Ennahdha

Où en est la Troïka sur la scène politique ?

Depuis presque un an, la tension et la division au niveau politique, sécuritaire et sociale semble de plus en plus accrue. Après le scrutin du 23 octobre 2011, une troïka gouvernante est née. Composée du parti islamiste Ennahdha ( avec un 1 400 000 votes / 8 000 000 d’électeurs potentiels), le CPR ( 350 000 votes /8 000 000 d’électeurs potentiels) et Ettakatol ( 286 000 votes/ 8 000 000 d’électeurs potentiels), l’alliance est de plus en plus chancelante, réunissant un parti de droite conservateur avec deux partis laïcs centre gauche. Cependant, vu le poids électoral léger, les points de division au niveau idéologique et politique sont tus à cause du besoin de survie des deux partis croupion CPR et Ettakatol.

Bien que le parti CPR ait récemment menacé de retirer ses ministres du gouvernement Jebali, ainsi que sa confiance du ministre de la Justice Nourreddine Bhiri, il ne semble pas être pris au sérieux par son partenaire Ennahdha. Pour mieux comprendre la politique actuelle du parti islamiste je me suis rendue au siège d’Ennahdha à Tunis pour une interview spéciale avec Abdel Hamid Jelassi, l’un de ses hommes forts qui n’est pourtant pas très médiatisé.

M. Jelassi, vice-président du parti a eu l’amabilité de nous accueillir, mon collègue Kais Zriba et moi, dans son bureau, bien qu’il ait été pressé par le temps. Après avoir posé une première question, M. Jelassi a tenu d’abord à rendre hommage au travail de l’équipe Nawaat sous la dictature, puisque tous les médias étaient soit silencieux soit du côté de Ben Ali.

Je tiens tout d’abord à rendre hommage à Nawaat, qui je le pense, est l’un des leaders de la révolution. Avant le 14 Janvier, il y avait des sites web que les gens qui étaient recherchés dans le pays suivaient, il y avait Tunisnews et il y avait votre site Nawaat.

En effet, croyant à la sacralité de la liberté d’expression, les membres fondateurs de l’équipe Nawaat : Sami Ben Gharbia, Riadh Guerfali, Sofiane Guerfalli et Malek Khadhraoui donnaient la parole aux opprimés du système, de droite ou de gauche, sans distinction idéologique, faisant prévaloir le droit du lecteur à l’information sur les calculs partisans.

Pour revenir à l’interview, il faudra savoir que l’entretien avait pour but de clarifier et fixer la situation et la politique d’Ennhadha qui semblent de plus en plus brouillées par les décisions du parti islamiste et surtout les déclarations de son chef Rached Ghannouchi.

Les blocs parlementaires Wafa et Dignité, de probables alliés d’Ennahdha à l’ANC et dans le gouvernement

Quelles seraient les futures alliances du parti Ennahdha ? A cette question, M. Jelassi nous a explicitement fait savoir que

Dans le parti Ennahdha, nous cherchons qui est avec la Révolution et qui est contre ; qui tend vers des élections libres, honnêtes et transparentes et qui est contre ; qui est pour la consolidation du choix démocratique et des mécaniques de l’alternance pacifique du pouvoir et qui est contre. Nous avons aujourd’hui la Troïka qui, sans doute, fait face à des difficultés mais nous nous sommes mis d’accord, dans cette période de transition démocratique sur la réussite et la continuation de cette alliance.

Certains alliés ne font pas partie de l’actuelle alliance (Troïka). Il se peut qu’ils en fassent partie du dans l’avenir, comme par exemple le bloc parlementaire Wafa, présidé par le militant Abderraouf Ayadi. Il y a aussi d’autres blocs parlementaires à l’Assemblée Constituante [le bloc Liberté et Dignité présidé par Mohamed Néjib Hosni] et également d’autres partis politiques en cours de composition sur la scène politique et nationale. Il y a aussi des forces de la société civile, notamment les jeunes de la Révolution. Nos alliés sont ceux qui sont contre le retour du système de répression, ceux qui sont pour la lutte contre la corruption, pour la réforme, pour la justice sociale.

La question au sujet des futures alliances s’insèrent dans le contexte actuel où le CPR menace de quitter la Troïka (lire cet article). Le parti Ennahdha, avec ses 89 députés, devra donc chercher d’autres alliances-partis croupion pour atteindre le quorum des 109 voix à l’Assemblée Constituante lui permettant de passer les articles à la majorité absolue pour les lois organiques. Si les négociations aboutissent positivement pour le parti islamiste, le bloc Wafa, avec ses 10 députés et le bloc Liberté et Dignité, avec ses 12 députés, en sus du parti Ettakatol-13 députés, Ennahdha atteindra sans problème 124 voix et s’assurera de la gouvernance de la Tunisie, comme parti dominant, pour les prochaines élections.

Ennahdha vs CPR : “A cause des divergences, il se peut que nous nous séparions et que nous restions amis”

Au sujet du CPR, le vice-président d’Ennahdha, fera savoir que son parti est plus discret vis-à-vis de la cuisine interne et des divergences contrairement au CPR qui a, selon lui, moins de réserve. M. Jelassi ferait référence notamment aux déclarations de M. Mohamed Abbou et du Président de la République Moncef Marzouki qui ont critiqué ouvertement la politique d’Ennahdha, entre autres l’ingérence d’Ennahdha dans le pouvoir judiciaire ou l’extradition de l’ex Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi vers la Libye.

M. Abdel Hamid Jelassi affirmera quand même que malgré les “remarques du CPR“, le parti Ennahdha est
encore désireux de poursuivre l’alliance avec [son]partenaire. Il rajoutera cependant concernant les conditions du CPR pour rester dans le gouvernement

Je ne considère pas qu’il y ait lieu de poser des “conditions” entre les membres [Troïka]. Il y a des points qui se posent dans l’ordre du jour qui peuvent aboutir à des accords. En gros, je dirais “nous avons aussi nos remarques. Ne ne voyons pas nos partenaires de la Troïka disciplinés au sein de l’Assemblée Constituante. Nous ne voyons pas nos partenaires, dans la rue, sur terrain. Je vois que parfois des propositions sont présentées par nos partenaires puis s’en disloquent pour laisser la responsabilité assumée uniquement par Ennahdha. Mais comme on dit, ceci est de la cuisine interne.

M. Jelassi nous fera quand même la révélation qu’il se peut qu’à cause des divergences, Ennahdha et le CPR ne deviennent plus partenaires au sein de la Troïka pour rester amis.

On pourra continuer à servir la Tunisie, mais chacun de son côté. Mais nous restons désireux de poursuivre l’alliance pour que la Troïka réussisse.

Ennahdha n’a pas de problème à travailler avec les RCDistes

Continuant notre entretien, nous avons voulu savoir, d’une manière claire et tranchée, si le parti islamiste utilise ce qu’on appelle “la machine RCD“, à savoir les politiciens, les hommes d’affaires, les hauts fonctionnaires qui ont été loyaux à Ben Ali sous la dictature de Ben Ali.

Sur le terrain, la base d’Ennahdha qualifie sans cesse les RCDistes de traîtres, de responsables de ce que les islamistes ont subi sous le régime RCD. Par ailleurs, la réponse du vice-président d’Ennahdha vis-à-vis de l’RCD fut la suivante :

Ennahdha a son organisation, nous n’avons pas besoin de la machine de l’RCD. Mais soyons clairs sur une chose : au sein du pouvoir, il y a l’administration tunisienne, authentique, que l’ancien régime a voulu utiliser.
Nous avons deux choix, enlever tout ce qu’il y a d’ancien et travailler avec du neuf, ce qui nous ramènera à abandonner des dizaines de milliers des compétences tunisiennes. Certes, une partie de cette administration a probablement été impliquée avec l’ancien régime, consciemment et délibérément. Pour cette partie il faut qu’elle soit jugée. Mais, une autre partie a probablement a été contrainte par l’ancien régime. Nous savons par exemple comment se donnait les cartes RCD. Doit-on abandonner cette partie ? Moi je crois que ce qui serait sage et le génie des Tunisiens ont édicté la répartition des responsabilités, que nous faisons développer, réformer et même l’assainissement de notre administration sans qu’il y ait une punition collective et sans abandonner les compétences que nous avons dans le pays. Ceci n’est pas la machine RCD, ceci est la mécanique de l’Etat tunisien.

Selon Ennahdha, Habib Essid et Chedly Ayari sont des compétences nationales

A cette réponse, en donnant un exmple concret, nous avons voulu savoir si Ennahdha considère Habib Essid, un haut responsable et surtout ex directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur sous le régime dictatorial de Ben Ali, où la torture et les atteintes graves aux droits de l’Homme étaient la norme, comme une “compétence nationale”. Voici sa réponse :

Je ne veux pas entrer dans le détails des noms. Parfois, l’opinion publique et autre, se concentre sur le nom d’une personne. L’administration fonctionne grâce aux dizaines de milliers de ses employés. Il se peut qu’il y ait discussion sur quelques noms, comme ça été le cas de M. Chadly Ayari, [ex membre de la Chambre des Conseillers et plusieurs fois ministres sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali]. C’est une compétence et il est en train de faire de grandes réalisations maintenant et la Révolution “l’a gagné” [M. Chedly Ayari a été nommé PDG de la Banque Centrale et également Président actuel de la commission nationale de restitution des avoirs mal acquis placés à l’étrange.]

Selon M. Jelassi, Ennahdha reconnait la Charte Universelle des Droits de l’Homme

Selon M. Jelassi, Ennahdha reconnait la Charte Universelle des Droits de l Homme et l’aurait même démontré. Contrairement au discours, Ennahdha a refusé avec ses deux partenaires de signer les dix points du manifeste proposé par Amnesty International pour les Droits de l’Homme. En outre, aucune condamnation de la part du parti n’a été faite à l’encontre du député Sadok Chourou qui a assimilé les manifestants à ceux qui doivent être crucifiés, amputés des bras et des pieds, empalés, tués et excommuniés selon ses propos datant du mois de janvier dernier. Ne voulant s’opposer à la charia islamique qui a été proposée ultérieurement dans la Constitution, Ennahdha s’est abstenu de toute condamnation puisque cela serait contre la charia et le Coran.

Interview |Video| avec le vice-président d’Ennahdha Abdel Hamid Jelassi

Pour regarder l’Interview, en 18 min, avec le vice-président d’Ennahdha Abdel Hamid Jelassi, cliquez ici
Nous n’avons pas pu poser plus de questions à cause du manque du temps de M. Jelassi. Comprendre la politique des dirigeants de la Troïka dans cette période fragile par laquelle passe la Tunisie est essentiel pour prévoir le futur du pays. D’autres interviews suivront prochainement.