bejihamma1208-622x306
Crédit photo: radiomfm.tn

Une brouille entre une formation du Front populaire et les autres organisations membres éclaire sur le malaise au sein de la coalition de gauche révolutionnaire. Le sujet de discorde est l’alliance avec l’Union pour la Tunisie.

Le Watad révolutionnaire (Parti national socialiste révolutionnaire) aurait vu son adhésion au Front populaire « gelée ». Une décision que ses militants contestent. La cause du litige est la distribution et la publication en ligne d’un tract, le 8 août, prenant la forme d’un manifeste et condamnant la « domestication » du Front populaire. Comprenez l’alliance entre le Front populaire, dont le Parti des travailleurs est la plus grosse structure, et l’Union pour la Tunisie, menée par Nidaa Tounes.

Pour le moment, il est difficile de savoir quel est le statut exact du Watad révolutionnaire au sein du Front populaire. Aux locaux du Front populaire, un responsable parle d’un « gel qui n’est pas définitif et qui ne concerne pas les positions politiques de cette organisation ». Selon lui,

« le problème est que le texte a été signé ”Front populaire”, alors qu’il ne représente pas le point de vue du Front populaire. Nous leur demandons de discuter avec nous, pour voir comment ils peuvent réintégrer la dynamique du Front populaire, ou pour qu’ils nous disent le cas échéant s’ils tiennent à la quitter ».

Jamel Lazhar, porte-parole du Watad révolutionnaire, lui, reste sûr de son bon droit et « considère cette décision du gel comme non valable ».

Selon Jamel Lazhar, l’alliance entre le Front populaire et l’Union pour la Tunisie, désormais connue sous le nom de Front de salut national, est une gabegie. A son sens :

« L’Union pour la Tunisie ne représente pas des capitalistes patriotes mais une bourgeoisie libérale et compradore. »

Lazhar assume les divergences de point de vue et ne semble pas s’en alarmer. Il est logique à son sens que « des différences existent ». Pas question, donc, de faire profil bas :

« Nous continuerons à manifester, à agir et à dialoguer avec les organisations qui vont dans le même sens que nous. »

Des lignes au sein du Front

L’affaire du Watad révolutionnaire braque les projecteurs sur un malaise profond au sein du Front populaire et chez ses sympathisants. Ses militants ne semblent en effet pas les seuls à se poser de sérieuses questions sur la logique et l’intérêt d’une alliance avec l’Union pour la Tunisie, en particulier avec Nidaa Tounes. Jamel Lazhar parle de l’existence de « deux lignes au sein du Front populaire : une ouverte à l’alliance et l’autre fermement opposée ». Et d’ajouter, visiblement sûr de lui :

« Notre position, beaucoup de camarades d’autres partis la partagent. Nous recevons des appels de soutien. Pour beaucoup, nous avons raison. »

Fathi Chamkhi, membre du Front populaire en tant qu’associatif et proche de la Ligue de la gauche ouvrière, que l’on dit trotskiste, explique par exemple, de manière posée :

« Le gel du Watad révolutionnaire est logique : du moment qu’on est un Front, quand une décision est prise à la majorité, après des discussions démocratiques, il faut suivre, et ne pas se tirer dans les pattes. Leur tract était donc malvenu. Mais je ne suis pas complètement contre la critique qu’ils font. J’assume aussi que j’ai des craintes, et je perçois les risques dans cette alliance avec l’Union pour la Tunisie. »

Une alliance qui suscite des questions

Poser la question à des militants des différentes organisations membres du Front populaire expose à des réponses en demi-teinte, quand ce ne sont pas des refus clairs de répondre, des silences entendus, des sourires gênés ou des rires parlants. Le plupart préfèrent rester anonymes et beaucoup renvoient vers des “sympathisants” du Front, qui, ne possédant pas de carte de membre, sont plus libres de parler de sa stratégie politique.

Selon un militant des jeunesses du Parti des travailleurs, qui tient à rester anonyme : « Au sein de notre parti, le gros de la jeunesse est contre cette alliance. » Khadija, militante à l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) et sympathisante du Front populaire se dit contre cette alliance « avec des libéraux, qui ont un projet à l’opposé du nôtre et qui sont dirigés par des personnes ayant eu des postes importants sous Bourguiba et Ben Ali ».

Rim, sympathisante du Front populaire, active dans les mouvements communistes de jeunesse (Jeunes révolutionnaires, Jeunes internationalistes, …) a à peu près la même grille de lecture : « Cette alliance est une faute sur le plan stratégique et une trahison des principes de gauche. Nidaa Tounes est un parti de droite sur les plans économique et social, tout comme Ennahda, et c’est un lieu de recyclage pour des anciens du RCD. » Et d’avouer « ne pas avoir aimé ces images de Hamma Hammami [secrétaire général du Parti des travailleurs] en compagnie de Béji Caïd Essebsi [président de Nidaa Tounes] ».

Entre ceux qui considèrent que l’alliance est simplement « contre-nature » et ceux qui n’ont pas de mots assez durs à l’encontre de Nidaa Tounes, accusé de « vouloir casser la révolution » et d’ « abriter des foulouls », l’alliance entre le Front populaire et l’Union pour la Tunisie, dont les référentiels idéologiques sont opposés, ne crée pas le consensus au sein du Front de salut national.