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La Tunisie est un pays pauvre qui n’a pas de ressources naturelles !“… Ô combien de fois a-t-on entendu cette réplique venant de hauts responsables de l’État tunisien. Cela a été répété tellement de fois que presque chaque Tunisien a fini par y croire, tout en gardant un doute sur le fait que la pauvreté du sous-sol tunisien n’était qu’un mythe… Qu’en est-il vraiment ?

Le 31 janvier 2004, la société Albidon a déclaré dans un communiqué qu’une forte présence d’or avait été détectée dans la région de Kef El Agueb, située dans le permis Nefza, au nord-ouest de la Tunisie.

Quelques semaines plus tard, une carte contenant plus de détails sur cette découverte était rendue publique. On y remarquait deux foyers de concentration d’or : l’un à 0,5 grammes d’or par tonne, et l’autre à 1 g/t. Cela représente en effet un potentiel intéressant, vu qu’en général on peut considérer un gisement comme étant “bon” à partir de 0,4 g/t. Certaines mines dans le monde sont même entrées en production alors que leur potentiel était en dessous de 0,3 g/t.

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Le 9 août 2004, Albidon a publié un autre communiqué, dans lequel elle rendait compte de l’obtention d’une approbation de la part du ministère de l’Industrie et de l’Énergie quant au droit d’effectuer des travaux d’exploration dans la zone Fernana-Nefza. Cela venait en réponse à une demande déposée en 2003 auprès de la direction générale des mines au ministère de l’Industrie.

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Par contre, ce qui est intrigant, c’est que la société “Albidon Tunisia Ltd” n’a été déclarée officiellement constituée qu’en 2006.

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Le communiqué énonçait qu’il s’agissait du tout premier permis octroyé par le gouvernement tunisien dans le cadre du nouveau Code minier. En effet, un an auparavant, soit en avril 2003, un nouveau cadre légal des exploitations minières était entré en vigueur. On le voulait plus incitatif pour les sociétés étrangères que son précèdent, qui datait de l’époque coloniale.

Albidon revenait également, dans le communiqué du 9 août 2004, sur la question de l’or retrouvé lors de ses travaux dans la région. Elle reconnaissait que, parallèlement à ses recherches de nickel et de platine en Afrique de l’Est, elle était tombée sur un “excellent potentiel en or, cuivre et zinc en Afrique du Nord”. Encore une fois, on parle d’or dans le permis Nefza, tout en le comparant à de l’or qui aurait été retrouvé à l’ouest de l’Algérie.

Un peu plus loin dans le même document, on pouvait lire une estimation préliminaire du potentiel en métaux précieux et terres rares de chaque site prospecté.

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Selon une carte du permis Nefza mise en annexe, on peut remarquer l’existence de l’or dans d’autres emplacements que ceux cités dans le tableau précèdent.

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Le 27 avril 2005, dans le “Rapport Annuel 2005”, une autre carte a été publiée. On y retrouvait cette fois ci d’autres occurrences d’or, de cuivre, de plomb et de zinc :

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Les sites qui contiennent de l’or sont les suivants : Oued Belif, Ras Rajel, Kef El Agueb, Hairech, Chouchia. D’autres sont marqués par des points jaunes, mais ne sont pas nommés.

En 2007, Albidon a signé une convention avec Zinifex, le plus grand producteur mondial de zinc, pour l’exploration et le développement du projet d’extraction de zinc de la zone de Nefza. La question de l’exploitation de l’or a été remise à une date ultérieure. Zinifex a ensuite fusionné avec Oxiana pour créer OZ Minerals, mais l’accord avec Albidon reste toujours opérationnel.

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L’année 2007 a également été marquée par une prolongation du permis de recherche attribué par le gouvernement tunisien à Albidon.

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Mais qui est Albidon, cette société qui détient ce qu’il y a de plus précieux sous nos terres ?

Albidon est généralement présentée comme étant une société australienne. Sauf qu’en réalité, elle n’est cotée en bourse qu’au Canada. Mais elle est officiellement enregistrée aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal situé dans l’océan Atlantique.

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Pour comprendre les enjeux liés à cette société, il est intéressant de savoir qui détient son capital. En 2004, au moment de l’obtention du permis de recherche Nefza-Fernana, l’actionnaire majoritaire de Albidon était le fond d’investissement African Lion Limited , devenu ensuite African Lion 2 Limited, et enfin African Lion 3 Limited, tous trois domiciliés à l’île Maurice, un paradis fiscal de l’océan Indien.

Ces fonds rassemblent des participations de plusieurs institutions financières internationales sous forme de capitaux-investissement, dettes ou mezzanine. Parmi ces institutions, on trouve quelques organismes privés, mais surtout des institutions détenues par des gouvernements européens :

PROPARCO est une institution financière “de développement”, conjointement détenue par l’Agence française de développement (AFD), une agence gouvernementale française (actionnaire majoritaire), et par des actionnaires privés.

CDC Group (anciennement Colonial Development Corporation, aujourd’hui Commonwealth Development Corporation) est une institution financière “de développement” détenue entièrement par le Département du Développement international du gouvernement britannique. Elle avait été créée à la fin de l’ère coloniale, en 1948, pour promouvoir l’investissement colonial et améliorer l’approvisionnement de la métropole en matière première.

Banque européenne d’investissement : une institution financière dont les seuls actionnaires sont les pays de l’Union européenne.

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Nous voyons ainsi que derrière Albidon se cachent les intérêts économiques des gouvernements européens. Serait-ce une forme de néo-colonialisme ?

Mais, comme partout en Afrique, dans la course pour le contrôle des ressources naturelles en Tunisie on ne trouve pas seulement les Européens, mais aussi la Chine. En effet, le géant minier chinois Jinchuan est entré dans le capital d’Albidon et a fini par acheter la totalité de la société Albidon pour la faire fusionner avec le reste du groupe. Cela ouvre une porte vers une possibilité de changement de la stratégie d’Albidon et de début de la production d’or… sauf si cette dernière a déjà commencé.

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Venons-en maintenant aux autorités tunisiennes. Nous nous demandons pourquoi les hauts responsables de l’État n’arrêtent pas de répéter que la Tunisie est pauvre en ressources naturelles.

Mohamed Ghannouchi, qui a validé pendant des années l’octroi des permis de prospection, de recherches et d’exploitation des ressources minières et pétrolières, n’a pas oublié de mentionner lors de son discours de démission que la Tunisie était pauvre en ressources minières. De même pour Rachid Ammar, qui n’a pas oublié de rappeler aux Tunisiens que la Tunisie n’a pas de ressources naturelles lors de son discours de démission, alors qu’il a été à la tête de l’armée, qui protège tous les sites pétroliers et miniers du pays.

De plus, sur le site de l’Office national des mines, il n’est mentionné nulle part l’existence d’or. Et même sur la carte des titres miniers du 3ème groupe (le groupe qui contient les substances métalliques comme l’or, l’argent, le cuivre et le zinc), qui date de 2011, on ne trouve pas le titre minier de Nefza-Fernana.

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Ce qui est encore plus ironique, c’est que sur le même site web, on trouve des études faites conjointement par l’Office national des mines et l’Office de développement du Nord-Ouest, portant sur des inventaires exhaustifs des “substances utiles” de chacun des gouvernorats de Béja, Jendouba et du Kef. Cette étude ne parle ni d’or, ni de cuivre, ni d’argent.

Pourtant, sur le site officiel de l’Office national des mines (ONM), il est clairement dit :

L’octroi de ces permis de recherche est une preuve supplémentaire quant à l’importance et la richesse du sous-sol tunisien […]

Peut-on toujours dire que la Tunisie est aussi pauvre qu’on ne l’imaginait ?