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217 incendies, 3 943 hectares ravagés sur la seule période du 1er mai au 26 août 2013 : ce sont les derniers chiffres, alarmants, communiqués par la direction générale des forêts. 60 % de ces feux sont d’origine inconnue. Les acteurs de l’environnement déplorent des pratiques criminelles destinées à s’accaparer illégalement terrains et pâturages ; sans compter de possibles agissements d’ordre politique destinés à semer la confusion ou à occuper les services sécuritaires.

2013, année du « deuil de l’arbre » en Tunisie ?

Les associations écologistes tunisiennes n’ont cessé d’alerter l’opinion publique et les autorités des menaces multiples et simultanées qui menacent ce patrimoine. En novembre 2012, Faouzi Maamouri, coordinateur de WWF en Tunisie, était allé jusqu’à décréter un « deuil de l’arbre », affirmant :

Si la situation continue à ce rythme, on risque, d’ici 2015, d’anéantir tous les efforts de reboisement déployés par l’Etat depuis un demi-siècle.

Parmi ces fléaux, l’incendie reste sans conteste le plus dévastateur.

De 220 en 2011 (avec 1 700 hectares détruits), le nombre des incendies est passé à 405 (avec 2 400 hectares détruits) en 2012, pour atteindre, en 2013, le chiffre effarant de 3 943 hectares détruits (sur 217 incendies) en seulement quatre mois. La période de l’Aïd, entre le 7 et le 11 août, a enregistré à elle seule 45 incendies, dont 12 le jour même de la fête, consumant ainsi 1 605 hectares.
Pour comparaison, sur la même période, 1 687 hectares avaient été ravagés en 2012, tandis que la moyenne, depuis 1985, varie entre 130 et 150 incendies s’étendant sur une superficie de 1 500 hectares.

Le territoire tunisien comporte plus de 6 % de forêts, réparties sur plus d’un million d’hectares. Il est à noter que si cet écosystème est d’une valeur écologique inestimable, il est également une source de revenus importante pour les populations riveraines et l’Etat : bois, fourrage, cueillette, gibier, culture du chêne-liège ou du pignon de pin, miel, etc.

Qui brûle les forêts ?

Si les incendies de cause accidentelle (foudre, climat, mégots de cigarettes, campeurs, ivrognes, etc.) ou dans le cadre d’opérations militaires en sont également responsables, ils n’expliquent pas cette explosion des chiffres des incendies, dont les plus dévastateurs s’avèrent criminels.

Dans une déclaration à la TAP, le 28 août dernier, M. Samir Belhadj Salah, sous-directeur de la protection des forêts à la direction générale des forêts au ministère de l’Agriculture, a ainsi déclaré que : « 60 % des causes de déclenchement des incendies sont enregistrées contre des inconnus. » Cependant, l’origine de ces incendies criminels n’est pas inconnue et des phénomènes récurrents ont été identifiés.

Parfois en cause, certains riverains des forêts tunisiennes allumeraient des feux de forêts afin d’obtenir un pâturage plus important et riche pour leurs cheptels. Selon M. Adelmajid Dabbar, président de l’association Tunisie Ecologie : « les régions particulièrement touchées par ce phénomène sont notamment celles de Sidi Mechreg, Bouchater, Sejnane ». Dans un entretien avec Nawaat, M. Samir Belhadj Salah nous précise également que les régions de Zaghouan et du Kef seraient également affectées par ce type d’incendies.

C’est un grand gâchis », déplore M. Abdelmajid Dabbar, « ces éleveurs gagnent comparativement peu de ce pâturage. Mais on y perd tous. Un vol d’avion C150, utilisé pour éteindre les feux, coûte 50 000 dinars par heure. Le contribuable tunisien perd non seulement sa forêt, mais aussi son argent !

Le militant écologiste ajoute :

Les riverains savent parfois qui sont les incendiaires, mais ils ne parlent pas. Ils sont solidaires. Et il se peut également que le garde forestier de la zone possède, lui-même, un peu de bétail qui bénéficierait de ce pâturage. Les gardes forestiers, bien que personnel de l‘Etat, ont une rémunération très faible et pas d’avantages du tout, ils essaient tout simplement de survivre. Sans compter le risque d’être rejeté par leurs communautés si jamais ils parlaient. C’est tout le système qu’il faut revoir.

Certains riverains des forêts nourriraient parfois un certain ressentiment face à ce qu’ils ressentent comme l’accaparation injuste par l’Etat, dans les années soixante, de terres dont jouissaient librement leurs ancêtres.

Peu d’entre eux possèdent des terrains pour leur bétail, qui ne mange pas toujours à sa faim. Certains pensent qu’en brûlant les arbres, ils changeront ainsi le statut de la forêt en celui d’un simple terrain qui ne sera plus sous le coup des lois forestières et de la protection de l’Etat, et qu’ils pourront à nouveau jouir de ces terres qu’ils considèrent, au fond, comme les leurs. Ce qui est impossible. rapporte ainsi M. Abdelmajid Dabbar.

Les agissements politiques et la contrebande

Dans sa déclaration à la TAP, le sous-directeur de la protection des forêts, Samir Belhadj Salah, s’était dit étonné de la hausse du nombre des incendies provoqués, les qualifiant « d’actes prémédités » qui « suscitent la crainte et sèment le doute, concernant les moments de leur déclenchement et leur répétition dans les mêmes endroits ».

M. Abdelmajid Dabbar estime que l’hypothèse selon laquelle certains incendies seraient provoqués pour « paralyser l’Etat » et créer l’insécurité et la panique, est envisageable. Les 45 incendies survenus pendant la période de l’Aïd el Fitr, en 2013, dont 12 le jour même de la fête, en sont une illustration flagrante, s’accordent à dire les deux intervenants.

L’écologiste, qui se rend fréquemment sur terrain, nous parle par ailleurs des régions de Kasserine et du Kef, notamment Sakiet Sidi Youssef, en reliant certains feux de forêts au phénomène de la contrebande :

Lorsque des contrebandiers essaient de passer, ils peuvent allumer des incendies dans certains secteurs afin de détourner l’attention et d’occuper forces de l’ordre et gardes forestiers, et de passer par une autre zone.

Interrogé à ce propos, le sous-directeur de la protection des forêts en écarte l’hypothèse : « Cela me semble improbable, ils augmenteraient le risque d’attirer l’attention et la venue des forces de l’ordre sur le terrain. »

Ajoutant par ailleurs : « La problématique des années post-révolutionnaires est probablement que la police est presque absente sur le terrain. Même auparavant, ils n’étaient pas très sérieux concernant l’investigation des causes d’incendies. Ils se contentaient de venir sur le lieu de l’incendie pour poser leurs questions, et s’en allaient. Maintenant, ils ne viennent pas à chaque cas, sûrement parce qu’ils sont légitimement occupés par d’autres priorités telle que la sécurité du pays ou les manifestations. »

Cela pourrait être, d’après lui, de ce maillon faible que certains individus prennent avantage. Mais la prévention seule n’est pas suffisante, il faut ériger des exemples et montrer qu’on ne peut mettre le feu à une forêt impunément.

Se réapproprier des terrains

En 2011 et 2012, des riverains ont été fortement soupçonnés d’avoir provoqué des incendies dans les régions de Bouchater (près de Bizerte), Hammam Leghaz, et Dar Chichou (région de Nabeul) afin de s’accaparer ou se réapproprier des terrains pieds dans l’eau.

Ces terrains appartiennent effectivement aux riverains, mais par décret beylical, dans les années vingt, ils ont été déclarés zone de protection pour l’intérêt public afin d’enrayer l’ensablement.

D’après M. Samir Belhadj Salah, l’Etat (conjointement entre le ministère de l’Agriculture, de l’Environnement et l’APAL) aurait réfléchi, bien avant la révolution, à une manière de rendre ces terrains aux héritiers, tout en assurant la sauvegarde des résultats environnementaux actuels.

Du côté des héritiers, on soutiendrait que les terrains auraient dû être rendus dès 1997, sous Ben Ali, ce qui n’aurait pas été fait ; accusant l’Etat de ne pas vouloir les rendre.

Ces héritiers auraient-ils profité de l’instabilité du pays durant la révolution pour provoquer des incendies criminels et se réapproprier ces terres ? C’est ce qu’affirment plusieurs parties dont M. Farrouk Ben Houria, secrétaire général de l’association Citoyenneté et démocratie :

Ce n’est pas seulement des incendies qui ont été perpétrés dans cette zone, mais aussi des découpes illégales à l’aide de machines. Celles-ci, lorsqu’elles ont été confisquées, ont été rendues à leurs propriétaires pour seulement 200 dinars alors que l’amende est normalement de 10 000 dinars ! L’enquête judiciaire n’a pas véritablement été menée. C’est tout un système qui est corrompu dans ce lieu.

Brûler des forêts pour s’approprier des terrains et construire illégalement serait un phénomène assez répandu, ainsi que le soutient M. Abdelmajid Dabbar :

Actuellement, les constructions sauvages sont malheureusement un phénomène généralisé en Tunisie, et le littoral ou les zones de forêts n’en sont pas exemptes. Je suis en contact avec l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL), et il y a beaucoup de cas. L’APAL a dressé de nombreux procès verbaux aux contrevenants mais n’a pas pu les faire appliquer. Les forces de l’ordre ont d’autres priorités.