme envers les derives salafistes versus sanctions très sévères contre les actes blasphématoires ou perçus comme tels, tentative de noyauter l’administration a la manière du sinistre RCD, népotisme, récupération des anciens du système prêt à se recycler moyennant des arrangements douteux et j’en passe…

Il est donc clair que le danger d’une dictature à caractère religieux n’est pas une vue de l’esprit. Le danger est bien réel et il ne faut pas le sous-estimer (même s’il ne faut pas non plus tomber dans le fantasme et la caricature du type régime ‘Taliban’ ou même comparer les Nahdhaouis aux mollahs iraniens, je continue à croire que le modele societal, historique et culturel Tunisien n’est pas propice à l’émergence de ce genre de phénomènes).

De l’autre côté, nous assistons (éberlue pour ma part), au retour en force de l’ancien système (que certains appellent la Contre-Revolution, personnellement je n’adhere pas à cette appellation parce que l’esprit contre-révolutionnaire transcende à mon avis toutes les appartenances partisanes… On peut le trouver aussi bien chez Nahdha que chez le POCT). L’ancien système étant une certaine ‘élite’ économique, politique et sociale qui a gouverné le pays (ou tire profit du système pour certains affairistes véreux) pendant un demi-siècle. Évidemment, l’ancien système s’efforce de gommer l’étiquette honnie ‘RCD’ où toute référence à Ben Ali (qui pourtant était leur idole), et essaie de ce presenter sous un jour plus favorable avec des appellations plus vendables (bourguibistes, destourien, réformiste, voire même bejboujien !) . Mais la manœuvre ne trompera que les naïfs et elle est destinée uniquement à se racheter une virginité politique pour assurer un retour en force sur la scène politique.

Il est intéressant de noter que, paradoxalement, chaque camp se nourrit politiquement de l’existence de l’autre. Les Nahdhaouis et la ‘pseudo-troïka’ agitent l’Épouvantail de retour des RCDistes comme cache-misère pour détourner l’attention de l’opinion publique quant à leur échec aussi bien sur leurs propres promesses électorales que sur les dossiers brulants de la Révolution (nettoyage du Ministère de l’Intérieur, de la Justice, poursuite des hommes d’affaires véreux, dossiers des martyrs et des blessent, chômage, redistribution des richesses, correction des déséquilibres régionaux etc.…). Parallèlement, l’ancien système, jaloux de ne pas perdre si vite ses privilèges (politiques, économiques, voire bassement régionalistes pour certains), surfe sur la vague du fantasme salafiste et de la théocratie, sans proposer grand-chose de concret a la population pour redresser la barre. Leurs leitmotive étant : nous sommes le seul rempart valable contre le péril islamiste (tactique utilisée par Ben Ali soit dite en passant et qui l’a aidé à se maintenir en place aussi bien vis-à-vis du front intérieur qu’a l’étranger, le fait que des casseurs manipules par des réseaux politico-mafieux se soient infiltré dans les groupuscules salafistes lors des troubles du mois de juin sont symptomatiques à cet égard, je ne vois pas de raison immédiate pour un salafiste de s’en prendre à un tribunal ou à un poste de police), nous sommes les mieux implantes, les mieux organises (et comment, les réseaux de Chooba et autres comités de quartier on ne connaît que trop bien !) et les plus expérimentent dans les affaires de la gestion publique (au passage, personne ne veut se donner l’effort de faire le bilan de cette gestion avec son actif et son passif sur le demi-siècle passe). Les premiers font comme s’ils avaient le monopole exclusif du label ‘Révolution ‘ alors qu’ils ont lamentablement échoué sur les dossiers les plus symboliques et les moins épineux (poursuite des assassins des martyrs et reintegration dans leurs rangs de réseaux RCDistes. Je considere que s’ils avaient au moins reussi sur ces deux dossiers, on pourrait certainement se montrer plus indulgents sur les dossiers du chômage et du développement régional, en se disant que les signaux envoyés étaient positifs, que la bonne volonté y est et que la lutte contre la pauvreté où les développements des régions sont des chantiers de longue haleine). Les seconds passent allègrement l’éponge sur 50 ans de dictature et de corruption(dont 20 ans de despotisme éclairent certes, mais le système novembres n’est-il pas ne précisément des derives du Bourguibisme ? ) et ont même l’outrecuidance de se presenter comme la solution providentielle après une Révolution dont l’une des revendications principales était la rupture sans appel avec les structures politiques du passe (Iskat Nidham). Tout ceci évidemment sans que l’on ait la moindre excuse ou regret exprime par ces éminents politiciens à l’adresse du peuple tunisien.

Au fond, chaque camp a besoin de l’autre comme alibi pour prospérer (la fameuse politique de la peur chere à W. Bush). Un peu comme Al Qaida et Bush, le communisme pour les dictatures militaires de l’Amérique Latine dans les années 70 ou encore la lutte contre l’impérialisme comme socle idéologique servant de prétexte aux pires dictatures communistes. Ainsi est faite l’histoire, on a souvent besoin d’ennemis au travers desquels on existe. Il y a également similitude dans la démarche, les deux camps continuent à vouloir exercer une tutelle sur le peuple (religieuse ou destouro-rcdiste) partant du principe qu’il est mineur. Fondamentalement, il s’agit d’un déni inavoué et inavouable de la maturité de ce peuple et de son aspiration légitime a la démocratie et à la liberté (même si pour des raisons évidentes, aucun des camps de l’exprimer clairement de cette manière, ils pensent bien que le peuple tunisien est encore ‘mineur’ et donc besoin d’être mis sous tutelle politique, religieuse ou les deux à la fois). Sommes-nous donc condamnons à toujours marcher dans le troupeau guides par un chef illuminent (qu’il s’appelle RG au nom du commerce juteux de la religion ou BCE au nom du pseudo-modernisme) ? Le peuple qui a inspiré, de par sa Révolution, le monde arabe et même d’autres pays dans le monde, ne mérite-t-il pas mieux que ce dilemme Cornelien ? Pour ma part je veux bien continuer à croire que le peuple tunisien a encore les ressources pour dépasser ce cap crucial, et qu’il saura faire preuve à la fois de courage et de subtilité pour naviguer dans les méandres de la transition démocratique, sans perdre de vue les idéaux de la Révolution : Liberte, Dignité, Travail pour tous… Au risque de paraître naïf, je persiste à le croire.

Illustration : ZooArt