Depuis plus de quatorze jours, c’est le “marathon des négociations” pour le ministre Ali Laarayadh qui a été choisi pour remplacer son prédécesseur Hamadi Jebali à la tête du gouvernement. Au coeur des négociations pour le nouveau gouvernement Laarayadh : quels ont été les points de convergence et de divergence entre les partis et blocs parlementaires lors des pourparlers et le parti islamiste Ennahdha ?
Après les péripéties de huit mois de remaniement ministériel avorté qui a abouti à la démission de l’ex-Chef du gouvernement, M. Laarayadh se doit de réaliser le consensus entre partis politiques et recevoir enfin la confiance des députés à l’Assemblée Nationale Constituante. Au cours de ces négociations, des points de convergence et de divergence entre le parti islamiste et les autres blocs parlementaires-partis ont pu dessiner une partie importante de la nouvelle identité de la scène politique en Tunisie.
Le bras de fer qui a duré des mois entre, d’un côté le CPR et Ettakatol et d’un autre côté Ennahdha, a poussé ce dernier à chercher ailleurs, chose qui n’a pas déplu aux partenaires du parti islamiste. Élargir la coalition au pouvoir n’a pas posé problème aux deux partis de la Troïka, par ailleurs, les exigences des partis sollicités par Ennahdha, notamment l’Alliance démocratique, Wafa et Liberté et Dignité ont éclairé la ligne à suivre pour un nouveau gouvernement.
Les négociations, bien qu’elles aient pris beaucoup de temps, épuisant presque toute la période de 15 jours autorisée par la loi pour la formation d’un nouveau gouvernement, ont été très importantes. Ces pourparlers ont mis en exergue la feuille de route et les principes fondamentaux dans ce processus de gestation pour un consensus précis où l’esprit de consultation entre un parti “majoritaire” et les autres blocs parlementaires et partis, a été forcé pour sortir enfin de la crise politique qui semble s’éterniser.
Les points de divergence et de convergence avec le programme Ennahdha
- Le bloc parlementaire/ parti Wafa :
Lors de notre entretien avec le vice-président d’Ennahdha Abdel Hamid Jelassi au mois de décembre 2012, ce dernier nous a fait comprendre qu’il était possible qu’il y ait une “des-troïka”. En effet, le parti islamiste ne voulant pas céder aux exigences de ses deux partenaires au pouvoir CPR et Ettakatol lors des pourparlers pour le remaniement ministériel, a commencé à chercher ailleurs, notamment auprès de son premier “présumé allié”, le bloc parlementaire Wafa (constitué de 8 députés actuellement), dont le leader n’est autre que Abderraouf Ayadi, ancien député du CPR qui a fini par s’en disloquer et fonder son propre parti.
Depuis le 19 février, date de la démission de M. Jebali, le marathon des négociations a commencé pour M. Ali Laarayadh pour qui Ennahdha a donné sa confiance pour être le nouveau Chef du gouvernement suite au refus de M. Jebali d’être reconduit. Cependant, le parti-bloc parlementaire Wafa avaient ses exigences :
1- Le jugement des corrompus (al mouhassaba)
2- L’application du projet de loi d’immunisation de la révolution
3- L’abolition de la loi anti-terroriste de 2003
4- La réforme des systèmes judiciaire, législatif et sécuritaire
5- Faire face à la cherté de vie, lutter contre le chômage
6- Contre le fait que les portefeuilles des ministères régaliens aient comme ministres des personnes indépendantes dites “neutres”
Nous avons contacté le député Mabrouk Harzi, (ex-membre de Liberté et Dignité) pour mieux comprendre et les points de convergence et les points de divergence avec Ennahdha. Professeur de droit, M. Harzi défend avec son bloc Wafa le projet de loi de l’immunisation de la Révolution (proposé initialement par le CPR), sujet essentiel à controverse sur la scène politique.
” Nous considérons que le processus de la justice transitionnelle prend beaucoup de temps, un temps précieux qui peut profiter à ceux qui voudront cacher les documents de corruption. Nous sommes pour l’ouverture des archives. Pour ceux qui ne sont pas persuadés par ce projet de loi, Il faudra savoir que le Tribunal européen pour les droits de l’Homme reconnait ce genre de loi, car il s’agit là de mesures exceptionnelles dans un contexte de Révolution et non d’une situation normale que la justice traditionnelle pourrait régler” affirme M. Harzi
Par ailleurs, le parti Ennahdha a fini par opter d’entreprendre le projet de loi de la justice transitionnelle en le faisant passer avant celui du projet de l’immunisation de la Révolution.
L’autre point de divergence concerne également la loi anti-terroriste de 2003 établie par le régime du président déchu Ben Ali. Contrairement au bloc Wafa qui exige son abolition, la considérant contraire aux droits de l’Homme, Ennahdha opte plutôt pour sa réforme.
Quant à la question des ministères régaliens, Ennahdha a fini par céder, sur le plan formel, aux revendications de l’opposition pour que ces portefeuilles soient tenus par des indépendants dits “neutres”. Pour les députés du bloc Wafa, cette décision équivaut à “une spoliation de la légitimité” et serait même contraire aux résultats des urnes. Pour eux, il faut absolument un gouvernement éminemment politique pour mener de” vraies réformes révolutionnaires”, notamment par ceux qui ont été élus par le peuple lors du scrutin du 23 octobre 2011.
Suite aux divergences touchant l’essentiel du programme de Wafa, le 6 mars, son porte-parole Slim Boukhdhir annonce que son parti se retire des négociations suite au non accord avec M. Ali Laarayadh.
“Nous avons remarqué la vanité des négociations et le fait que ce nouveau gouvernement est non pas pour la rupture mais pour la continuation. C’est pas un gouvernement de réforme.” déclare-t-il
- Le bloc parlementaire Liberté et Dignité
Le bloc parlementaire Liberté et Dignité, constitué de dix députés, essentiellement indépendants, proches des islamistes, a été avec Wafa, l’un des premiers choix du parti Ennahdha lors des négociations, notamment ceux du remaniement ministériel et ces derniers jours aussi pour la formation du nouveau gouvernement.
Ce bloc a prouvé son caractère atypique, chose qui a été prouvé à travers ses principales exigences qui pourront surprendre certains partisans du parti Ennahdha. En effet, son programme se concentre sur les points suivants:
1- Fixer les priorités : Assurer la sécurité, exécution de la loi,développement économique et régional.
2- Fixer une date limite, celle du 31 décembre 2013, au gouvernement d’Ali Laarayadh
3- Dissolution des dites “Ligues de protection de la révolution”
4- Mise en place d’un mécanisme et d’un comité pour la révision des nominations administratives faites sous le gouvernement Jebali
5- Exiger le caractère de ministres neutres et indépendants pour les ministères régaliens
6- Mise en place de la loi de la Justice transitionnelle avant la loi de l’immunisation de la révolution.
Ainsi, le bloc Liberté et Dignité, présidé par le député Mohamed Taher Ilahi, est d’accord avec Ennahdha au sujet des priorités, de l’élargissement de la coalition au pouvoir, du caractère neutre des ministères régaliens, mais exige, essentiellement, la dissolution des dites “Ligues de protection de la révolution” et la révision des nominations administratives.
Par ailleurs, au cours des négociations, bien qu’Ennahdha ait fini par accepter le caractère neutre et indépendant des ministres qui seront à la tête des ministères régaliens, le bloc Liberté et Dignité a estimé que cette condition n’était pas respectée par le parti islamiste. Selon le député Abderrazak Khallouli, remplacer l’ex-ministre de la Justice Noureddine Bhiri par le nom proposé par Ennahdha, Mohamed Affes, ne changera rien puisque ce dernier a travaillé comme Procureur chargé des affaires judiciaires, sous l’égide de Bhiri. Il ne serait donc “ni indépendant ni neutre”.
“Nous avons proposé le nom de Samir Annabi, président de la commission nationale de lutte contre la corruption. Ennahdha ne l’a pas accepté. D’après eux, il serait orgueilleux et hautain.” nous explique M. Khallouli.
Ainsi, M. Mohamed Taher Ilahi a déclaré hier 7 mars, que son bloc parlementaire ne fera pas partie de la nouvelle coalition au pouvoir. Voulant savoir si les députés de “Liberté et Dignité” donneraient quand même leur confiance à M. Ali Laarayadh à l’ANC, M. Khallouli nous a informé que si les négociations avancent dans le sens de leurs exigences, il sera possible de le faire mais que rien n’est certain.
- Le parti de l’Alliance démocratique
Le parti de l’Alliance démocratique présidé par le député au sein du bloc démocratique Mohamed Hamdi, a présenté comme axes principaux pour le gouvernement de coalition de M. Larayadh :
1- Exiger le caractère neutre et indépendant des ministres pour les ministères régaliens
2- Dissolution des LPR et toutes les milices
3- Mise en place d’un mécanisme et d’un comité pour la révision des nominations administratives faites sous le gouvernement Jebali
4- Justice transitionnelle et aucune loi d’exclusion politique
5- Refus de la reconduite des ministres qui ont échoué : Abdel Wahed Maater, Sihem Badi, Abdel Latif Meki, Noureddine Khadimi
6-Limiter ce gouvernement dans le temps : 31 décembre 2013 pour forcer la limitation de la date des élections et l’annonce d’un calendrier clair pour les élections
Nous avons contacté M. Adel Oumrani, médecin et membre du Bureau politique du parti de l’Alliance démocratique.
Selon lui, l’une des premières avancées a été l’élargissement de la coalition et l’aveux de M. Jebali de l’échec de son gouvernement.
Néanmoins, le point de divergence principal a été le caractère neutre pour les ministres à la tête des ministères régaliens. Il faut que ces ministres soient vraiment neutres et indépendants” précise M. Oumrani.
Avancées importantes des négociations
Nous remarquons en toute évidence que la position d’Ennahdha a beaucoup changée comparée à son premier programme général pour le nouveau gouvernement. D’abord, concernant la loi de l’immunisation de la révolution exigée par le parti CPR et Wafa, M. Larayadh a fini par privilégier celle du projet de loi de justice transitionnelle, s’alignant ainsi à l’alliance démocratique et au bloc parlementaire Liberté et Dignité.
De surcroît, bien que la parti Ennahdha a été dès le début un fervent défenseur de la loi de l’immunisation de la révolution, le ministre de la Justice transitionnelle et des Droits de l’Homme Samir Dilou (Ennahdha) s’y est opposé. En effet, lors de son intervention dans la commission des droits et des libertés qui a eu lieu début mars, M. Dilou, a fait savoir que le projet de loi de la justice transitionnelle, auquel la société civile et son ministère ont rédigé est mieux adapté puisqu’il est le fruit d’un consensus et devrait donc passer avant les lois exclusifs.
Le deuxième point de divergence, celui de la dissolution des Ligues dites de “protection de la révolution”, a été également dépassé par Ennahdha, qui accepte les exigences de son partenaire Ettakatol puisque, selon M. Samy Rezgallah, membre du bureau politique d’Ettakatol nous a affirmé que :
Le secrétaire général du gouvernement a déjà demandé au chargé du contentieux de l’Etat de geler les activités des “Ligues de protection de la révolution” afin de recourir à un procès pour les dissoudre
Par ailleurs, jusqu’à maintenant, M. Ali Larayadh n’a pas accepté d’inscrire dans le document commun à ses futurs partenaires au sein de la coalition du pouvoir
- La date limite de son gouvernement, notamment le 31 décembre 2013 et un calendrier clair pour les prochaines élections
- La mise en place d’une commission pour la révision des nominations des 1263 postes administratifs du gouvernement Jebali (maires, délégués, PDGs, Directeurs…)
- Des ministres vraiment neutres et indépendants à la tête des ministères régaliens.
Supposé être le jour de l’annonce du gouvernement, le jeudi 7 mars a été long pour les journalistes qui ont attendu pendant plus de 10 heures l’allocution de M. Ali Laarayadh. Ce dernier a fini par apparaître vers 22h43 pour annoncer que les négociations continuent, que les derniers points sont entrain d’être finalisés et que les dernières touches seront apportées aujourd’hui où il devra se présenter après à l’Assemblée Constituante pour recevoir la confiance des élus du peuple et présenter son programme et la composition de son gouvernement.
[…] effet, lors des négociations faites par Ettakatol avec le nouveau chef du gouvernement, Ali Laarayadh, la condition de dissolution des dites “Ligues de protection de la révolution”” a été […]