Crédit image : Johannes Eisele/Reuters
Crédit image : Johannes Eisele/Reuters

Par Un trader anonyme

Préambule: Pour éviter tout problème à l’auteur et éviter d’éventuelles poursuite, le nom de la banque ne sera pas mentionné.

Je me rappellerais toujours de ce début du mois d’Aout 2007. Je n’avais qu’un seul rêve : Rejoindre l’équipe de trading de volatilité de la banque B. Je les voyais avec de gros yeux et j’étais fasciné par ce métier impressionnant qui jonglait entre des équations mathématiques super complexes et une vérité financière tenue secrète. C’étaient les meilleurs et forcément les mieux payés. Un monde sans pitié qui nécessite un sans-faute relatif (aux yeux des grands managers), un monde « de bonus » que me rappelait souvent mon N+2. Étant dans la petite salle du fond réservée aux « petits » risque managers, j’étais tout content d’envoyer mon CV au chef de trading volatilité de la salle de marché, ce jour du 3 Aout 2007. Le chef de trading m’a répondu oralement en me promettant d’étudier sérieusement ma candidature une fois revenu des vacances.

En effet, la banque d’investissement propose à ses clients des produits structurés « sur mesure », en fonction de l’aversion aux risques du client, les produits peuvent être à but spéculatif ou d’épargne. La banque facture au client une marge commerciale (de l’ordre de 5%). La banque garde tout le long de la maturité du produit, une position inverse de celle du client. L’objectif de la banque et d’annuler le risque globale à son niveau pour s’assurer un profit constitué de la marge commerciale et de l’avantage du prix (La banque surestime le prix à la vente lorsqu’il y a une incertitude sur les données de marché donc sur le prix). Les produits structurés sont en fait décortiqués en sous-produits « simples » en fonction des facteurs de risques auxquels ils sont sensibles. Chaque équipe de traders a pour mission de mesurer et de couvrir un risque. Les plus connus sont la corrélation, la volatilité, les dividendes, les taux d’intérêt… L’équipe de trading de volatilité avait pour rôle de définir quotidiennement le niveau de la volatilité. La volatilité mesure la variation annuelle anticipées (et non pas observées historiquement) des cours des actions financiers. Il s’agit d’un indicateur de la nervosité du marché financier. C’est bien ces données qui seront utilisés pour définir les prix aux clients et aussi pour en déduire les couvertures nécessaires à la banque. Aussi, ces traders animent le marché en fournissant des prix à l’achat et à la vente. Ce qui d’ailleurs, leur permette d’en déduire implicitement les données du marché.

Les 3 semaines d’après furent le début de la grande débâcle financière, on écoutait partout des informations sur une très grande nervosité des marchés (et pourtant c’était l’été, habituellement très calme vue les départs en vacances), les événements se succédaient (baisses vertigineuses des titres financiers, des indicateurs économiques au rouge,…) et pourtant le portefeuille de mon trader favori affichait une forme insolente. J’avoue ne pas m’être soucié de rien de vicieux, je pensais juste que W (l’abréviation que je donnerais pour le nom du chef de trading à l’époque) avait bien anticipé son coup et avait positionné les produits de couverture nécessaires.

Le 3 Septembre 2007, en recalculant les données de volatilité utilisées par W, je découvre stupéfait, que je dois moi-même (en respectant les règles de mon travail de risque manager) amputer à la valorisation de W plus de 30 millions d’euros, ce qui rendait son rendement annuel négatif!

En effet, à la fin de chaque mois, le département risque manager, reçoit les données de marché estimées par les autres banques, on calculait une médiane en éliminant les valeurs aberrantes. La valorisation totale de chaque portefeuille est recalculée en utilisant les « bonnes » données de marché. La valorisation des instruments gérés par W (calculée par le système) étaient fausses pendant des semaines. C’est-à-dire, on vendait aux clients des produits largement surestimés et les clients n’avaient aucun moyen de contrôle sur les prix fournis. Même en interne, le processus ne nous permettait pas, en tant que risque manager, d’en vérifier les données quotidiennement.

En continuant à travailler à B, je me suis mis à réfléchir sur mon existence professionnelle, à quoi j’étais vraiment formé ? Je ne peux pas continuer à manipuler les données financières, à agir au bon vouloir de mon N+2 qui n’avait aucun scrupule à baratiner les contrôleurs de la banque centrale ou les différents auditeurs internes et externes qui se présentaient. Le pire, c’est que ces derniers étaient bien conscients de ce baratin et leur seule réponse est que ces produits étaient tellement complexes qu’ils ne pouvaient en vérifier l’exactitude des données fournis. Mais alors qui les arrêtera ? Les semaines suivantes furent le début de la dégringolade du système financier, les faillites des sociétés se succédaient, on ne parlait plus que de ces banquiers qui ont foiré, qui ont mis l’économie réelle dans de sales draps. Mais le pire pour moi, c’était que ma banque faisait des revenus exceptionnels. Pourquoi ? Parce qu’elle a tout simplement changé ses positions à la vente pour gagner de l’argent à la baisse ! Ça a l’air techniquement simple, mais éthiquement ça n’a aucun sens, ils vendent ce qu’ils n’ont pas (Maysir), ils sont en train de gagner des fortunes sur la misère des autres. On était dans une bulle (comme dans le film matrix) où les règles étaient différentes. C’était des règles mathématiques dépourvues de sens fonctionnels et encore moins d’éthiques. La banque elle, est toujours gagnante, quoi qu’il arrive, c’est une règle absolue ! Les perdants, c’étaient les petits épargnants, ceux qui leur faisaient confiance. Parfois, c’était des économies de toute une vie partie en fumée à coup de formules mathématiques.

Et là, je n’étais pas encore au bout de mes surprises. En me documentant sur le monde américain, je me suis rendu compte que B était plutôt une banque relativement morale! Les banques américaines comme Goldman Sachs seraient responsables de la majorité des misères du dernier siècle depuis les guerres mondiales, à la crise des Subprimes, à la probable faillite de l’Europe …Non seulement ils spéculent sur des évènements néfastes à l’Homme (faillite de l’Europe), mais en plus, ils se donnent les moyens politiquement de réaliser leur pari!

Le monde est devenu fou, 90% de la richesse mondiale est sous forme de produits dérivés. C’est-à-dire des produits de pure spéculation. Le sous-jacent est souvent omis du contrat (comme si on vendait des assurances de voitures sans voitures). De plus, ces options de vente permettaient de gagner beaucoup d’argent suite à la baisse des titres financiers. On peut ainsi miser peu et gagner énormément (relativement à la mise) suite à la baisse du sous-jacent. Ce sont des produits à effet de levier. De plus, les banques n’avaient aucun remords à octroyer des crédits de milliardaires à des américains de revenus très modestes. Ils se protègent du risque de défaut de leurs contreparties grâce aux hypothèques mais surtout grâce aux CDS, ces options de couvertures bien douteuses qui ont pourri la chaine financière toute entière (assurances, états, contribuables). De plus, les Hedge-funds (ces sociétés de gestion spéculatives qui « jouent » avec la retraite des américains !) spéculent avec des effets de levier sur la baisse des titres financiers. Imaginez que le titre de l’action Porsche (suite à son rachat par Volkswagen) a fait +300% puis -300% en l’espace de 2 jours ! Il n’y a plus aucune logique financière, comment voulez-vous que dans ces conditions, un investisseur raisonnable puisse investir le moindre sous pour aider des entreprises à prospérer ? La finance s’auto détruit. Et les nombreuses manipulations financières (cours des devises, taux d’intérêt) ne devaient que retarder la mort annoncée de la finance occidentale moderne. Mais c’était sans intégrer un élément primordial, les politiques. Un ami africain me disait qu’on faisait la politique en fin de carrière pour protéger les gains récoltés pendant. Cette phrase raisonne dans ma tête en regardant ce cirque récurrent de politiciens qui nous promettent de changer ce monde financier. Et pourtant, rien n’a changé depuis 5ans, c’est toujours les mêmes pratiques, les mêmes bonus, les mêmes dérives… Comment veux-tu que ça change, si les financiers et les politiciens sont toujours d’aussi bons amis ? En fait, c’est pire, ce sont  les mêmes! C’est bien des anciens de Goldman Sachs (la banque qui dirige le monde) les premiers ministres de l’Italie, de la Grèce et à la tête de la banque centrale Européenne ! A ce rythme, on ne s’en sortira jamais. La finance éthique ne pourra se mettre en place que si les politiciens jouent le jeu et affichent une indépendance et une transparence à toute épreuve. Je ne reproche pas aux banquiers leur soif de gain, je reproche surtout aux politiciens l’absence de cadre politique et juridique à une finance saine, équitable et socialement responsable.

Beaucoup de travail nous attend. Un monde financier propre,  ça ne sera pas pour demain. La finance islamique en prohibant les grands maux de la finance conventionnelle (interdiction de Riba, de spéculation et d’incertitude) pourrait bien être l’alternative salutaire de la finance. Cette finance se caractérise par deux qualités très importantes : Le partage des risques et des pertes (PPP) et la tangibilité de tout investissement. La règle de PPP avantagera une solidarité du banquier au client ce qui nous évitera bien tout conflit d’intérêt. La tangibilité restaurera l’économie sur de bases saines et réelles (fini la virtualité financière). Mais ça ne se fera pas sans l’aide des politiciens pour assurer le cadre légale et la liquidité nécessaire à la mise en pratique de cette finance.