Bhiri-Khadimi-alimi-prisons

Article rédigé en collaboration avec Malek Khadhraoui

Depuis quelques mois dans certaines prisons tunisiennes, des cours de religion et d’apprentissage du Coran sont dispensés dans le cadre du programme de réhabilitation des prisons, sous la supervision du ministère des Affaires religieuses. Problème : en plus du programme du ministère des Affaires Religieuses, l’association Al-Wassatia Li-Tawia Wal-Islah (“Association modérée de la sensibilisation et de la réforme” nouveau nom de “l’Association de la promotion de la vertu et de la prévention du vice”), de Adel Almi, officie également, sans faire partie du programme mis en place officiellement.

L’expérience a commencé durant le mois de Ramadan : des bénévoles, sous la houlette du ministère des Affaires Religieuses, sont allés donner des cours de religion en prison. Puis le ministère de la Justice a fait part de son engouement pour le projet, qui a alors été renouvelé pendant le dernier trimestre de l’année 2012. Finalement le 6 décembre dernier une convention a été signée entre le ministère des Affaires Religieuses et le ministère de la Justice pour un partenariat à long terme.« L’idée était de travailler à la réinsertion des détenus, leur expliquer que la violence n’est pas une solution et les aider à avoir un meilleur comportement » explique Abdessatar Badr, directeur général au sein du ministère des Affaires Religieuses.

« Quand les gens sont en prison ils restent entre délinquant, il y a donc un risque de mauvaise fréquentation et d’apprentissage négatif. Le ministère des Affaires Religieuses, en coopération avec le ministère de la Justice, ont essayé de mettre en place un encadrement en travaillant sur le côté spirituel et religieux. Nous mettons donc en place des cours pour rendre les gens plus responsables. Nous allons faire des cours basiques. Ce sont des imams des mosquées tunisiennes qui vont faire ce travail à partir du Coran et des hâdiths. »

Il s’agit donc, d’abord, d’aider les prisonniers à s’intégrer dans la société. M. Badr explique que les cours vont être mis en place de manière continue dans les prisons et les centres pour jeunes délinquants. Des cours qui porteront essentiellement sur le comportement, les sciences islamiques, la chariâa… Des spécialistes en lecture de Coran encadreront les cours.

Au sein du ministère de la Justice Mustapha Yahyaoui, chargé de mission, explique qu’avant qu’une convention ne soit mise en place entre les deux ministères le 6 décembre dernier, il y avait déjà beaucoup d’imams et de professeurs qui travaillaient dans les prisons et que cette démarche était bénéfique, ce qui a encouragé le ministère de la Justice à poursuivre l’expérience.

M. Badr, témoigne lui aussi des bénéfices de ces cours pour les détenus, des cours qui ont beaucoup de succès auprès de la population carcérale. Il paraîtrait même qu’au sein de la prison des femmes de la Manouba des haut parleurs auraient été installés dans les cellules, pour que les détenus n’ayant pas accès à la salle de cours, puissent tout de même les suivre depuis leur cellule.

Une anecdote qui peut faire sourire au vu de l’état de délabrement de la plupart des établissements pénitentiaires. Mais M. Yahyaoui, du ministère de la Justice, explique que ces cours de religion sont bénéfiques pour les gens, qu’ils ne demandent pas d’investissement financier et que de toute façon ils s’inscrivent dans un programme plus général de réforme du système carcéral, dont les lieux de détention sont en cours de rénovation.

Les cours sont dispensés dans une dizaine de prisons sur tout le territoire. Ils sont facultatifs et s’adressent à tous.

M. Yahyaoui insiste sur le soutien psychologique que ce genre d’intervention apporte aux prisonniers, qui peuvent se trouver dans un état de faiblesse et de besoin. Le rôle du ministère des Affaires religieuses est donc d’autant plus important qu’il permet de s’assurer que les personnes donnant les cours, le font en suivant une ligne bien définie et en prônant des idées justes.

Pour l’instant 115 personnes donnent bénévolement des cours, dont 45 imams. Par ailleurs M. Badr explique que les imams et bénévoles ayant accès aux prisons sont contrôlés, si bien que l’opération semble lutter contre l’extrémisme religieux présent en prison :

« Ce n’était pas notre but lorsque nous avons commencé ces cours, mais nous nous sommes rendu compte que cet effet existait aussi. »

Mais il semble que le ministère des Affaires religieuses ne soit pas le seul à travailler sur ce type de projet. De son côté Adel Almi, avec son association Al-Wassatia Li-Tawia Wal-Islah, œuvre également. Il se félicite d’ailleurs du fait que les deux projets existent, même si, selon lui, le cadre ministériel n’est pas le plus approprié à la mise en place de ce type de cours.

Joint par téléphone, il nous a expliqué que son association oeuvrait à consolider le lien social, à aider les détenus à se responsabiliser, à reconnaître leurs erreurs et donc à s’éloigner du chemin de la délinquance.

Il affirme travailler au sein de cinq établissements pénitentiaires depuis le mois d’octobre : la prison de Borj el Roumi, de Nadhour, de Mornaguia, de Borj el Amri et la prison des femmes de Manouba. Les cours dispensés sont des cours sur le Coran, les valeurs de l’Islam et des cours de théologie basés sur l’enseignement de l’école Zeitouna, avec l’aide, entre autres, des cheikh Hamadi Latrach et Mohamed Lachfer. ” Il y s’agit d’enseigner les préceptes de l’Islam authentique et non édulcoré ” explique-t-il. Il veut ainsi ” aider les prisonniers à se repentir et à faire de l’autocritique via des séances de questions-réponses, qui permettraient de rectifier les idées reçues et les faux enseignements ” ce qui est, pour lui, le meilleur moyen de combattre le fondamentalisme. Mais contrairement au programme du ministère des Affaires religieuses, ici les cours ne se basent pas uniquement sur le Coran.

L’association propose également un accompagnement psychologique et social des détenus pour garder un lien social et familial, un accompagnement qui est même proposé aux personnes qui ne suivent pas les cours. Selon M. Almi l’action de son association n’est pas contradictoire avec celle des professionnels de la santé, elle est même complémentaire selon lui. Il y a également un programme de suivi à la sortie des détenus : ” une assistance matérielle, sociale et morale.” Un travail qui incombe normalement aux travailleurs sociaux.

Adel Almi explique que pour dispenser ses cours l’association ne bénéficie pas d’une convention signée, mais a simplement contacté les directeurs de prisons. Il espère d’ailleurs se rapprocher d’autres directeurs de centre de détention, pour pouvoir travailler dans toute la Tunisie. Car il affirme que ces cours sont appréciés des détenus comme du personnel.

M. Sboui, directeur général des prisons confirme le fait que l’association de Adel Almi bénéficie d’une autorisation pour dispenser ses cours en prison, mais pas d’une convention. Il explique également que seul le ministère de la Justice est habilité à donner des autorisations et qu’il est donc forcément au courant de cette activité.

Au ministère des Affaires Religieuses M. Badr explique ne pas travailler avec l’association de Adel Almi. Au ministère de la Justice M. Yahyaoui explique qu’il faut bien l’aval du ministère ou au moins le tenir informé, pour faire des cours en prison. Le ministère donne d’abord son autorisation et fait la coordination entre les associations et la direction des prisons, une fois un programme clair mis en place avec les établissements pénitenciers. En ce qui concerne l’association Al-Wassatia Li-Tawia Wal-Islah, de Adel Almi, M. Yahyaoui n’a pas su nous dire immédiatement si elle avait accès aux établissements pénitentiaires. Il devait se référer au registre mais pense que si cette association travaille en prison, alors elle a dû au moins avertir l’administration pénitentiaire.

Une réalité pour le moins étonnante. Pourquoi le ministère de la Justice autorise-t-il une activité concurrente à celle mise en place par le ministère des Affaires Religieuse, dispensée par un personnage aussi controversé que Adel Almi ?

Adel Almi affirme que la démarche de son association est apolitique et qu’elle n’adhère à aucun courant, ce qui est également le cas du programme du ministre des Affaires religieuses. Dans la forme rien ne semble d’ailleurs différencier les deux actions, si ce n’est le fait que Adel Almi a chiffré le coût du programme de cours de son association. Un coût qu’il estime à 100 000 dinars, si l’on souhaite voir ce projet se développer de manière pérenne dans toute la Tunisie. Et il souhaite le financer via des dons et une partie de la zakat, sans expliquer comment il compte avoir accès à cette dernière.

On peut se demander pourquoi et comment l’association d’Adel Almi a-t-elle pu accéder aux prisons pour exercer le même type d’activité que celle mise en place par les autorités publiques ?

Au sein du ministère de la Justice Mustapha Yahyaoui défend l’idée de la pluralité, car selon lui

« Lorsque l’on met en place des conventions, ça ne veut pas dire que l’on prive d’autres associations d’être à l’oeuvre. Si une association a un programme clair, que ce soit sur le plan religieux, des droits de l’homme ou même des arts, nous acceptons ce genre de demande. Nous sommes ouverts à tout si l’activité est acceptable, logique et supervisée par des gens avec un but précis, clair, avec pour but d’intégrer les prisonniers dans la société, de les distraire et de les discipliner. Il n’y a aucune interdiction par rapport à ça. »

Et cette remarque interpelle. Car M. Yahyaoui l’affirme clairement : ces cours de religion ont aussi pour but de lutter contre l’extrémisme et pour cela le coté religieux doit être bien encadré, dit-il. « C’est à dire : modéré, avec pour but éduquer les gens dans leur vie. Car si chacun lit seul les textes et se met à faire des fatwas c’est là que les problèmes commencent. »

Or nous n’avons pas pu connaître le cadre précis par lequel l’association de Adel Almi agit en prison, ni si il existe un dispositif de contrôle du contenu des cours qu’elle dispense.

Adel Almi est un personnage controversé, connu pour avoir organisé un sit-in musclé afin de faire partir l’administrateur mis à la tête de Radio Zitouna, avoir appelé à l’application de la chariâa et avoir demandé publiquement aux non-jeûneurs de ne pas gêner ceux qui faisaient le Ramadan. Interrogé sur le risque de dérive extrémiste il répond que : « Le savoir est le meilleur remède à l’ignorance. L’ignorance qui engendre la violence et extrémisme. » Il explique donc que l’action de son association est forcément une action qui combat l’extrémisme religieux, du fait de l’enseignement des préceptes de tolérance et d’apaisement, inscrits dans le Coran.

Walid Zarouck est gardien de prison et secrétaire général d’une section locale du Syndicat des centres de détention. Il est aujourd’hui suspendu suite à un différent avec l’administration. Il trouve que sur le principe des cours de religion sont une bonne chose, si ils sont bien encadrés. Il dit également avoir entendu parler des cours de Adel Almi. Selon lui le ministère de la Justice fermerait les yeux, voire faciliterait l’entrée de l’association de Adel Almi car elle assurerait ainsi un endoctrinement de détenus qui viendraient ainsi grossir la base électorale du parti Ennahdha, voire même des Ligues de protection de la révolution. Par ailleurs Walid Zarouck déclare également que les prisonniers qui apprendraient correctement le Coran pourraient bénéficier de remise de peine.

Des propos que nous avons pas pu corroborer par d’autres témoignages de gardiens ou de détenus.

Bien que toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête nous affirment les bénéfices réels de ce type d’initiative sur le comportement, le moral des détenus et sur la paix sociale au sein des prisons, la question de l’encadrement et du contrôle du contenu reste incertaine.

Face à l’incertitude du chargé de mission du ministère de la Justice, différentes questions se posent : Pourquoi favoriser la “concurrence” dans un secteur aussi sensible que la religion, dans une période où différents courants, plus ou moins extrémistes, sont en train de se propager en Tunisie ? Les antécédents et le discours radical de Adel Almi ne font qu’accentuer les doutes quant aux intentions du ministère de la Justice.

NDLR : Il n’est jamais évident de traiter de la question des prisons car il est difficile de s’en faire une idée juste : les détenus n’ayant que rarement la possibilité d’avoir une parole libre et le personnel comme l’administration s’obstinant à vouloir en donner une image positive. Pour cet article nous n’avons pas pu récolter le témoignage de détenus, ni celui de directeur de prison. Par ailleurs la communication avec le ministère de la Justice a été restreinte puisque le responsable concerné par la question est difficilement joignable, malgré nos nombreuses tentatives.