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L’Idylle du Néolibéralisme et de l’islamisme

Le discours occidental sur l’Islam et les musulmans est déroutant par son inconstance. De religion permissive et libertine, au Moyen Age, l’Islam est devenu une religion récalcitrante au rationalisme durant la Renaissance et à l’aube des Temps modernes, puis fataliste, passive et fanatique pendant l’ère coloniale, et enfin terroriste et dogmatique ces dernières décennies !

Dans le domaine économique, et pendant les années de décolonisation, des « spécialistes » ont décrété l’incompatibilité de l’Islam avec le Capitalisme, thèse que Maxime Rodinson s’est employé à réfuter dans un ouvrage portant le même titre. Aujourd’hui, le libéralisme devient la panacée qui permet aux yeux de ses promoteurs de faire sortir l’Islamisme de son carcan fondamentaliste.

Pour Vali Nasr (1), après l’échec du sécularisme étatisant et du fondamentalisme contestataire, l’heure est aux « Meccanomics », la nouvelle classe moyenne portée sur l’entreprise.

« La promotion de la démocratie des pays musulmans doit se faire avant tout par le marché en favorisant l’émergence d’une classe moyenne forte » (2) Olivier Roy, dans sa « révolution post-islamiste » abonde dans le même sens affirmant que « L’embourgeoisement des islamistes est aussi un atout pour la démocratie…ou bien ils vont s’identifier au courant salafiste et conservateur traditionnels, ou bien ils vont devoir faire un effort de repenser leur conception des rapports entre la religion et la politique » On trouve même des affinités entre le droit musulman et le management néo-libéral ! « Aujourd’hui dans un contexte néo-libéral, la privatisation de l’économie, des entreprises d’Etat, revêt souvent le visage du waqf ». « Etant défiscalisé », il permet « l’accumulation primitive en échappant à la contrainte de l’impôt ».

«En Turquie, une loi des années 1960 fait une synthèse entre le fiqh et le droit nord-américain de la fondation caritative » d’où « une prolifération de ces néo-waqf, y compris dans le secteur bancaire » « Si les acteurs musulmans se montrent très à l’aise dans le contexte néo-libéral actuel, c’est parce que le droit musulman leur donne des dispositifs institutionnels particulièrement adaptés aux règles du management néo-libéral » (3)

Voilà tout est dit ! On ne sait par quel miracle, cette religion dont « l’hostilité à l’esprit capitaliste n’est pas seulement morale mais inscrite dans la loi » (4) est passée au statut de religion en symbiose avec le néo-libéralisme !

Ce renversement trouve en parte son explication dans la conversion de l’islamisme politique au néolibéralisme : retrait de l’Etat, valorisation du privé, focalisation sur l’individu en lieu et place d’une réflexion sur la réforme des collectifs, reprise des valeurs du monde de l’entreprise… (5) Mais était-il un jour hostile au modèle économique libéral ? Comme le fait remarquer Nicolas Dot Pouillard, dans le discours islamiste : « Les concepts de justice et de liberté ne sont pas couplés avec des questions économiques ou politiques, mais compris dans un cadre « anti-impérialiste »… La vision néo-libérale de certains islamistes, en premier lieu des Frères musulmans est fondamentalement antithétique avec ce qui est supposé constituer l’essence même d’une idéologie se réclamant de gauche » (6)

C’est l’hostilité aux idéologies de gauche qui constitue le dénominateur commun entre les Frères musulmans, le Hizb al Tahrir et la nébuleuse Salafi.

L’adhésion des Frères au Credo néo-libéral les met en porte à faux avec les revendications populaires qui constituent l’assise du « Printemps arabe ».Comme le signale Patrick Haenni : « Ce n’est pas contre l’interventionnisme étatique » que les masses arabes se sont soulevées mais contre « l’autoritarisme et la paupérisation » « Le libéralisme est devenu de facto le seul véritable horizon des politiques économiques dans la région et la bonne gouvernance de l’AKP turc rappelle que l’islamisme sait très bien s’en accommoder…Les soulèvements consacrent l’échec même de ce libéralisme, et portent en eux une demande puissante de l’Etat – providence » (7)

Et par conséquent, à l’inverse des souhaits du Capitalisme local et international : « Les situations postrévolutionnaires ont remis la question sociale au cœur du politique » Ce constat évident n’empêche pas Edmund Phelps d’affirmer que : « Le système qui serait le plus approprié pour la Tunisie et l’Egypte est le capitalisme de base tel que l’ont développé la Grande-Bretagne et les Etats Unis au cours de la première moitié du 19ème siècle » ! (8)

C’est à dire de revivre dans les conditions de misère et de surexploitation qu’ont endurées les ouvriers à l’époque de l’accumulation primitive du Capital ! Et de prôner aux puissances capitalistes de ne point intervenir par des subventions ou des investissements mais « que l’aide étrangère à la région soit de nature technique et qu’elle vise à éliminer les obstacles entravant l’accès aux emplois et aux carrières gratifiantes » Mais ceux qui ont donné leur vie pour que change la réalité ne vivaient pas dans les salons feutrés des congrès ! Ils vivaient dans leur chair les conséquences de l’option néo-libérale !

Victoire inespérée et révoltes trahies

Sacrifiée par les politiques économiques des dictatures inféodées à l’Occident, la jeunesse arabe a été le moteur et la base des révoltes qui ont mis fin à l’immobilisme politique. Réclamant du travail, de la liberté et de la dignité, les jeunes ont réussi là où tous les partis d’opposition ont échoué, à commencer par les islamistes.

Pris de vitesse, ces derniers se sont montrés discrets, hésitants voire même opposés à ce mouvement populaire qui échappait à leur contrôle. Mouvement citoyen, sans direction ni programme ni idéologie, il a pu par sa spontanéité et sa témérité donner l’illusion de dépasser tous les anciens clivages, au point que certains l’ont qualifié de « révolution post-islamiste »
C’était aller vite en besogne ! Les faits ont démontré que ces révoltes n’ont pas remodelé en profondeur les sociétés arabes ni les régimes politiques ! Les élections pluralistes ont partout consacré la victoire des Islamistes, Frères musulmans et Salafistes confondus.

Ce ne sont pas les jeunes qui ont recueilli le fruit de leurs sacrifices, mais l’organisation de la Confrérie, soutenue médiatiquement et financièrement par les pétromonarchies.

Les changements opérés par les islamistes au pouvoir n’ont été que superficiels à l’intérieur et ont préservé, voire même resserré les liens avec les alliés des anciens dictateurs. Contrairement à la révolution iranienne, hormis les ministres, le personnel politique est resté pratiquement le même, ses membres ayant réussi à préserver leurs positions et pour certains à se recycler en « bons islamistes »

Au niveau économique et social, aucun changement n’a été réalisé par rapport à la situation précédente. Aucune transformation des structures économiques et sociales, aucun programme à caractère révolutionnaire et aucune mesure rompant avec l’ancien héritage n’ont été entamés Si parmi ses premières mesures, la révolution iranienne a entrepris la nationalisation des avoirs du Chah et de son entourage, rien de tel n’a été fait.

Les revendications des jeunes, à l’origine des révoltes, ont été sacrifiées pour d’autres problématiques, étrangères aux révoltes, tels la place de la Charia’, le port du voile intégral… Abandonnées à leur sort, les masses populaires continuent à souffrir dans leur quotidien. Bernés par un discours qui se présente comme le défenseur de la Foi et de l’identité, les partisans de la mouvance islamiste ne voient pas les disparités sociales honteuses, la misère quotidienne de millions de déshérités, les dettes externes qui s’accumulent et une dépendance économique qui érode la Souveraineté de leurs pays.

(1) Meccanomics, The March of the New Muslim Middle Class. One World Publications, Oxford 2010. Vali Nasr est conseiller auprès de l’administration Obama

(2) Monde musulman- La solution par le marché. Institut Religiscope 1 juin 2011

(3) www.scienceshumaines.com Jean François Bayart « L’islam républicain, Ankara, Téhéran, Dakar » propos recueillis par Laurent testot

(4) Jacques Austruy. L’Islam face au développement économique 52

(5) www.religions.info Hossam Tammam-Patrick Haenni. Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale

(6) Rapports entre mouvements islamistes, nationalistes et de gauche au Moyen-Orient arabe

(7) Monde musulman- La solution par le marché. Institut Religiscope 1 juin 2011

(8) Un capitalisme du 19ème siècle pour aider les révoltes arabes. Le Monde 25 mai 2011 Edmund Phelps est prix Nobel de l’économie 2006 !