Manifestation devant l’ANC, ‎‎Le Bardo, 9 Octobre 2012. Photo : Collectif STOP au Gaz de Schiste en Tunisie

Dans cet article nous allons essayer de simplifier au maximum le langage pour que le lecteur puisse comprendre facilement les termes techniques et suivre ce mythe de « gaz de schiste » en Tunisie.

L’évènement

Plusieurs écologistes, experts et de simples citoyens se sont rassemblés, mardi 9 octobre 2012, et ont organisé une manifestation devant le siège de l’Assemblée nationale constituante (ANC) au Bardo, pour exprimer leur opposition à l’exploitation des gisements du « gaz de schiste » dans le pays.
Les protestataires ont affirmé au reporter de Tunisie Numérique sur place, que l’objectif de leur mouvement est de faire parvenir un message aux députés, sur la gravité et la dangerosité de l’exploitation du gaz de schiste sur l’avenir du pays et des générations à venir. 
Les manifestants ont également affirmé vouloir montrer leur opposition au gouvernement afin de ne pas vendre le pays en accordant des licences d’exploitation de ces ressources. 
Ils ont souligné que les pays européens ont refusé l’exploitation du « gaz de schiste » en raison des impacts négatifs sur l’environnement notamment les ressources hydrauliques.

Tunisie Numérique

Les manifestations contre « le gaz de schiste » s’enchaînaient depuis plusieurs semaines à Tunis. Les mouvements écologistes dénoncent le manque de transparence des autorités. Le gouvernement tunisien a annoncé en novembre 2012 la signature d’un contrat avec Shell pour exploiter cette ressource. Un accord conclu discrètement et promptement sans consulter l’Assemblée nationale constituante (ANC). La compagnie pétrolière Shell est prête à investir dix milliards d’euros. Quatre forages sont prévus dans le bassin de Kairouan, au centre du pays, l’année prochaine. De quoi produire 12000 « barils » par jour à l’horizon 2020 et plus de 70000 à long terme.

Info Sud

Gaz de schiste ou pétrole de schiste ?

Shell veut octroyer un permis de recherche pétrolière, actuellement bloc libre qui ne porte pas de nom, situé dans la Tunisie centrale (Kairouan) et borde du coté Sud -Est le permis EL JEM où la compagnie Thani opère depuis 2005. Shell a signé un contrat d’achat de 80% des intérêts de Thani dans le permis EL JEM. La superficie du permis EL JEM est de 3376 km2 et le bloc libre est presque de la même taille, donc soit au total Shell irait opérer dans un territoire de superficie presque égale à 6500 km2.

Shell a opté pour l’exploration, dite non conventionnelle, à tort du « gaz de schiste », dans cette région, alors qu’en réalité ce n’est pas du gaz mais du  pétrole de schiste. En effet la roche mère qui est un minéral à faible granulométrie riche en matière organique est la formation Bahloul qui a alimenté la formation Abiod (réservoir) en pétrole au gisement Sidi El Kilani situé dans le bloc libre que Shell veut octroyer. Elle est mature en pétrole et non du gaz. Donc en réalité Shell veut exploiter le pétrole de schiste dans cette région ce qui chambarde toutes les idées faites sur cet évènement.

La roche mère Bahloul, riche en matière organique, est située à une profondeur entre 2500 m et 3000 m dans cette région. Elle est d’une épaisseur très faible : 60 m environ, non poreuse et non perméable. D’où la nécessité d’utiliser une méthode non conventionnelle (ou non traditionnelle) pour en extraire le pétrole.

Qu’est-ce la recherche conventionnelle et la recherche non conventionnelle ?

puits-non-conventionnels

 

Quand on fore un puits, dans un gisement « conventionnel », on dégage la pression et on libère le pétrole. En revanche, dans un gisement « non-conventionnel », et à cause de la mauvaise qualité de la roche (peu de porosité et de perméabilité), l’huile reste piégée.

Les puits dans la recherche conventionnelle sont généralement verticaux pour atteindre les réservoirs imprégnés d’huile ou de gaz provenus de la roche mère schisteuse. Si le réservoir est poreux, perméable ou fracturé il n’est pas nécessaire d’injecter de l’eau à haute pression pour rentabiliser l’exploitation des hydrocarbures. Le coût d’un forage pétrolier conventionnel est de l’ordre de 5 à 6 millions de dollars. Cela dépend de la profondeur du puits.

Les puits dans la recherche non-conventionnelle les forages sont plus profonds et horizontaux qui permettent de traverser l’horizon producteur sur une longueur très importante (1à 2 km environ). . C’est le cas dans l’exploration de la roche mère schisteuse non perméable. Nous devons donc faire appel à des techniques plus onéreuses pour parvenir à libérer et récupérer ce fluide, notamment par le forage horizontal combiné à la fracturation hydraulique.

Les ressources dites « conventionnelles » d’énergie sont plus simples et moins onéreuses à extraire. En revanche, les ressources dites « non conventionnelles » nécessitent des investissements plus importants pour analyser les réservoirs géologiques (roche mère). Un forage non- conventionnel peut couter jusqu’à 30 millions de dollars !

Qu’est-ce que la fracturation hydraulique?

forage-horizontal

 

La « fracturation hydraulique » est la dislocation ciblée de formations géologiques peu perméables par le moyen de l’injection, dans le tube de forage et sous très haute pression, d’un fluide (par exemple : 99% eau douce 8000 à 20000 m3par forage + sable + 1% éléments chimiques très dilués et toxiques) destiné à fissurer et micro-fissurer la roche. Le sable contenu dans le fluide sert à garder les fissures ouvertes de manière à favoriser la migration des hydrocarbures libérés le long des fissures, une fois arrêtée la surpression de l’eau. Dès que l’on met fin au pompage, les fissures se referment.

Les principaux risques et les enjeux associés à l’usage de la fracturation hydraulique

Son impact quantitatif sur la ressource en eau : la disponibilité de l’eau et les conflits d’usage potentiels présentent un grand risque dans cette zone.

Le risque de migration des gaz ou des produits utilisés pour la fracturation : les nappes phréatiques étant proches de la surface du sol, leur contamination du fait de la fracturation hydraulique est très probable. Il faut néanmoins contrôler l’intégrité des aquifères profonds salés. S’il y a un risque de pollution du sol et des nappes phréatiques, il est plutôt imputable à la qualité du forage et des installations au sol. Ce besoin en eau peut entrer en conflit avec d’autres usages tels que l’agriculture.

Près de 50% des résidus de fluides (eau + sable + produits chimiques) restent sous terre et les 50 % restants remontent à la surface. Le recyclage de ces eaux polluées est long, très coûteux et fait de nouveau appel à des produits chimiques afin de traiter l’eau.

Comme la Tunisie est un pays semi-aride avec des ressources en eau conventionnelle très limitées (de 500 m3 par habitant et par an par rapport à un seuil de pénurie et un seuil de stress hydrique respectivement de 1000 m3 et 1700 m3 par habitant et par an), il préférable d’utiliser l’adoucissement de l’eau de mer (ce qui est de nature à accroître le coût d’extraction) ou bien utiliser d’autres techniques alternatives telles que :

  • la fracturation au CO2 : technique utilisant le gaz carbonique sous sa forme supercritique entre le gaz et le liquide pour fracturer la roche, coûteuse et techniquement compliquée ;
  • la fracturation électrique : technique consistant à créer des ondes de chocs par le biais d’arcs électriques, testée en laboratoire, encore peu efficace et énergivore ;
  • la fracturation pneumatique : technique consistant à injecter de l’air comprimé en grande quantité pour fracturer la roche, efficace mais nécessitant une très importante quantité d’air ;
  • la fracturation par chocs thermiques : technique consistant à fracturer la roche par l’injection d’eau froide en profondeur.
  • la fracturation au propane sous forme de gel, testée par la société canadienne Gasfrac

Ces dernières techniques restent en phase de recherche en laboratoire à l’heure actuelle.

Impact sur l’environnement : L’extraction du pétrole de schiste par fracturation hydraulique a des effets sur l’environnement. Ces effets sont très prononcés avec les méthodes d’extraction dites non conventionnelles souterraines. Ils sont de différentes sortes : drainage minier acide (oxydation due à l’exposition à l’air et à l’eau d’affleurements de minéraux), déversement de métaux dans les eaux de surface et les eaux souterraines, augmentation de l’érosion, émissions de gaz sulfurés et pollution de l’air par les particules produites lors des phases d’extraction, transport et les activités annexes.

En 2002, environ 97 % de la pollution de l’air, 86 % des déchets et 23 % de la pollution de l’eau en Estonie provenait de l’industrie de l’énergie, qui utilise le pétrole de schiste comme source de carburant

Difficultés et risques d’accidents : La principale difficulté est que l’opérateur doit travailler en aveugle et à distance, sur la base de modèles géologiques et mécanistiques comportant de nombreuses incertitudes. Chaque forage est, de plus, un cas particulier, en raison notamment des variations naturelles du substrat (nature des roches, stratigraphie, pendage, anisotropie, éventuelles anomalies de température et/ou anomalies magnétiques susceptibles de perturber la mesure de la hauteur de fracturation à partir du puits horizontal, ou de perturber certains outils de mesure de mesures de la direction du forage…).

Il faudra de mieux en mieux contrôler la hauteur des fracturations pour qu’elles ne s’étendent pas au delà de la couche de schiste. Ceci est aujourd’hui difficile, faute d’outils de mesure et de contrôle assez précis. On ne dispose aujourd’hui d’aucun moyen de déterminer précisément in situ, en temps réel et à coût raisonnable la hauteur et la profondeur du réseau fracturé dans la formation. Le risque de fracturer la roche environnante, souvent plus perméable augmente quand les couches de schistes explorés sont moins épaisses comme dans le cas de la roche mère Bahloul.

Séisme : Selon le Bitsh Geological Survey, le centre britannique des tremblements de terre, il existe un lien entre fracturation hydraulique et tremblement de terre.

Nuisance et pollution : L’utilisation intense et quotidienne de plusieurs camions lourds à moteur (des dizaines à savoir des centaines) va émettre de bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route ou aux riverains, sans parler du risque d’ émettre de fumées, de gaz toxiques, corrosifs ou odorants, dans des conditions susceptibles d’incommoder la population ou de compromettre la santé et la sécurité publiques.

Les réserves récupérables

Dans le cas des hydrocarbures non conventionnels, l’évaluation des ressources récupérables est beaucoup plus compliquée. Les hydrocarbures étant diffus dans la roche et le rendement de la production difficile à prédire apriori.

Supposons que la ressource est très importante (maturité principalement fenêtre à huile, pétrole de schistes) mais pourrons-nous la transformer en réserves et en production ?

D’après Roland Vially, (IFP Energies nouvelles) un puits non conventionnel ne peut produire que 328500 Barils pendant 5 ans soit 180 Barils par jour. Au-delà des premières 5 années la production est nulle.

Durant 15 ans de développement du champ, et si on met en production 1 puits par jour soit au total 5475 puits la production cumulée sera 2 milliards de Barils avec un plateau de production de 365000 pendant 10 ans.

pofil-production-puit

 

Economicité du projet

Selon une étude estimative américaine, le coût de production d’un baril de pétrole non conventionnel dans un complexe américain de stockage (comprenant des camions citernes pour livrer de l’eau pour le procédé de fracturation, des camions à pompe injectent un mélange d’eau, du sable et de produits chimiques dans le puits, des camions citernes transportent l’eau récupérée et stockée dans des puits ouverts puis transportée à l’usine de traitement, réservoirs de stockage de pétrole et camions citernes pour acheminement du pétrole vers un pipeline) est évalué entre 70 et 95 USD (estimation en 2005).

acheminement-gaz

 

Shell, comme toutes les grandes compagnies pétrolières, va charger les frais de l’”Over Head” c’est-à-dire les frais des travaux de la maison mère (siège), au moins une charge égale à 15% du coût du Baril. Par conséquent le prix de revient va être égal à110 USD environ. Or le Baril actuellement se vend à 110 USD. Conclusion : bénéfice nulle !

Impact sur l’emploi

Comme cette méthode non conventionnelle d’exploitation est nouvelle pour la Tunisie, une grande compagnie comme Shell va recourir à l’emploi des experts expatriés et pour la main d’œuvre nous espérons qu’elle sera locale. Cependant, le nouveau Code d’investissement, stipule autoriser dans l’article 11 à toute entreprise étrangère désirant de s’installer en Tunisie d’exporter de la main d’œuvre, ce qui permet de contribuer au développement du chômage.

La loi sur les hydrocarbures

Il faut noter l’absence de cadres juridiques et fiscaux adaptés à l’exploration des hydrocarbures non conventionnels, en Tunisie. Il faut commencer par la restructuration des secteurs de l’énergie et à l’instauration d’un dialogue sérieux sur les choix stratégiques à adopter dans ce domaine.

La loi sur les hydrocarbures devrait être modifiée afin d’introduire la réglementation nécessaire pour exploiter le gaz ou le pétrole non conventionnel, qui pourraient devenir une nécessité pour permettre au pays de satisfaire la demande locale et d’assurer son indépendance énergétique à l’horizon 2050.

Conclusion

Les ressources récupérables dans la région où Shell va opérer en pétrole non conventionnel (et particulièrement en pétrole de schistes) sont certainement très importantes bien qu’encore mal chiffrées.

Produire ces hydrocarbures de roche-mère en quantité commerciale nécessite de faire de très nombreux forages (forages horizontaux et fracturation hydraulique).

Bien qu’employant des techniques maîtrisées et pouvant être encore améliorées, cette production a un impact environnemental plus important que la production d’hydrocarbures conventionnels.

Le volume des investissements à réaliser, les contraintes environnementales et l’acceptation sociétale seront des freins au développement de cette ressource.

Pour le moment il faut doubler d’efforts pour l’exploration des hydrocarbures conventionnels, d’accélérer la réalisation des grands projets retardés et de procéder au traitement effectif des dossiers de corruption dans le secteur.