L’ONG Al Bawsala fête aujourd’hui son premier anniversaire. Pour sa présidente, Amira Yahyaoui, qui a mis en place le projet marsad, un observatoire de la constituante, le chemin est encore long vers l’adoption du projet de constitution et les prochaines élections.
Nawaat : Quel bilan peut-on faire du travail de l’ANC aujourd’hui alors que le draft final vient d’être terminé ? Est-ce envisageable de prévoir de nouvelles élections pour la fin 2013 ?
Amira Yahyaoui : Selon moi, c’est inimaginable d’envisager des élections pour la fin 2013. Au mieux ce sera mi 2014, sachant que selon le calendrier, la lecture de la constitution en séance plénière ne commencera que début juillet 2013. On compte au moins trois mois de débats, sans compter la nouvelle ISIE à mettre en place. Il y a également la loi sur la justice transitionnelle. Cela fait plus de sens qu’elle passe avant la constitution étant donné les pressions sur cette loi. Elle compte 77 articles donc cela implique minimum un mois et demi de débats. Donc finalement les discussions autour de la constitution pourraient être repoussés qu’à début septembre 2013 au profit de la loi sur la justice transitionnelle. Personnellement, je pense qu’il faut prendre le temps nécessaire et si l’on est optimiste, les élections n’auront lieu qu’en octobre 2014.
Pour ce qui est du bilan, il y a encore de grands points d’interrogation. Par exemple rien n’est dit sur l’échec du vote sur la constitution. Si le vote en plénière échoue ainsi que le référendum, que fait-on ? Normalement l’assemblée devrait s’auto dissoudre mais c’est un point qui ne semble pas avoir été évoqué. On est donc face à une assemblée qui n’imagine pas qu’elle a une fin.
Nawaat : Dans les débats qu’Al Bawsala mène en régions avec les citoyens, l’urgence porte plutôt sur la constitution ou l’organisation des prochaines élections ?
Amira Yahyaoui : Aujourd’hui, les gens visualisent mieux les élections et leurs enjeux. Leur priorité va donc plutôt vers le calendrier électoral que vers l’ANC. Malheureusement, ils ont une image assez négative de l’ANC, à tort peut-être. L’assemblée est liée selon eux, à certains échecs de la transition démocratique. Ce qui est grave c’est que l’ANC est perçue comme l’élément qui bloque le pays.
Nawaat : Est-ce qu’il s’agit pour vous d’un problème qui vient de l’ANC en elle –même ou peut-être d’une certaine image déformée par certains médias ou certains députés ?
Amira Yahyaoui : On aurait pu dire ça aux débuts de l’ANC, que celle-ci était victime des premiers pas de certains politiques ou des maladresses médiatiques. Mais là, ça fait deux ans, et l’image n’est toujours pas très bonne. Le problème c’est que certaines images marquent plus que d’autres les citoyens lorsqu’ils voient les débats. Un scandale comme l’affaire du vol du cahier de Salha Ben Aïcha va marquer les esprits et c’est grave car cela offre une image très réductrice de l’Assemblée, alors que beaucoup d’ élus travaillent vraiment. Dans tous les parlements du monde, on retient souvent une phrase ou une attitude qui a pu marquer un changement dans les débats parlementaires. Ici, ce que les gens retiennent, c’est « république bananière » et « je vomis cette assemblée ». Des personnages comme Brahim Kassas qui s’expriment à tout va ou Mustapha Ben Jafaar qui hurle pour rétablir le silence sont malheureusement les éléments que les gens retiennent le plus. Dans les débats que l’on a pu faire dans les quartiers populaires, on remarque que les citoyens demandent surtout des comptes aux élus. Ils n’essayent pas par exemple, de se prendre en photo avec eux, phénomène que l’on peut observer dans d’autres pays. Cela révèle un manque d’admiration assez flagrant et un manque de reconnaissance surtout de leur représentativité en tant qu’élus du peuple. Ce n’est donc pas qu’une question de contenu, il y a aussi un déni de l’existence même de cette assemblée au sein de la population.
Nawaat : Est-ce que ce problème d’image de l’ANC n’est pas dû aussi à un manque de communication ?
Amira Yahyaoui : La communication est une des plus grandes défaillances de l’Assemblée. Il y a un problème au niveau de la culture de la transparence qui se voit aussi chez les élus qui par exemple, nous reprochent de donner une mauvaise image d’eux en voulant tout montrer. En plus, Mustapha Ben Jafaâr l’a dit clairement, il ne croit pas à cette notion de transparence. Il est dans une politique du Top-down qui crée finalement plus de problèmes. Cela dépend bien sûr des élus. Beaucoup nous donne aussi des informations et des documents désormais et nous avons un accès direct aux commissions et à leurs travaux.
Nawaat : Mais par exemple pour les salaires ou les déclarations de patrimoine, la limite entre transparence et atteinte à la vie privée n’est-t-elle pas fragile et sujette à beaucoup d’interprétations ?
Amira Yahyaoui : Oui mais c’est toujours pire quand on cache. Par exemple, beaucoup de Tunisiens pensent encore que Meherzia Labidi gagne 10 000 dinars de salaire. Ce n’est pas le cas. Je pense que les députés auraient du faire leur déclaration de patrimoine avant même leur entrée à l’ANC. En plus ce qui est bien aujourd’hui, c’est que ces déclarations ne sont pas faites seulement à la cour des comptes mais pour tous les Tunisiens et nous publierons prochainement certaines déclarations dans le détail.
Nawaat : La publication des listes des absents ou même du détail des votes de chacun n’a-t-il pas permis de faire progresser les choses en faveur de plus de discipline pour les élus ?
Amira Yahyaoui : Il y a une vraie progression, beaucoup d’élus par exemple, essayent de justifier leur absence. Mais nous, notre but n’est pas de faire une surveillance comme la direction d’une école. Ce qui nous préoccupe, c’est que certains votes ne sont pas représentatifs car ils passent sans la majorité des élus présents, comme le vote sur le nouveau gouverneur de la banque centrale. C’est pour cela que nous avons publié dès maintenant les absences, afin que lors des votes cruciaux sur les articles constitutionnels, tous les élus soient présents pour voter. Cette campagne sur l’absentéisme est nécessaire pour changer les mentalités.
Nawaat : Vous n’avez pas peur justement d’une recomposition politique de l’assemblée qui pourrait avoir lieu lors du vote de la constitution ? On a vu que certains élus n’hésitaient pas à changer de parti depuis les élections et même à reformer des coalitions comme le groupe Wafa ?
Amira Yahyaoui : Nous sommes en travailler là-dessus afin de montrer quel élu appartient désormais à quel parti. Le changement de groupes des élus peut avoir un impact sur les votes. Par exemple dans le cas du prêt du FMI, chaque élu parlait plus pour lui-même et non pour son parti, on voyait même des élus d’Ennahdha manifester leur désaccord avec le projet du gouvernement. Or, pour la constitution, c’est autre chose car celle-ci touche à l’identité. Elle touche au fondement de la personne de chaque élu. Donc la loi du mercato comme on dit n’aura pas forcément lieu. Je pense que ceux qui ont un regard conservateur, continueront de voter de façon conservatrice quelque soit le parti et vice-verça.
Nawaat : Pour ce qui est des partis politiques, la loi sur l’immunisation de la révolution fait également beaucoup débat à l’ANC, que pensez-vous de cette loi?
Amira Yahyaoui : Pour moi ce genre de discussions sur la loi me rappelle celui sur la nationalité et la religion du futur président de la république. Je suis bien placée pour être absolument contre les RCDistes mais je suis aussi contre le fait de dicter aux gens pour qui ils doivent voter. Si les gens décident de voter RCD, malheureusement, on ne peut rien y faire. De plus c’est à la justice de décider qui a fait du mal au peuple et comment les sanctionner. Mais faire ce genre de lois sans processus de justice transitionnelle, c’est vraiment dans une volonté d’exclure un ennemi politique.
Propos recueillis par Lilia Blaise
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