Après la révolution de nombreux jeunes ont quitté la Tunisie, en partant de Zarzis, sur des barques de fortune pour tenter leur chance en Europe. Mais après quelques temps en Italie ou en France la désillusion a été forte pour beaucoup d’entre eux qui ont fini par rentrer en Tunisie de leur plein grè ou suite à un renvoi. Entre la fierté de partir et le déshonneur de rentrer, entre l’image d’un Occident terre promise et la désillusion de la réalité, des migrants rentrent au pays et tentent de se construire une vie via un programme de réinsertion économique.
Faouzi a vu ce qu’il y avait de l’autre côté de la mer. Et il est revenu. De toute façon il ne comptait pas rester longtemps en France, un an, peut-être deux. Ce père de famille a embarqué de Zarzis après le révolution, profitant de l’absence de contrôle. Il voulait juste aller travailler et gagner un peu plus d’argent pour revenir s’occuper de sa famille.
Finalement la seule chose qu’il a gagné en France c’est le fait d’avoir arrêté de fumer. « J’étais tellement fauché que je ne pouvais pas me payer de cigarette. Je logeais chez un cousin mais je ne voulais pas lui demander de l’argent tout le temps. » Il a vu les migrants tunisiens galérer. Il a vu la misère. Tout le monde n’a pas pu compter sur quelqu’un, tout le monde n’a pas trouvé à se loger. Faouzi a vite compris qu’il fallait mieux revenir les mains vides et que la fierté était ailleurs :
« De toute façon en Europe non plus il n’y a pas de boulot. »
Alors il est rentré et a ouvert un restaurant grâce à l’aide d’un programme de réinsertion économique pour les ressortissants tunisiens rentrés de France, proposé par l’Association de Zarzis pour le Développement Durable et la Coopération (ADDCI). Une association qui travaille au niveau local pour aider la jeunesse de l’île via un programme d’accompagnement qui vise à offrir une aide financière à des migrants qui rentrent et qui ont un projet professionnel.
Faycal Dchicha, prof de math et président de l’association, sait bien qu’il est beaucoup question de fierté ici. Ceux qui partent sont fiers à l’idée de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Alors tout au long du parcours ils mentent pour cacher les difficultés. Survivre à une traversée difficile, partir quelques mois, dépenser ses économies pour revenir les mains vides n’est pas une option pour beaucoup de harragas (appellation donnée aux voyageurs clandestins qui quittent la Tunisie). Le déshonneur est grand. Sauf si en rentrant une solution nous attend.
Une des rares solutions que l’on trouve pour l’instant en Tunisie pour les migrants revenus est ce programme de réinsertion économique, qui s’adresse aussi bien aux candidats à l’immigration qu’aux « clandestins » revenus. Plus de 40% des migrants sont originaires du sud de la Tunisie. Le travail de l’ADDCI est donc important. Ce programme est le fruit d’une convention passée avec l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration. L’OFII apporte une aide et l’ADDCI accompagne le migrant, dresse son bilan de compétence, réalise l’étude de faisabilité du projet de réinsertion, accompagne dans la mise en marche du projet et suit pendant un an le bénéficiaire du programme.
Saber, 25 ans, jeune mécano, est parti. Et puis lui aussi est revenu, renvoyé. Avant d’embarquer pour la France il travaillait dans une petite épicerie, mais les affaires ne marchaient pas bien. Plusieurs de ses amis ont décidé de partir alors il est parti avec eux. Après Lampedusa il est passé par la Sicile. Puis a passé trois mois en centre de rétention avant de passer en France. Là-bas il se fait à nouveau contrôler et se retrouve à nouveau en rétention, avant d’être renvoyé en Tunisie. « J’ai vécu une vie de misère en France. Je n’avais pas de nourriture, pas d’endroit où loger. Je pensais qu’en France la vie était bien, je voyais les gens revenir avec des voitures et de l’argent. Une fois que j’y suis allé j’ai vu qu’il n’y avait rien de tout ça sans contact ou famille sur place. »
Pas fier. Ni au départ ni à l’arrivée. Pourtant aujourd’hui il est à son compte et travaille comme mécano. Grâce au programme de l’ ADDCI il a pu avoir les fonds nécessaires pour louer un local et acheter quelques outils. Il estime que l’aide n’est pas suffisante mais reconnaît tout de même les avantages de sa situation.
« Aujourd’hui ma vie est meilleure, je suis à mon compte. Mais tout de même si j’avais pu travailler en France je sais que j’aurais pu avoir plus d’argent. »
Saber est amer et on sent que l’envie de retenter sa chance le travaille. Comme de nombreux jeunes il veut mettre de l’argent de côté pour construire une maison et se marier.
Ce jour là Saber a un client particulier, un vieux commerçant de la ville parti plusieurs fois clandestinement dans les années 80 : « J’étais “bazness” (sorte de gigolo) dans les hôtels, avec les femmes touristes occidentales. C’est comme ça que j’ai pu gagner de l’argent et rentrer pour construire une maison, ouvrir un magasin… Les jeunes veulent partir c’est normal, ici il faut travailler 200 ans pour construire une maison. Mais la vérité c’est que l’on ne peut plus partir comme avant parce que la situation est difficile partout. »
Le projet de mise en place pour l’autosuffisance des jeunes à Zarzis est donc important. Par ce biais Faycal veut aider les jeunes de sa ville à changer d’avis et à rester sur place. En tout 426 dossiers ont été reçu, preuve en est que les jeunes ont envie de travailler. Il a fallu en choisir quinze, sans garantie, pour que les projets fonctionnent.
Fayçal sait qu’il faut un long travail pour changer les mentalités. Car la question de la migration clandestine ne s’appréhende pas seulement en terme économique.
« L’immigré garde une image forte : être un immigré c’est une réussite sociale. Même s’il y a aussi ceux qui sont dans la nécessite et qui n’ont pas le choix. »
Proposer des solutions sur place est déjà une belle initiative, reste à voir si les jeunes aidés par le projet pourront pérenniser leur entreprise, afin d’être des exemples et montrer aux jeunes tentés par la traversée que l’on peut réussir en Tunisie. Il faudra aussi espérer que les autorités publiques développent des programmes de création d’emploi. Elles ne doivent pas oublier que c’est en grande partie le problème du chômage qui a fait tomber le régime précèdent.
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