circoncision

Le docteur Moez Cherif est médecin pédiatre, président de l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant. Toujours en première ligne pour défendre les droits des mineurs, son association a mené, pour la deuxième année consécutive, une campagne de circoncision gratuite à l’adresse d’enfants de familles nécessiteuses. Mais comme l’année dernière, les chefs de service de chirurgie ne se sont pas montrés très coopératifs, et, alors qu’à Siliana tous les enfants ont été renvoyés chez eux sans acte chirurgical, à Aïn Soltan , dans la région de Ghardimaou, les opérations se sont pratiquées sous anesthésie locale. Or l’association essaie de faire pratiquer cet acte chirurgical dans des hôpitaux et sous anesthésie générale pour le bien-être et la sécurité des enfants.


Nawaat : Combien d’enfants ont été concernés par cette action cette année et l’année dernière ?

Dr Moez Cherif : L’année dernière on a eu un nombre relativement important car plusieurs centres étaient impliqués. L’action était organisée en partenariat avec l’association de chirurgie pédiatrique et le conseil de l’ordre des médecins. Il y avait entre 20 et 30 enfants par centre à Zaghouan, à Gabés, à l’hôpital des enfants de Tunis et au Kef, ainsi qu’une cinquantaine d’enfants à Kasserine. Ces enfants ont été pris en charge par l’association de Défense des droits de l’enfant et l’Association des chirurgiens pédiatres.

L’année dernière à Zaghouan les enfants ont dû être circoncis au sein du service d’orthopédie, le service de chirurgie ayant refusé d’ouvrir ses portes. Le service de chirurgie de Gabès a également refusé. Les enfants ont été circoncis aux urgences. Le service de chirurgie pédiatrique de Sfax a refusé de prendre en charge les enfants en alléguant que le plateau technique n’était pas suffisant pour prendre en charge un si grand nombre d’enfants le même jour.

Cette année, c’est le service de chirurgie de Siliana qui a refusé de nous accueillir, alors même que nous avions l’accord de la direction régionale de la santé de Siliana et du directeur de l’hôpital. Nous n’avons rien pu faire. Vingt-cinq enfants étaient convoqués. Nous apportions l’équipe médicale, paramédicale, les produits médicaux consommables nécessaires. Nous avions uniquement besoin d’une enceinte hospitalière avec la sécurité qui en découle. Il y avait deux chirurgiens pédiatres qui allaient se déplacer bénévolement ainsi que des aides soignantes et un anesthésiste.

Le refus a été motivé par le fait que le bloc central est pluridisciplinaire, qu’il s’agissait d’un dimanche et que l’équipe était restreinte. Or, on ne comptait pas sur l’équipe de garde, mais sur le personnel qui se déplaçait bénévolement de Tunis.

Le chirurgien de l’hôpital a refusé de donner accès au bloc opératoire, arguant qu’il suffisait de pratiquer cet acte sous anesthésie locale.

Nawaat : Pourquoi avoir refusé de le faire ?
Dr Moez Cherif : Nous sommes une association de défense des droits de l’enfant. La circoncision est faisable sous anesthésie locale mais nous pensons que cet acte peut être fait sans traumatisme de l’enfant et en toute sécurité. Il s’agit de ne pas agresser les enfants. Cet acte peut se faire sans traumatisme, sans douleur, sans tenir les enfants de force… Par ailleurs, que signifie le fait de refuser l’accès à des enfants à une structure hospitalière publique, alors que les structures locales avaient donnés leur accord ? L’accès à un hôpital ne peut être refusé à des enfants citoyens tunisiens qui ont le droit de se faire circoncire dans une structure publique.

Nous n’avons pas compris.

Nawaat : Pensiez-vous rencontrer ces problèmes cette année ?
Dr Moez Cherif : L’année dernière nous avons trouvé un hôpital fermé, aux portes cadenassées. Le ministère de la Santé avait rapidement réagi pour faire rouvrir les portes et avait émis une circulaire demandant à toute les structures sanitaires d’ouvrir les services compétents trois jours pendant le ramadan pour circoncire les enfants. Cette année nous pensions que c’était une chose acquise. En fait pas du tout, le problème est le même et les enfants n’ont pas pu être circoncis.

Nawaat : Et comment s’est passée l’action dans le deuxième centre ?
Dr Moez Cherif : A Aïn Soltan nous avons trouvé un hôpital de circonscription dénué de toutes les conditions de sécurité normales. Dans cette région les enfants se font circoncire par des infirmiers par exemple. Or cette situation n’est pas admissible. Nous l’avons signalée aux autorités responsables. Quelques jours auparavant il y avait eu une visite du ministre de la Santé, qui avait promis la construction d’un nouvel hôpital pour offrir les conditions de sécurité nécessaires pour que les gens se fassent soigner correctement. Entre temps nous avons offert nos services pour faire des circoncisions sous anesthésie locale, car il n’y avait pas les moyens de les faire sous anesthésie générale. Il aurait fallu transporter tous les enfants vers l’hôpital de Jendouba. Or la circoncision est un acte rituel, il est impossible d’éloigner les enfants de chez eux. Nous avons aménagé une salle et toute une équipe s’est déplacée, avec l’aide de l’association Amal Tounes, qui a offert le couffin de l’aïd, des tenues pour une trentaine d’enfants et une aide financière pour les derniers jours de ramadan pour les familles.

Nawaat : Est-ce que l’Etat tunisien organise ce genre d’action ?
Dr Moez Cherif :

Non, malheureusement l’Etat ne le fait pas.

Chaque fois nous contactons les autorités de tutelle : c’est à dire le ministre de la Santé et la Cnam, car la circoncision est un acte médical et il n’est pas tolérable qu’il soit pratiqué par quelqu’un d’autre qu’un médecin compétent en la matière. La Cnam refuse de rembourser cet acte. Or la contrainte matérielle est telle que les familles n’ont pas accès aux structures privées pour le faire. Forcées et contraintes, en fonction de leurs moyens financiers, les familles font appel à qui elles peuvent pour le faire. C’est une situation intolérable.

Nous sommes allés voir tous les ministres de la Santé qui se sont succédés au poste pour les sensibiliser à ce problème. Mais tous disent que c’est une porte qu’ils refusent d’ouvrir car c’est une question qui concerne un trop grand nombre d’enfants et que les services seraient envahis. C’est un service que les autorités disent ne pas pouvoir offrir aux enfants.

Nous de notre côté, en tant que défenseurs des droits de l’enfance, nous trouvons cela intolérable.

Jusqu’à aujourd’hui il y a des complications, des amputations partielles ou totales de verge, des enfants qui arrivent aux urgences dans des états hémorragiques suite à un état de choc, des décès suite à des réactions au produit d’anesthésie locale, voire l’utilisation d’anesthésie générale dans des cabinets ou des endroits dont l’infrastructure ne garantit pas toute la sécurité. Et c’est ainsi qu’il y a des accidents mortels qui sont enregistrés, et le ministère est parfaitement au courant de cela.

En 2013, dans un Etat qui compte tellement de médecins au chômage, il est intolérable de continuer de regarder cette situation, dans le silence des autorités, de la santé publique comme des affaires sociales.

Nawaat : Est-ce que les autorités vous ont répondu, suite aux derniers incidents ?
Dr Moez Cherif : Elles ne l’ont pas fait.

Mais que peuvent-elles bien dire ? Je ne vois pas quelle réponse peut être donnée.

L’incident a eu lieu. Ça devait être un jour festif. Il est de tradition que les circoncisions se fassent la veille de la nuit du destin. C’est incompréhensible. D’autant plus de la part d’un gouvernement islamiste. Je ne comprends pas. Quelle réponse vont-ils donner ? Ils sont trop occupés à leur bataille politique. Mais comment cela peut-il bloquer l’action à ce point là ? Au point de refuser les soins à des enfants. C’est un laisser-aller total et inconsidéré.

L’état des enfants dans cette localité est désastreux. Il y a la révolte de la dignité ; bientôt il y aura peut être la révolte de la faim et de la misère. Parce qu’il est inacceptable de trouver des enfants qui ne peuvent pas se laver par exemple et qui sont en dénutrition.

Je ne comprends pas que l’on continue des bagarres de chapelle quand la population manque du strict minimum. Il n’y a pas d’eau, les gens ne mangent pas à leur faim, les gens sont abandonnés et manquent du minimum vital.

Et quand on interroge les gens, ils ont a la certitude que l’Etat les a abandonnés. Voilà trois ans qu’il y a des luttes intestines pour prendre le pouvoir et que le service au citoyen est complètement arrêté partout.

La moyenne d’âge des enfants circoncis tourne autour de 10 ans à Aïn Soltan. La quasi majorité d’entre eux est scolarisée. Que fait la médecine scolaire ? Normalement lors de l’examen pré-scolaire on doit vérifier que tous les enfants sont circoncis et s’assurer qu’ils le soient avant la rentrée scolaire. Ce qui n’est pas le cas. Où est la médecine scolaire, et qu’est-elle en train de faire ?