polit-revue#2

La semaine politique en Tunisie a été marquée par un tour de vis autoritaire tous azimuts du pouvoir. A cet égard, la campagne « Ekbess » qui se précise porte bien son nom. La rentrée judiciaire n’a pas épargné les artistes, avec le retour sur le devant de la scène médiatique de l’affaire du Palais Abdellia, un Ayoub Messaoudi dont les déboires avec la justice continuent, et même Ammar404 qui faisait un come-back remarqué. La cacophonie autour des dates des prochaines échéances électorales décrédibilisait quant à elle un peu plus l’ANC.

Ekbess, 2ème round

Quelques milliers de manifestants ont répondu à l'appel des organisateurs de Ekbess II. Ici les banderoles demandent au gouvernement de mettre en oeuvre l'amnistie générale et l'indemnisation des anciens prisonniers politiques. Crédit Photo : Malek Khadhraoui | www.nawaat.org

Après un « vendredi millionnaire » plutôt raté, catastrophique en termes d’image, c’était au tour du « vendredi décisif ». A défaut d’être efficaces, les organisateurs de la campagne Ekbess ont au moins le sens de la formule et l’art de l’emphase.

Bruit de bottes dès mardi : échaudées par l’échec d’audience de la première édition, les pages partenaires de l’opération remettaient ça. « Spread the word! », ordonnaient les administrateurs. Fini la récré. Cette fois ce sera départ dès 9h00, la Place de la Kasbah devra à tout prix être noire de monde.

Et force est de constater qu’Ennahdha n’a pas lésiné sur les moyens. Le parti au pouvoir a mis toutes les chances de son côté : vendredi, le défilé des bus venus jusque du fin fond de la Tunisie était édifiant. Un mélange de compagnies de transport privées et de bus appartenant à la Société nationale des transports ont été mis à contribution. Même si ces derniers ont été loués à l’Etat par le parti au pouvoir, cela jette le trouble malgré tout sur des pratiques à la limite de la légalité, qui rappellent aux Tunisiens des temps pas si lointains.

Au regard de la logistique mobilisée, la foule de 5 à 8000 personnes parait presque dérisoire, même si elle est décuplée par rapport au 31 août.

Si le choix du vendredi comme jour de manif coule de source dans les milieux islamistes, l’islamisation de la contestation était surtout le propre de la rhétorique du prêche préparé par Habib Ellouze. Insidieusement, le plus fondamentaliste des élus d’Ennahdha invoquera un champ lexical djihadiste du martyr et du sang, amalgamant révolution et guerre religieuse de conquête du pouvoir. Réceptifs, les fidèles bien en rang pour la prière aux allures de démonstration de force politique, étaient suffisamment galvanisés pour marcher sur l’Assemblée constituante en levant les mêmes slogans.

Ces derniers s’articulent tous autour de l’idée « d’assainissement ». Purge dans les milieux d’affaire corrompus (sauf ceux ayant montré patte blanche pro islamiste), « épuration des médias » qui valait sur place une méfiance accrue vis-à-vis des journalistes, et éviction des concurrents de Nida Tounes du paysage politique.

Vers une police de la pensée ?

Nadia Jelassi

Mais il n’y a qu’un pas de l’assainissement à l’inquisition, lorsque la chasse aux sorcières s’étend aux « intentions des artistes ». Nadia Jelassi en a ri jaune. Fait inédit dans l’Histoire de la Tunisie moderne, convoquée par les autorités judiciaires le 28 août dernier, un juge d’instruction lui demande « ses intentions », celles qui ont présidé à la création de son œuvre. « Un dangereux précédent » qui risque de faire jurisprudence, dénonce la chef de département des Arts plastiques de l’Institut des Beaux-Arts de Tunis.

Pendant ce temps-là, Ayoub Messaoudi, le turbulent conseiller principal démissionnaire de Moncef Marzouki, s’embourbait un peu plus dans l’imbroglio qui l’oppose à la justice militaire. Déféré devant une juridiction différente, celle de la chambre criminelle (toujours militaire), l’interdiction de voyage émise à son encontre a été maintenue jeudi.

Un malheur n’arrivant jamais seul, il fut brièvement arrêté le soir-même au poste de la garde nationale de Boumhel. Il menait sa propre enquête sur les circonstances troubles du décès d’un jeune chômeur de cette banlieue sud de Tunis.
Acharnement politico-judiciaire ? Il y a lieu de le penser lorsque par ailleurs la même volonté de durcissement est à l’œuvre en matière de régulation du net. Mongi Marzouk, ministre des Technologies de l’Information et des Communications, avait immanquablement des airs de policier du web, lorsqu’il annonçait en début de semaine « la nécessité pour le gouvernement de réguler l’internet ».

Jusqu’ici la tristement célèbre Agence Tunisienne de l’Internet avait fait amende honorable après la révolution, en résistant à toute velléité de retour du filtrage. Du coup il s’agissait au Pôle technologique d’Al Ghazela de préparer les esprits au retour de la censure, mais de façon habile, à la faveur d’une conférence pédagogique sur les vertus de la « supervision » du secteur. Tout y est affaire de sémantique : le ministre a banni de son jargon les mots qui fâchent, axant son argumentaire sur la sûreté de l’Etat et la cybercriminalité.

La couleuvre restait dure à avaler pour une blogosphère incrédule qui n’a pas manqué d’y reconnaitre les mêmes arguments de l’ex régime pour installer sa main mise sur cette liberté individuelle. Une liberté arrachée par le sang il y a à peine 20 mois.

La semaine du 3 au 8 septembre restera dans les annales comme celle d’une escalade supplémentaire dans les assauts répétés de la propagande d’un parti sur des libertés que l’on croyait définitivement acquises. Toujours en précampagne dans les régions, l’inénarrable Lotfi Zitoun semble de son côté préparer ses troupes à un affrontement imminent. Le spectre d’une mini guerre civile avec les non moins belliqueux partisans de Nida Tounes se rapproche chaque jour un peu plus.