Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

On apprend l’interpellation du journaliste Sofiane Chourabi pour atteinte à la morale. Et l’on est en droit de demander : de quelle morale il s’agit ? Celle du peuple ou celle de ses gouvernants?

Car, s’il s’agit du peuple, elle n’est pas pudibonde à ce point et n’entrave nullement la liberté individuelle, y compris de ne pas jeûner et même de boire de l’alcool en plein ramadan. C’est une question de liberté personnelle qui n’a rien à voir avec la foi musulmane qui ne s’impose pas par la force, mais émane du fond du cœur, libre et spontanée.

Aussi est-il temps que toutes les lois liberticides, comme ce texte sur la base duquel ledit journaliste est poursuivi, car elles ne font que du tort à notre belle religion !

Je saisis cette occasion pour attirer l’attention de ceux qui ne s’en sont pas encore rendu compte que la Tunisie d’aujourd’hui est désormais postmoderne. Et l’actualité du mois du jeûne en est une parfaite illustration puisqu’il en va de même de ce mois du jeûne que je qualifierais volontiers, en le démontrant, de manifestation postmoderne par excellence.

Cela prouve que quand on parle d’islam postmoderne comme horizon indispensable et futur pour la foi islamique, il ne s’agit pas d’élucubrations de visionnaire, déconnecté des réalités. C’est justement avec une pareille réalité pour assise solide qu’est avancé ce qui se laisse voir comme une future clarté d’un islam gagné par les ténèbres des traditionalistes.

Disons d’abord que le ramadan en tant que période de jeûne est loin d’être une spécificité musulmane; par contre, il l’est devenu. Contrairement au carême par exemple, il présente une santé rayonnante du fait de l’attachement populaire à ce qui est devenu une institution.

Justement ! il s’agit d’une institution; mais pas nécessairement religieuse ! plutôt populaire.

La preuve ? Imagine-t-on un ramadan sans le folklore qui l’entoure? Je dis bien folklore pour faire écho au constat réitéré, même et surtout par les religieux, que le mois du jeûne ne doit pas être une occasion de festivités et de ripailles.

Or, justement, c’est le cas. Et exhortations ou pas des religieux, rien n’y fait; le mois du ramadan est un mois de fête.

Et nous y voilà ! On est quasiment en pleine fête païenne ! En tout cas, en une manifestation qui, sous les dehors religieux, est l’occasion pour le peuple de faire la fête. Peu importe qu’il faille souffrir un peu durant la journée, avoir soif et faim; on se rattrape le soir et de la plus belle manière.

Qu’est-ce là sinon une forme islamique de l’orgie des sociétés anciennes? la fête païenne et la débauche dionysiaque? Une sociologie a été fondée autour de cette thématique, et elle est parfaitement le cas de nos sociétés arabes musulmanes à l’heure des agapes ramadanesques.

Le ramadan, un mois de célébration religieuse? Oui, certainement; mais aussi et surtout une occasion pour le peuple de festiner, de festoyer. C’est la fête profane aux couleurs religieuses. C’est du même ordre que ce qu’on voit dans les rassemblements autour des marabouts ou dans certaines confréries soufies où les excès sont de mise car ils sont, bien plus qu’inévitables, nécessaires à la manifestation, en constituant même le ressort inavoué.

C’est cette facette inconnue de la psychologie musulmane des foules, cet aspect foncièrement profane de notre religion, dans l’attitude des masses à son égard et qui, paradoxalement, fait sa force et maintient son impact sur les foules.

Ce n’est pas par ses aspects relevant du culte que l’islam est triomphant aujourd’hui; c’est par sa culture. Or, elle est colorée, diverse et même, dans certaines pratiques, quasiment hérétique.

S’agit-il toujours d’islam? Certainement, du moment que le credo islamique par excellence est de croire à l’unicité de Dieu; le reste compte, mais compte peu, de l’aveu même du prophète.

Alors, quand nos intégristes et prétendus défenseurs de l’islam réaliseront-ils que ce n’est pas en s’érigeant en superviseurs d’un ordre moral qui sera toujours factice que l’on fera vivifier dans les cœurs l’inspiration islamique? Car celle-ci s’appelle liberté ! Et la liberté de croire à sa façon est le propre du musulman depuis toujours, y compris du temps du prophète.

Ce n’est pas en imposant une forme de comportement que l’on obtiendra une foi pure; c’est en laissant la liberté totale de la forme, que l’acte de croire est plus fort et plus durable.

Le mois du jeûne est l’occasion pour que les autorités officielles donnent l’exemple que l’islam est loin d’être de l’ostentation, car l’impie en est capable et de la plus belle manière, ce qui ne fera jamais de lui un vrai musulman.

L’islam, le vrai, est une croyance pure, donc libre; et la liberté de croire suppose surtout la liberté de ne pas croire et de pouvoir le faire sans peur ni honte.

Pareillement, la liberté de jeûner suppose, non seulement celle de ne pas jeûner, mais également et surtout de ne pas se gêner qu’il y en ait qui ne jeûnent pas sans se cacher.

C’est à celui qui jeûne de ne pas se soucier de ce que font les autres du moment qu’il le fait par conviction et du fait qu’il est ainsi détaché des futilités de la vie, étant en rapport direct avec Dieu. Sinon, il ne fait pas le jeûne pour Dieu, mais pour se montrer et pour imposer ce qu’il fait aux autres. Et un tel comportement ne relève en rien de notre religion dans sa pureté originelle.

Or, que voit-on? Non seulement les prosélytes s’adonnent à cœur joie à leur ministère, ce qui se comprendrait, mais même les autorités officielles harcèleraient commerçant et citoyens pour se plier à un jeûne devant relever de l’ostentation ! Depuis quand le jeûne est de l’ordre des apparences? Le respect de l’islam est-il dans un ordre moral à imposer par la force? Quelle différence alors avec la dictature déchue imposant ses vues par les baïonnettes?

Dans une Tunisie libérée de la dictature, replonge-t-on dans une nouvelle dictature, celle des mœurs? Le mois sacré est l’occasion de mettre le holà à une dérive qui est inquiétante, risquant de devenir périlleuse.

Et, der des ders, ne voilà-t-il pas que les autorités s’en prennent maintenant à un défenseur actif des libertés au prétexte qu’il viole ces mêmes libertés pour lesquelles il se bat. Pourraient-ils nous dire que si l’intéressé, qui milite pour ces libertés, ne les célèbre pas, qui le ferait à sa place? Ces autorités ont-elles si vite oublié leur propre combat, quand elles bataillaient sous la dictature déchue pour leurs valeurs? Ou ne s’agit-il que du zèle de fonctionnaires subalternes habitués à des pratiques révolues?

Alors, il n’est que temps et de la plus haute importance que les ministres de la Justice et de l’Intérieur prennent urgemment les mesures qui s’imposent pour mettre fin à toute poursuite se fondant sur des lois obsolètes instituant un ordre moral factice qui n’a rien à voir avec le véritable ordre moral islamique, qui est un ordre de la libre assomption de ses actes par une créature voulue libre par son créateur ! Il est temps qu’on suspende l’effectivité de toute loi de nature scélérate, héritage de l’ancien régime !