L’intrigante ligue de protection de la révolution (LPR) a appelé le 25 avril à un sit-in devant l’Assemblée Nationale Constituante à Tunis pour exhorter les députés à mettre en place le projet de loi de l’immunisation de la révolution. Ce qui était surprenant était le fait que le parti CPR se joigne à cet appel malgré la réputation désastreuse de cet organisme qui prône la violence, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la rue. Le rendez-vous lancé via facebook a été fixé à 14h, vendredi 26 avril 2013. Nous nous sommes rendu sur place. Il y avait quelques dizaines de membres de la ligue qui avaient installé leur tente, baffles, chaises et micro. Entre chants et slogans, le “diable” contre lequel la LPR manifestait était un seul homme : Béji Caid Essebsi, chef du parti Nidaa Tounes. En effet, on entendait plusieurs criaient : « Essebsi le lâche, collabo des américains … » ou encore « Essebsi, toi le menteur, le vendeur d’alcool ! » … Par contre, les « partisans et militants » auxquels le CPR a appelé au sit-in pour « soutenir et renforcer le projet de loi pour l’immunisation de la révolution», ont été complètement absents. Pourquoi le CPR risque d’être mis dans le même camp que la LPR ? Pourquoi la LPR s’acharne-t-elle autant contre “Essebsi” ? Pourquoi Ennahdha, le parti au pouvoir qui mène la politique tunisienne et les ministères, est-il aussi impassible face aux transgressions des LPR ?
Imed Daimi engage le CPR dans un sit-in avec la Ligue de Protection de la Révolution
Le CPR organise un sit-in côte à côte avec la LPR. Cette information nous a semblé bien intrigante. Après avoir vu l’appel du CPR sur sa page officielle facebook, nous avons donc appelé certains de ses députés pour en savoir plus. Il s’est avéré que plusieurs d’entre eux n’étaient même pas au courant de cet événement ; d’autres croyaient que les partis Ennahdha et Wafa étaient de la fête aussi. En leur apprenant que ces partis n’allaient pas y être, et que seuls le CPR et de la LPR se sont engagés à ce sit-in côte à côte, la surprise des “CPRiens” était évidente.
Pour être certain de l’information, nous avons contacté le responsable de la communication du parti. Ce dernier nous a confirmé qu'”effectivement le CPR allait manifester seul avec la ligue de protection de la révolution devant l’Assemblée Constituante.” Il s’est avéré également que c’est son secrétaire général Imed Daimi qui avait donné cet ordre. Néanmoins, les autres membres du parti n’avaient- semble-t-il- été ni avertis ni consultés …
Il est à rappeler qu’après la crise que le CPR a vécu lors du “feuilleton” du remaniement ministériel, notamment avec le refus de ses ministres de se retirer du gouvernement tel que le congrès du parti l”avait décidé, le SG du CPR Mohamed Abbou a fini par annoncer sa démission et s’en disloquer pour être remplacé par M. Daimi.
Pour certains responsables du CPR, se mettre à manifester avec la LPR, est une erreur politique bien qu’ils aient en commun leur désir de rendre effectif le projet de loi l’immunisation de la révolution.
D’ailleurs, la nécessité de manifester n’était vraisemblablement pas de toute urgence, surtout que ce projet a été déjà adopté, grâce aux députés Ennahdha et CPR, lors de la commission de la législation générale et ce, depuis le début de ce mois d’avril. Serait-ce donc pour presser le bureau de l’ANC à mettre ce projet à l’ordre du jour du calendrier des séances plénières ? Nous avons contacté M. Daimi pour avoir sa version des choses mais il a été injoignable.
Immunisation de la révolution … ou d’Ennahdha contre la concurrence de Nidaa Tounes ?
Le parti Nidaa Tounes ne cesse de concurrencer Ennahdha dans les sondages. D’après le directeur d’Emrhod Consulting, Nabil Ben Ammou, la tendance générale confirme la montée de Nidaa Tounes dans les intentions de vote avec 23,5% et ce depuis le mois de février. Par contre, Ennahdha a perdu, semble-t-il de sa popularité et ne viendrait qu’en deuxième position avec 20% des suffrages en cas de tenue des élections.
Ainsi, pour les leaders de Nidaa Tounes, désignés par la LPR, CPR et Ennahdha comme “premiers accusés et visés par ce projet de loi”, ce projet vise à exclure les Tunisiens, sans passer au préalable par une justice traditionnelle.
De fait, la commission de la législation générale, avait convenu que ceux qui seront exclus de la vie politique, pendant 7 ans seront ceux qui ont occupé des postes depuis le 7 novembre 1987, à savoir :
- La présidence et l’appartenance au bureau politique de l’ex-RCD
- L’appartenance au Comité central, les secrétaires permanents, les secrétaires adjoints, le directeur de cabinet le SG de l’Union tunisiennes des organisations de jeunesses, le directeur du Centre des études et de formation, les chefs d’arrondissements, l’appartenance au Bureau national des étudiants du RCD, les membres des comités de coordination, les membres des fédérations territoriales et professionnelles
- Le Premier ministre, les ministres, les secrétaires d’Etat, les directeurs de cabinet, les membres de cabinet présidentiel ou du président de la Chambre de députés
- Les candidats du RCD à la Chambre des députés ou à la présidence d’un conseil municipal
- Tous les candidats sur des listes du RCD
- Tous ceux ayant lancé des appels à ben Ali pour se présenter à l’élection présidentielle de 2014
A contrario, Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et la justice transitionnelle, qui est pourtant d’Ennahdha, a rejoint, en partie, la position de Nidaa Tounes, en proposant de faire passer en premier le projet de loi de la justice transitionnelle. En effet, au mois de mars dernier, dans une intervention lors de la réunion de la commission des droits et des libertés à l’ANC, M. Dilou a exprimé, clairement, son opposition au projet de loi de l’immunisation de la révolution, un coup de couteau pour la “base d’Ennahdha”.
M. Dilou a expliqué que c’est bien la loi de la justice transitionnelle, fruit de consensus entre la société civile et du ministère, qui doit “précéder les lois exclusives”. Cela signifierait que cette loi d’immunisation de la révolution devra passer plus tard, chose qui énerve la LPR et ses commanditaires.
Entre justice stricto sensu et calculs politiques, seuls les députés seront aptes à choisir le chemin le plus adéquat pour les intérêts et enjeux de cette période, avec la bénédiction du conseil de la Choura qui mène la politique générale du pays. Annoncées pour la fin de l’année 2013 par le Chef du gouvernement Ali Laarayadh, les élections dépendront en effet du passage en premier du projets de loi de immunisation de la révolution (exclusion politique) ou du projet de loi de la justice transitionnelle (sanctions judiciaires).
Les ligues de protection de la Révolution, chouchou du gouvernement
Suivant de près l’évolution de ces ligues transformées en milices violentes contre les manifestations des partis de l’opposition, nous avons rencontré M. Mostafa Tahri, président du comité régional de l’LPR à Tunis. Il s’est présenté comme le “Cheikh des révolutionnaires”. M. Tahri nous a expliqué que la majorité de ceux qui font partie de la Ligue de protection de la Révolution sont des personnes qui ont été emprisonnées sous le régime Ben Ali.
” Nous avons été opprimés, nous avons subi le contrôle administratif. Les membres de cette ligue sont pour la plupart des personnes ayant subi l’oppression, c’est pour cette raison que nous sommes ici » a-t-il affirmé.
Pour son appartenance politique, le cheikh a nié au début toute adhésion à un parti quelconque nous assurant que “la révolution est au-dessus des partis“. Nonobstant, il s’est ressaisi après quelques questions pour nous confier son appartenance au parti Ennahdha. Pourtant, lors de ce sit-in, le parti islamiste n’était pas de la partie, ni celui de Wafa non plus qui vivraient, selon certaines sources, une guerre intestine …
Voulant savoir ce que pense M. Tahri, de ces histoires de Ligues qui récupèrent, par le biais de citoyens, des dossiers de “corruption” pour ensuite faire du chantage aux “corrompus” allant jusqu’à les menacer de mort, le cheikh nous a assuré qu’il n’y a rien de cela. Pour lui, “celui qui a des preuves peut tout simplement porter plainte contre la Ligue”. Nous rappelons que dans l’affaire Dammak, que nawaat a mené, aucune poursuite judiciaire à l’encontre des membres de la ligue, d’ailleurs nahdhaouis, n’a été initiée.
En outre, le groupe syndical de la commission du 4 décembre a découvert au cours de l’enquête, qu’hormis les bureaux des villes de Kairouan et de Gabès, les autres ligues actives dans plusieurs villes de la Tunisie agissent dans l’illégalité la plus totale, à l’instar de celle du Kram, Cité Tadhamen, Zahraa et Hamam Ennef.
Le gouvernement, terreau officiel de l”impunité garantie aux ligues
Outre l’incident insolite de l’attaque contre la centrale syndicale et les différentes démonstrations de force, toujours impunies, l’Etat et les autorités manifestent une inertie outrageante en couvrant les activités de la Ligue. Après la démission du chef du gouvernement Hamadi Jebali et lors des négociations pour le remaniement ministériel sous l’égide de M. Laarayadh, le parti Ettakatol (partenaire d’Ennahdha au pouvoir avec le CPR) ainsi que plusieurs partis de l’opposition ont exigé le gel de la Ligue, et ce conformément au décret-loi n°88 du 24 septembre 2011 relatif aux associations.
Plusieurs associations de la société civile, dont la LTDH, et plus d’une cinquantaine d’avocats ont adressé le 7 mars dernier une mise en demeure officielle au secrétaire général du gouvernement l’enjoignant d’engager les procédures nécessaires pour la dissolution des LPR.
De son côté, M. Samy Razgallah, membre du bureau politique d’Ettakatol, nous a également confirmé que le secrétaire général du gouvernement avait saisi le chargé des contentieux de l’Etat pour geler les activités de la LPR. Pourtant, le 5 avril dernier, la députée Lobna Jribi du même parti, révèle en séance plénière que la promesse du gouvernement n’a pas été respectée et que la décision prise par la Troïka pour geler les activités des “Ligues de protection de la révolution” n’a pas été exécutée.
Cette loi d’immunisation de la révolution ne convainc pas grand’monde, surtout quand on voit Ennahdha utiliser certains rcdistes au lourd passé, pour faire fonctionner l’administration, notamment les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Certains aussi pensent que cette loi n’est qu’un moyen de disqualification de l’adversaire Nidaa Tounes pour les prochaines élections. Par ailleurs, au-delà des calculs politiques, la mise en place, après un long combat de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire a permis un nouvel espoir pour les justiciables et les victimes du passé, surtout avec le projet de loi de la justice transitionnelle. Afin d’éviter les lois exclusives et juger les “présumés tortionnaires” des cinquante ans de dictature, que ce soit Beji Caid Essebsi ou autre, n’est-il pas judicieux d’être équitable, devant une justice qui puisse garantir toutes les conditions nécessaires pour un jugement qui puisse être le plus impartial possible ?
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