Je tenterai d’analyser le phénomène sociétal de l’intégrisme en Tunisie, laissant de côté la dimension politique ou encore socio-économique. L’intégrisme est à prendre ici dans son sens le plus large, c’est-à-dire le fait de vouloir assujettir l’Autre aux mêmes habitus du groupe.
Ce qui m’interpelle ici dans les récents événements qui ont secoué le paysage tunisien, notamment les derniers affrontements entre les forces de l’ordre et des groupes de jeunes appartenant au courant salafiste connu sous le nom d’Ansar al Chariaa, ce sont plutôt les réactions de la «plèbe». En l’absence de statistiques, force est de constater, à travers les discussions et les opinions que les gens émettent un peu partout désormais (ce qui est une bonne chose), que le vrai problème ne réside pas réellement dans la montée de groupuscules extrémistes qui seraient financés, dit-on, par des mentors étrangers, mais bien au-delà. Je dirais que ces groupuscules ne sont que la conséquence de cet intégrisme social poussé à son extrême.
S’il y a une vérité qui ne laisse pas de doute, c’est bien l’intolérance de la majorité vis-à-vis des minorités et les individus anticonformistes. Car, au lieu de questionner la légitimité d’un tel congrès ou l’action d’un tel individu, tel qu’Amina de Femen qui s’est rendue sur les lieux des affrontements à Kairouan, la majorité des gens, y compris une bonne partie de «l’intelligentsia» tend à penser que la société tunisienne fait face à la montée de deux formes d’extrémismes lesquelles doivent être combattues par tous les moyens : les salafistes avec leur mode de penser importé lequel, dit-on, ne reflète pas le «vrai» Islam d’un côté et, de l’autre, Amina et ses agissements «scandaleux» voire «criminels» tout aussi importés. Il y en a même qui sont allés jusqu’à suggérer de les tuer, de les emprisonner. Ceux qui ont plus d’humour ont proposé, photo montée à l’appui, sur les réseaux sociaux de marier Abou yadh, le chef spirituel d’Ansar al Chariaa et Amina de Femen, histoire de joindre les deux extrêmes, comme s’ils étaient les deux côtés d’une même médaille. Laquelle médaille serait nocive pour le bien-être et la légendaire modération de la majorité jadis silencieuse.
Il faut voir dans ce mode de penser, qui est plus proche du prêt-à-penser, une vraie phobie. J’ose la nommer une libertophobie. Je préfère ce terme un peu barbare à celui de liberticide, car dans ce dernier réside le symptôme, alors que se trouve, dans le premier, l’origine du mal.
Nul besoin de pérorer sur l’ancien régime et les changements actuels. Il suffit de regarder avec un peu de recul la société tunisienne dans sa globalité pour comprendre cette libertophobie. La Tunisie a toujours été une société conservatrice en surface, bien que diverses vagues d’envahisseurs, de courants de pensées et de religions s’y soient succédé. La société a su maintenir une certaine homogénéité en apparence et a incessamment tenté de nier et de camoufler les différences, même si celles-ci sautent aux yeux. Quid de l’histoire de l’esclavage et de son héritage, quid des penseurs libres, quid des confréries soufies et des saints, quid des homosexuels, etc ?
Evidemment, il s’agit-là d’une liste hétéroclite dont les éléments n’ont visiblement aucun lien en commun et pourtant, si.
- On a libéré les esclaves (on a été contraint de le faire, en réalité), mais leurs descendants se doivent de rester dans une position inférieure (d’où le sobriquet de wsif/wsifa qui signifie serviteur). Il existe donc une peur – ancrée dans l’inconscient collectif – de les voir libres et de devoir ainsi reconnaître ses propres torts et son racisme viscéral.
- Au même titre que le cercle de Socrate dans la Grèce antique, les libres penseurs – je ne parle pas ici des intellectuels de salon qui jadis picoraient autour du palais présidentiel et aujourd’hui font dans le populisme – ont toujours été mis au ban de la société et vus comme des persona non grata et à moitié dérangés à cause de leur différence et de leur liberté idéologique. Citons le poète national Abou El Kacem Chebbi (ostracisé par ses pairs) ; le groupe littéraire Taht Essour, qualifié par l’actuel ministre de l’enseignement supérieur de «bande de voyous» ; l’historien et penseur Hichem Djaït, le poète et journaliste Taoufik Ben Brick ; les blogueurs « révolutionnaires de 2007 à 2010» ou encore la féministe égyptienne Nawal Saadaoui, etc.
- Les confréries soufies ont toujours existé ainsi que les saints et leurs mausolées, mais officiellement tout le monde se considère comme musulman et on ne parlait que de l’Islam un et indivisible et sans intermédiaires.
- Les homosexuels existent, comme partout ailleurs, et tout le monde le sait, mais officiellement, on préfère mettre des œillères. On va même jusqu’à considérer l’homosexualité comme un égarement de jeunesse, l’homme passif comme une femme manquée et l’actif, lui, comme très viril.
Cette négation de la différence reflète une réelle phobie de l’Autre, celui qui diffère et qui semble menacer l’unité illusoire de la société. Aujourd’hui, l’Autre est le salafiste qui veut organiser un congrès pour exprimer (imposer) sa vision du monde et c’est aussi la femme/individu qui voudrait s’imposer en choquant par son corps (quitte à renvoyer le collectif à sa régression marsupiale).
Pourquoi en vouloir aux deux et les mettre sur un même pied d’égalité comme s’ils avaient le même modus operandi ? Tout simplement parce que ces deux idéologies diamétralement opposées, dévoilent au grand jour, l’hétérogénéité qui était latente (parce que réprimée) jusqu’au 14 janvier 2010. La majorité silencieuse est donc sortie de son silence, mais pas encore de son idéal illusoire qui voudrait gommer les différences et vivre dans un ersatz de société uniforme et conformiste. Un bon Tunisien doit avoir les mêmes habitus que son groupe : s’habiller et manger comme tout le monde, croire en Dieu et se déclarer musulman, pratiquer modérément comme tout le monde, fumer, aimer le foot, cacher ses vices, vanter le pays devant les étrangers, etc. Une bonne Tunisienne doit se montrer pudique et de bonne famille, ne doit pas fumer, ne doit pas rire très fort, etc.
Dans ce sens, le gouvernement et les structures étatiques qui lui sont assujetties jouent le jeu de la majorité et répriment la tenue d’un congrès d’Ansar al Chariaa, lequel groupe avait déjà organisé un congrès en présence même de quelques élus de la troïka au pouvoir, tels que Sadok Chourou et Abderraouf Ayadi. Sans vouloir se lancer dans une analyse politique, il semble bien que cette manœuvre de répression serait une façon pour le gouvernement de calmer la majorité après les récents événements du Mont Chaambi – où l’armée a fait face à un groupe de combattants qui avaient miné la montagne – et de s’assurer de la sorte d’être plébiscité aux prochaines élections dont l’attente ressemble de plus en plus à celle de Godot. Par la même occasion, le gouvernement voudrait montrer qu’il est contre tous les extrémismes et en profiter afin de redéployer le dispositif sécuritaire de l’ancien régime. Alors la jeune fille de Femen a été arrêtée pour son intention de commettre des gestes immoraux et les barbus qui allaient à Kairouan ont été empêchés de s’y rendre. Voilà qui plaît à la majorité limbique et donne une impression de modération à un gouvernement conservateur à l’image de sa société.
Dans un régime démocratique, les extrémistes ont le droit de tenir un congrès à condition de respecter les lois et de ne pas inciter à la haine et au meurtre et les citoyens ont le droit de circuler n’importe où c’est permis sans qu’on les arrête pour leurs intentions.
En Tunisie, combien sont les personnes qui défendent à la fois la tenue d’un tel congrès de salafistes et le mode d’expression de Femen ? Pas beaucoup. Voilà le nœud du problème, l’origine du mal qui a toujours rongé la société tunisienne et qui l’expose à un fascisme rampant. Tant que cette libertophobie collective persiste, il n’y aura pas de progrès social.
je dirais que c était voulu pour que les 2 idéologies s affrontent et le gouvernement se positionne dans la scène politique en tant “modérateur” et reprend la confiance de l oxydant puisqu ils cherchent de regagner la confiance de l extérieur pour prolonger leur espérance de vie politique ils tiennent à un mondât de 5 ans… en 02 mots c est de la manipulation que la Tunisie payera la facture lourde…
Bonne analyse, à ceci près qu’elle ne creuse pas assez la question.
En fait, ce qu’on a en Tunisie, d’un point de vue psychosociologique, c’est une phobie de soi; et c’est parce qu’on refoule en notre inconscient nombre de questions sensibles qu’on ne veut pas évoquer ou à peine en les caricaturant, qu’on développe le phénomène hystérique auquel on assiste.
C’est moins de solutions politique ou économique dont le Tunisien a besoin en priorité que d’une psychothérapie de groupe.
Et cela impose que tout un chacun en mesure d’aider à ce travail nécessaire d’y participer sans langue de bois ni superficialité, quitte à heurter la logique conformiste d’une société qui fait du principe de réalité réducteur et caricatural une protection et une sauvegarde d’une certaine marge de liberté.
En un mot, il n’y a point de phobie de liberté que d’attachement brouillon à une liberté sans limites et donc anarchique que contrarie une psychologie livrée à une totale confusion des sentiments. C’est donc la deuxième phase de la révolution du jasmin à laquelle on doit s’atteler tous, une révolution des mentalités à laquelle, contrairement à ce que l’on pense, c’est moins le peuple qui n’y est pas prêt que ses élites.
Un point de vue interessant. Comment peut_on ne pas etre proie a L integrisme INTEGRAL en Tunisie en ce moment!
“En Tunisie, combien sont les personnes qui défendent à la fois la tenue d’un tel congrès de salafistes et le mode d’expression de Femen ? ”
je suis pour un congrès Femen aussi.
pour les salafistes, je suis aussi pour réduire leur expression à ce qui n’est pas violence.
Agissements «scandaleux» voire «criminels» ? La provocation n’est scandaleuse qu’aux yeux des esprits étroits , la provocation est un outil pour réveiller les esprits endormis ou assujettis . On ne saurait mettre sur un pied d’égalité le terrorisme des salafistes et les provocations artistiques qui demeurent, elles, pacifiques
Mestiri, je cite les mots que les gens ont utilisés, d’où les guillemets, car tout le texte va dans le sens de ce que tu avances.
Je sais que ma syntaxe n’est pas facile à suivre, mais le sujet de la phrase est :« la majorité des gens, y compris une bonne partie de «l’intelligentsia» tend à penser que … »
Pour ne pas rester dans l’optique du Bouddha qui contemple son nombril sans regarder autour de lui, je propose de prendre connaissance d’une vision non tunisienne des Femen, publiée il y a quelques semaines par le journaliste russe Mikhail Gamandiy-Egorov qui a écrit:
“L’organisation dont le but est soi-disant de « défendre » les droits des femmes et dont le nom est FEMEN prouve une fois de plus par ses actions que leur « lutte » n’a rien à voir avec les droits des femmes qu’elles sont censées défendre. La longue litanie de leurs attaques violentes contre des lieux consacrés chrétiens et musulmans, indique plutôt un mouvement anticlérical extrémiste mais également orienté.
Dernière action en date : l’attaque à l’encontre de l’Archevêque de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, André-Joseph Léonard, lors d’une conférence à l’Université Libre de Bruxelles, l’aspergeant d’eau bénite avec des statuettes en plastique en forme de Vierge Marie, accompagnés de cris vulgaires dont les FEMEN seules connaissent le secret. Malgré cette attaque dans un style propre aux FEMEN, Mgr André Léonard est resté impassible face aux « sextremistes » et après évacuation de ces dernières, s’est saisi d’une des statuettes représentant la Vierge Marie pour l’embrasser. Un exemple d’humilité, de sagesse et de dignité. D’ailleurs probablement la meilleure réponse qui soit face à de tels actes.
Alors que l’Assemblée nationale en France vient d’adopter la très controversée loi du « mariage pour tous », ce qui est indéniablement un nouveau coup pour les valeurs traditionnelles et culturelles non seulement européennes, mais probablement au niveau de toute l’Humanité, il est intéressant de se pencher sur ce que représente véritablement cette organisation.
Comme nous le savons déjà, le groupe FEMEN a été fondé à Kiev, en Ukraine. Après maintes « actions », dont certaines honteuses, notamment lorsqu’elles ont scié une croix au centre de Kiev en mémoire des victimes de répressions religieuses et politiques durant la dictature stalinienne, elles ont « déménagé » leur siège à Paris. En réalité ces « demoiselles » ne font qu’adopter un style primitif pour se médiatiser au maximum et ne font qu’accroître la désapprobation, y compris au sein de nombreux milieux féministes.
Mais ce qui importe vraiment dans tout cela, c’est de savoir qui sont derrières ces ultras sexistes et qui les manipulent comme de vraies petites marionnettes. On dit qu’elles sont financées par des milieux d’affaires européens et américains. Intéressant… mais à part cela ? Qui se trouve tout en haut de la pyramide ? Quelques noms circulent : le milliardaire allemand Helmut Geier, la femme d’affaires allemande Beat Schober, ainsi que l’homme d’affaires américain et patron de presse Jed Sunden. George Soros est également mentionné.
Le mot d’ordre aujourd’hui des FEMEN : combattre les religions par tous les moyens. Le christianisme, aussi bien catholique qu’orthodoxe, a été le premier visé. Puis, ce fut au tour de l’islam de devenir également la cible des « filles » aux seins nus. Bien que géographiquement leurs actions antimusulmanes se soient déroulées dans des endroits où elles ne risquaient de toute façon pas grande chose : en Allemagne, en France. Il aurait été intéressant de les voir s’essayer à faire de même en Arabie saoudite ou au Qatar, en Turquie l’accueil fut déjà tout autre.
Mais si le christianisme et plus récemment l’islam sont ouvertement visés par FEMEN, et que les églises ainsi que les mosquées sont des cibles privilégiées du mouvement « féministe », on n’a jamais entendu parler ne serait-ce qu’une fois d’une de leurs actions en Israël ou ailleurs, dans une synagogue ou pourquoi pas devant la Knesset. Étonnant ? Oui car connaissant le débat qui existe dans la société israélienne sur la place de la femme et les nombreuses actions organisées à ce titre par les féministes israéliennes, il est très étonnant d’observer le silence assourdissant des FEMEN à ce sujet. On ne s’attaque pas aux sponsors ? Ou alors c’est BHL, un autre grand admirateur et inspirateur des FEMEN qui sera déçu ?
N’ayant reçu aucune réponse officielle de leur part à ce sujet, nous posons cette question ici. Personnellement, je ne soutiendrais en aucun cas une « action » dans une synagogue, au même titre que dans une église ou une mosquée car je pense que le respect de chaque personne et de ses convictions doit prévaloir dans un monde où la violence et l’intolérance règnent constamment. Mais pour revenir à nos militantes du FEMEN, il est très surprenant de voir que dans cette « lutte contre les religions », il y a des bons et des mauvais. Ceux sur lesquels il est possible de s’acharner d’un côté et les intouchables de l’autre. Ceux dont les valeurs ne sont pas à respecter et ceux qu’il faut éviter de blesser. Les FEMEN cachent tant bien que mal que leur « lutte » est ouvertement raciste et discriminatoire. En ce qui concerne les chrétiens et les musulmans, ainsi que leurs relations mutuelles, la seule chose à souhaiter c’est de ne pas céder à la provocation, y compris lorsque cela les concerne réciproquement, et de rester dignes et sages en toutes circonstances”.
J’ai oublié d’ajouter une question concernant la Tunisie pour conclure ma citation de l’article de Mikhail Gamandiy-Egorov: Supposons qu’Amina se soit dirigée vers la grande synagogue de Tunis ou celle de Djerba ou vers un cimetière juif pour taguer et accomplir un acte de profanation, quelles seraient les réactions de ceux et celles qui mènent campagne pour Amina en Tunisie et en France? Je me contente de citer quelques noms en France: Nadia El-Fani habituée des visites en Israël “pour servir la cause palestinienne” (mais non pas à Gaza). Elle a remporté un prix au Festival International du cinéma à Ouagadoudou (c’est l’équivalent des Oscars, mais le niveau est celui des Nobel) pour une oeuvre cinématographique très originale où elle faisait un parallèle entre la multiplication des cellules islamiques en Tunisie et celle des cellules cancéreuses dans son propre corps. Il faut vraiment du génie pour trouver ça. Elle n’a toutefois pas expliqué si le cancer dont elle était atteinte était au niveau de sa cervelle. Mais revenons à nos brebis. Elle vient de publier en collaboration avec l’islamophobe Caroline Fourest un article incendiare dans Marianne vilipendant les Tunisiens anti-Amina. Dans le même Marianne un autre article de la sioniste soft, Martine Ghozlan, spécialiste du monde arabo musulman, allant dans le même sens. Martine Ghozlan n’est pas seulement journaliste spécialiste du monde arabo-musulman et de la religion musulmane dans Marianne, mais aussi une femme de lettres. Elle a publié chez Grasset “Le sexe d’Allah” dont le premier chapitre est intitulé”: Le sexe du Prophète”. Très objectif et très élogieux tout cela. On ne peut pas accuser Martine d’être mal informée sur l’islam ou la Tunisie. Elle se vante d’avoir comme principale source d’information, la grande militante des droits de l’homme Bouchra Belhadj Hamida qui juste après le dernier disours de Ben Ali était soudain apparue sur Tunis 7 avec son visage radieux de vache-qui-rit-et-qui hurle: Je fais confiance à Ben Ali, laissez-moi le redire en Français: Je fais confiance à Ben Ali. Du beau monde, tout ça.