Une prostituée dans un bordel tunisien dans le quartier de Abdallah Guech, Tunis. Photo: AFP

Absente du débat public, la prostitution est visible dans l’espace urbain, tolérée et même réglementée depuis longtemps en Tunisie. Cet acte par lequel une personne « consent » à des rapports sexuels avec un nombre de personnes moyennant rémunération n’est pas un délit et n’est pas réprimé pénalement, pour l’activité encadrée par l’Etat dans les maisons closes autorisées. Mais dans sa manifestation publique, la prostitution est dénommée racolage ainsi que sous la forme de proxénétisme, de provocation à la débauche ou d’atteinte aux bonnes mœurs. La loi reste floue également quant aux mineures qui ne sont pas censées être pénalement punies puisqu’elles sont désignées « victimes » de leur prostitution.

Ces filles de « joie » sont attirées par les grandes villes et rêvent toutes d’une vie autre, une vie qui les feraient sortir de leur misère et de gagner de l’argent très vite. Pour certaines, pour payer leurs études, leur logements, leurs vêtements haut de gamme, dernier modèle de portables…. Il y en a même celles qui se prostituent pour de l’argent de poche.

Un autre phénomène voit le jour avec le développement d’Internet via les réseaux sociaux. De plus en plus d’annonces de rencontres galantes, des invitations lancées, des liens établis et des rencontres sont organisées. Il serait difficile d’établir le profil type des filles qui s’adonnent et exercent ce métier, elles sont issues de milieux et de conditions très différents – divorcées, parfois tombées enceintes, parents séparés, niveau de scolarité et âge très variables, conditions économiques généralement difficiles. Il s’agit d’un milieu très hétérogène.

L’apparition de la prostitution chez les étudiantes ou du moins celles qui le prétendent serait un phénomène également nouveau. Leurs conditions matérielles peuvent expliquer leur passage à l’acte. Aucune étude de référence ni une information aujourd’hui disponible ne prouvent ce phénomène. D’après une démarche personnelle qui ne prétend pas être exhaustive pour délimiter le profil type de ces « papillons de nuit » attirés par la lumière et cerner les tenants et les aboutissants de ce phénomène.

J’ai pu pénétrer ce monde où se mêlent argent, sexe, proxénétisme, misère, odeur de l’interdit, traque policière…. Aborder ces filles dans des lieux publics ou sur le trottoir d’un quartier huppé de Tunis n’était pas de tout repos.

Premièrement pour des raisons très rationnelles, elles sont là pour travailler et non pour raconter leur vie à un journaliste « non rentable » et qu’on craint en plus comme la peste ! Deuxièmement, elles n’ont pas non plus envie d’évoquer des douleurs profondes qu’elles veulent oublier.

Le cas de Fatma 30 ans était tout à fait différent. Elle voulait par contre tout dire au sujet de sa situation et comment était-elle arrivée là. Divorcée, un enfant à charge confié à sa mère, elle est l’ainée d’une famille nombreuse et elle exerce ce métier depuis deux ans. Elle voulait essentiellement me faire comprendre qu’elle faisait cela par nécessité en justifiant le fait de « se vendre » était à ses yeux plus noble que voler ou toucher à la drogue. Cette confession était pour elle comme une délivrance en voulant garder par-dessus tout sa dignité.

Le mal qu’elle ressent le plus est qu’elle soit jugée par une société qui ignore tout de son itinéraire et des conditions qui ont déterminé « sa descente aux enfers ». Elle souhaite continuer tranquillement jusqu’à ce que son enfant devienne « homme ».

Un autre cas est celui de Leila 24 ans étudiante, carte universitaire à l’appui, pantalon moulant, très distinguée, maquillage discret. Elle a atterrit dans le milieu depuis 8 mois. Au début, elle faisait cela durant le week-end pour arrondir les fins de mois mais surtout pour se payer des fringues. Maintenant de plus en plus séduite par le gain « Je pense laisser tomber les études que j’ai entamées ».

Ses clients sont généralement mariés, aisés, ils proviennent particulièrement d’un pays voisin ou des pays du Golfe. Voulant savoir combien elle gagne, elle a esquivé au départ puis elle déclare « beaucoup d’argent, c’est sûr que je ne gagnerais pas autant en ayant un diplôme. »

Sur un autre plan et hormis le caractère illégal de leur “profession”, ces filles sont toujours sur le qui-vive, les descentes de la police des mœurs sont fréquentes. Cette traque policière ajoutée aux drames que vivent certaines filles et les dangers inhérents à leur « emploi » ne font qu’intensifier le caractère souvent tragique de ce phénomène de société. Tout le monde se souvient des faits qui ont défrayé la chronique il y a quelques mois à la cité Ennasr, où une jeune prostituée a trouvé la mort poussée par ses clients du haut d’un immeuble pour des raisons qui restent obscures.