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La révolution soeur égyptienne vient de rater l’épreuve majeure qu’elle se devait de gagner, celle de la sublimation de ses divisions idéologiques pour l’instauration d’un État de droit où la démocratie, si elle encourage le pluralisme et la diversité, doit réprouver les divisions et l’indifférence générale au bien commun.

Or, on vient d’avoir tout le contraire avec une constitution contestable dans l’ensemble quant aux valeurs de la démocratie, malgré de sérieuses avancées par rapport au passé mais qui demeurent insuffisantes pour une ambition véritablement réformiste cherchant la transformation d’une société sclérosée et un pays en panne.

Et l’on ose nous dire que cette constitution a été démocratiquement adoptée quand la participation au vote ne représente à peine que 33% du corps électoral, sans parler des non-inscrits !

Que c’est-il donc passé dans ce grand pays qui méritait mieux pour avoir pareil fiasco? Et quel enseignement en tirer afin d’éviter qu’il ne se reproduise chez nous, dans cette Tunisie que nous voulons et dont nous pouvons faire véritablement un modèle dans le monde arabe, islamique et au-delà ?

C’est bien évidemment la division du pays en forces antagonistes et le désir des uns de l’emporter coûte que coûte sur les autres pour faire triompher leurs vues, quitte à le faire aux dépens de l’intérêt bien compris du peuple.

C’est ce que le grand peuple d’Égypte a compris en boycottant le référendum perçu comme une manoeuvre politicienne n’impliquant que des jongleurs continuant à se payer la tête des pauvres et des honnêtes gens.

Ce qui s’est passé au pays des Pharaons, c’est qu’une partie privilégiée a perdu le pouvoir — perçu uniquement dans sa dimension de dispensateur de privilèges — au profit d’une autre qui entendait se faire grassement réparer et le préjudice matériel et le préjudice moral subi pendant des années.

Était-ce juste? Peut-être ! Mais est-ce moral? Certainement pas, surtout quand on affiche l’éthique comme étendard de son action politique. Or, c’est le cas des actuels occupants du pouvoir en Égypte.

En fait, agissant de la sorte, la tendance islamique qui vient de sortir gagnante des derniers événements du pays du Nil ne fait que préparer le terrain, sur le long terme, au retour au pouvoir de ses ennemis, tout comme ceux-ci, par le plus pur aveuglement et cynisme, le lui ont donné sur un plateau à l’élection présidentielle.

En effet, on oublie par trop vite que le président islamiste n’aurait certainement pas rallié sur son nom la majorité qu’il a eue à cette élection si une figure éminente du régime déchu ne lui avait pas été opposée. Cela revenait, de la part du représentant d’un ordre abattu dans la douleur, à une complicité objective avec l’ennemi et dont il était inconscient tellement l’attrait du pouvoir l’emportait à ses yeux sur l’intérêt du peuple; même s’il se présentait comme son défenseur contre le supposé péril islamiste.

Ce qu’auraient été plus inspirés de faire les laudateurs d’un ordre séculier était de miser non sur les aspects supposés positifs d’un ordre ancien honni et définitivement périmé que sur un nouvel ordre véritablement original quitte à ce qu’il emprunte à l’ancien quelques-unes de ses recettes les moins contestables. Or, il n’en fut rien et l’Égypte n’eut que le choix entre la peste et le choléra, choisissant ce qui lui a semblé un moindre mal.

En effet, aux yeux de la majorité des Égyptiens, l’ordre actuel était assurément un moindre mal, mais il reste un mal pour les démocrates de ce pays; car prétendre détenir une vérité, en faire un absolu d’essence divine et avoir une conception idéologiquement orientée des choses de l’au-delà, c’est faillir à représenter le peuple dans sa diversité.

Or, il s’agit là du b.a.-ba de la politique vraie quand elle n’est pas dévergondée par les intérêts privatifs de ses acteurs, la transformant en pur théâtre des ombres, un opéra-bouffe !

En Tunisie, la scène politique n’est pas loin de reproduire le scénario égyptien avec le parti qui prétend revenir aux supposées vertus anciennes et que les sondeurs d’opinion le disent avoir le vent en poupe, le présentent même comme enflant démesurément. Ce qui, si c’est avéré, ne serait que de la même nature que ce qui est arrivé à la grenouille de la fable. De plus, on sait ce que disait le fin politique que fut Winston Churchill des sondages : « les statistiques constituent la forme la plus élaborée du mensonge ».

Certes, Nida Tounès a raison de s’élever pour dénoncer les bavures et les dérives d’un pouvoir qui n’a pas le même talent de ses compétences rompues au pouvoir pour l’avoir exclusivement exercé pendant des lustres. Mais s’acquitte-t-il de cette tâche en se plaçant dans le sens de l’histoire? Assurément non !

Le sens de l’histoire commande aujourd’hui, plus que jamais, la rupture totale avec un passé honni, et le plus simple du sens commun — si l’on a véritablement pour but l’intérêt du pays, comme on le prétend — est que les symboles de l’ancien régime aient la dignité de s’effacer de la scène politique pour céder la place à ce qu’il peut y avoir de valeurs sûres autour d’eux.

De pareilles valeurs, il ne doit pas manquer, en effet; des femmes et des hommes qui ont certes servi anonymement sous l’ancien régime, mais qui ont moins servi le régime qu’ils ne se sont dévoués pour la cause du peuple. Et, surtout, qui ne se sont pas compromis avec les turpitudes de la maffia au pouvoir, ni en y participant ni en la cautionnant par un silence complice, la contestant même dans l’ombre; ce qui est le plus haut degré du combat pour les valeurs, se faisant dans l’antre même du diable et loin des lumières de la renommée.

Assurément, aujourd’hui, et sans se rendre compte, le parti de l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi roule pour la Troïka en continuant, comme il le fait, à jouer avec le feu des divisions, attisant du coup l’aversion du peuple pour l’ancien régime qui n’a fait qu’user et abuser de pareille politique du pire.

Toutefois, il reste aux forces politiques au pouvoir de savoir distinguer où se situe réellement leur intérêt national qu’ils doivent distinguer de leur intérêt partisan, et prendre conscience de celui du peuple en privilégiant les solutions véritablement démocratiques, même si elles doivent heurter leurs convictions immédiates.

S’agissant de la Constitution qu’on achève actuellement d’écrire, ils se doivent d’envoyer des signaux forts de pareil credo démocratique en y consacrant des thématiques symboliques, mais éminemment porteuses dans l’imaginaire populaire. Citons-en, à titre d’exemple : l’abolition de la peine de mort, la prohibition de la moindre discrimination à tous les niveaux de la vie, y compris et surtout dans le cadre des moeurs privées, le rejet de toute censure déguisée sous forme d’atteinte à un sacré (dont la meilleure protection reste dans les coeurs par l’adhésion spontanée de tout un chacun dans une société où la liberté d’expression et de conviction est garantie) et la consécration d’une pratique démocratique véritable par le biais d’une démocratie directe dont ce qu’on appelle l’OpenGov donne une illustration éloquente.

S’agissant des futures échéances, les partis de la Troïka doivent dès maintenant afficher leur détermination à y aller unis, en sublimant leurs divisons et divergences de vues, privilégiant l’intérêt suprême du peuple qui saura le leur rendre le moment venu.

Au regard des positions et des convictions des uns et des autres des composantes de l’alliance au pouvoir, il est certain que l’effort le plus important à faire sur ces registres incombera au parti actuellement majoritaire, le parti de Cheikh Ghannouchi.

Saura-t-il, contrairement à son frère égyptien, faire le bon choix d’avenir en optant pour un islam de civilisation, véritablement révolutionnaire, libéré enfin de l’obscurantisme de certains de ses adeptes?

On l’espère, comptant sur l’intelligence de ses hommes les plus éclairés, aidés en cela par les démocrates authentiques en Tunisie dont la conviction inébranlable reste que la mise en oeuvre d’un tel islam réenchanté en Tunisie est parfaitement possible. Et cela ne fera que confirmer urbi et orbi ce qu’on a appelé de tout temps génie tunisien.

Farhat OTHMAN