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La scène politique tunisienne continue à se décanter lentement mais sûrement. Pour les principaux grands partis politiques du pays, se structurer passe aussi par prendre position les uns par rapport aux autres. C’est chose faite cette semaine pour le Front Populaire, alors que Chokri Belaïd, 40 jours après sa mort, continue d’être une figure qui cristallise autant la colère que l’espoir de la (vraie) opposition.

La nouvelle configuration gouvernementale sur la sellette

La semaine politique du 11 au 17 mars s’ouvrait au rythme convenu du rituel des formalités d’adoption du gouvernement Laârayedh à l’Assemblée constituante. La nouvelle équipe a naturellement bénéficié d’un vote de confiance confortable : 139 voix pour, 45 contre, et 13 abstentions. Le calendrier des futurs travaux parlementaires recueillera quant à lui de moins de consensus, ne prévoyant des élections qu’en octobre qu’à la faveur d’un engagement moral.

A noter la consigne de vote remarquée du parti de la Moubadara de Kamel Morjène en faveur du nouveau gouvernement. Ce qui a valu à Ennahdha les « félicitations » ironiques de Mongi Rahoui du Front Populaire pour ce ralliement du parti incarnant le plus l’ancien régime à l’ANC.

Fait presque insolite, Ali Laârayedh dût s’excuser publiquement pour la l’absence de femmes ministres dans son gouvernement, hormis la controversée ministre de la Femme qui aurait difficilement pu être un homme.

Autre fait marquant durant le grand oral des ministres, assis derrière les ténors et les indépendants, le « semi-indépendant » Salem Labyedh fit face aux feux des critiques cinglantes de Samir Bettaieb.

« Nous nous plainions d’avoir affaire à un ministre idéologique de l’Enseignement supérieur, nous nous retrouvons avec un ministre de l’Education non moins idéologique, menaçant le modèle tunisien et la démocratie, en plus des faucons que compte cette sélection », assène Bettaieb, allusion aux orientations nationalistes de Labyedh, avant d’ajouter, incrédule : « Je ne connaissais pas cet aspect extrême du caractère d’Ali Laârayedh ».

Au même moment, le nouveau gouvernement subissait un désaveu symbolique dans les universités, la gauche UGET raflant la quasi-totalité des conseils scientifiques des facultés, sorte de motion de censure adressée par la future jeunesse diplômée à un pouvoir qu’elle ne reconnait pas.

Du rififi chez Nidaa Tounes

L’autre évènement majeur qui secoua l’actualité d’un début de semaine décidément agité, c’est une interview accordée dès le weekend dernier par Faouzi Elloumi à l’impertinent Samir Elwéfi sur Hannibal TV.

Dérapage contrôlé ou maladresse d’un mauvais communicant, l’homme d’affaires grande fortune et principal financier de Nidaa Tounes assumera sans complexe une filiation entre les destouriens et le RCD et, par extension, une filiation avec Nidaa.

La sortie ne passe pas inaperçue, y compris dans les rangs du parti de Béji Caïd Essebsi, lui qui s’était évertué jusqu’ici à différencier son parti du RCD de Ben Ali, et voit ainsi ses efforts réduits à néant par la phrase d’Elloumi, un homme qui allie un certain cynisme de droite à l’arrogance contre-révolutionnaire.

Tollé des élus représentant Nidaa à l’Assemblée. Ils découvrent, horrifiés, cette réalité droitière de leur propre camp, et signent à l’initiative de Khémaies Ksila un texte incendiaire réclamant le départ du mécène.

L’ennemi intérieur Elloumi est un temps ostracisé, évite de peu la mise au ban, mais surprise (ou pas) en fin de semaine : business as asual, le parti organise un shooting photo montrant la famille Nidaa tout sourire. Opération com’ classique.

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Le Front Populaire enfonce le clou

L’incident et la brève remise en question existentielle de Nidaa qui s’en est suivie n’est pas sans conséquence pour le parti de BCE, affaibli.

C’est en effet ce moment que choisit le parti de Hamma Hammami pour sortir de son silence relatif à propos de son positionnement vis-à-vis de Nidaa Tounes et enfoncer ce dernier.

Lors d’une conférence de presse convoquée jeudi, c’est un Hamma des grands jours qui renoue enfin avec la tonalité révolutionnaire qu’on lui connait. « Le Front n’a pas vocation à rejoindre l’Union pour la Tunisie », dément-il, avant d’ajouter « Pourquoi ne demandez-vous pas à Nidaa Tounes de se joindre au Front Populaire ? », rappelant au passage que le parti de « Bajbouj » n’a pas encore de programme.

Plutôt qu’une gauche radicale se mettant, au lendemain d’une révolution, sous commandement des forces pragmatiques et conservatrices de l’establishment, Hammami revient donc sur une évidence qui coule de source : l’utopie progressiste ne saurait s’accommoder d’alliances électoralistes avec le plus petit des dénominateurs commun du « mode de vie ».

Un combat post révolution qui n’intègre pas la composante sociale, en plus des libertés individuelles, reste superficiel et est voué à l’échec. C’est ce qu’a expliqué Hammami à sa façon.
Il est aussitôt vilipendé sur les réseaux sociaux, traité de mauvais politicien rêveur par les adeptes de la tactique, pour qui politique rime avec calculs.

Pourtant, même politiquement, on ne peut reprocher à la sortie de Hamma Hammami son timing : au plus haut dans les sondages, le Front s’affirme à juste titre comme une sérieuse alternative. Il adopte une audace du discours en adéquation avec son rang et ses aspirations légitimes.

Déjà 40 jours sans Chokri Belaïd

Crédit photo Seif Soudani

Pour entendre un autre son de cloche que celui de « la jeunesse pragmatique » des réseaux sociaux, il fallait être samedi au cimetière el Jellaz où l’on commémorait le 40ème jour de deuil du martyr Chokri Belaïd.

De là est partie une grande marche populaire vers l’Avenue Bourguiba, la plus importante depuis les funérailles nationales du défunt, à l’appel du Front Populaire. Des milliers de Tunisiens ont alterné slogans anti gouvernement islamiste et d’autres réclamant la vérité sur le meurtre.

Une fois de plus, malgré la ferveur et la grande émotion palpables dans le centre-ville de la capitale, les partisans de la gauche radicale tunisienne ont fait montre de civisme. Trop selon certains militants déçus qui regrettent une « convivialité malvenue ».

Quelques heures après une après-midi mi contestataire mi festive, des voix s’élèvent pour signaler une occasion manquée de faire davantage pression dans la rue. Sur la toile, le Liban de feu Hariri est cité en exemple de déstabilisation d’un gouvernement au lendemain d’un assassinat politique, au terme certes d’un long bras de fer avec une population qui a campé dehors des mois durant.

A défaut d’un autre effet immédiat autre que celui de la galvanisation « sur les ruines », la jeunesse de gauche tient en Belaïd une figure structurante de ses luttes futures.

Seif Soudani