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Photo: rtbf.be

La plupart des spécialistes et des observateurs s’accordent à dire que l’étincelle du « printemps arabe » s’est allumé de façon spontanée et sans encadrement politique d’aucune sorte. Les revendications essentielles étaient de rendre au citoyen sa dignité et de réaliser la justice sociale en adoptant de véritables programmes de développement régionale. Depuis 2011, le fait révolutionnaire arabe a ressuscité la gloire de la désobéissance civile face aux dictateurs comme moyen pacifique pour la lutte politique. Cette nouvelle méthode d’action avait connu un succès historique avec le Mahatma Gandhi en Inde, avec Martin Luther King aux États-Unis et avec Nelson Mandela en Afrique du Sud. Le fait qu’un jeune homme se suicide par immolation, traduit le degré d’injustice auquel nous étions parvenus. Que cela se fasse près du siège du gouvernorat, symbole de l’autorité politique régionale, est un message que le jeune homme adressait aux autorités politiques de l’époque.

Ce geste dépasse la dénonciation des pratiques de corruption et de népotisme de l’ancien régime pour englober toute les inégalités qui avaient lieu. En Tunisie par exemple, nous sommes aujourd’hui tous conscients des conséquences désastreuses de la corruption grâce au rapport de la commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de la malversation. Depuis le geste de Mohamed Bouazizi, de nombreux tunisiens se sont sentis concernés par les inégalités régionales frappantes.

Néanmoins, le nouveau discours des régimes postrévolutionnaire en Tunisie, en Egypte et au Yémen ne correspondait souvent à aucune acceptation de l’égalité et traduisait même une complète indifférence vis-à-vis de ce principe. En effet, le mouvement révolutionnaire dans le monde arabe a révélé le fossé économique et social vertigineux qu’a produit la corruption. Alors que les richesses de certains nouveaux politiciens sont évaluées par des dizaines de millions d’euros, l’indigence et la pauvreté extrême s’étendaient impitoyablement à des catégories de plus en plus larges de la population. Cela signifie que les modèles économiques mis en place dans les pays du « printemps arabe » n’aspiraient ni à l’égalité des chances ni à l’égalité des conditions ; et si l’absence de la démocratie, pendant des décennies, dans le monde arabe n’a pas favorisé la naissance d’une forte élite politique, le manque de justice sociale a, quant à lui, conduit au gaspillage des richesses nationales par une minorité d’incompétents.

Selon la logique révolutionnaire, la justice sociale signifie la libération de la société civile de toute intervention de l’État, que ce soit au profit des personnes influentes ou au bénéfice des pauvres. Dans cette perspective, le plus important n’est pas la distribution des richesses, mais l’existante des conditions optimales de leur création, grâce à la participation de tous. L’État ne peut en aucun cas remettre en cause ce droit, à travers, par exemple, une fiscalité lourde qui, semblable à la corruption, bride l’initiative privée et défavorise la croissance économique. Cependant, la réalité postrévolutionnaire des pays du « printemps arabe » suscite une forte critique de la part des sociologues surtout lorsque la richesse se trouve concentrée entre les mains des piliers de l’ancien régime.

La reconnaissance de la légitimité des privilèges de cette minorité implique que l’on admet, comme juste, l’indigence de la majorité. Poussés à l’extrême, cette démarche opère une séparation entre l’individu et son environnement ; comme si chacun avait le droit de profiter de ses propres compétences indépendamment du cadre général qui a forcément participé à leur développement. Il s’agit d’une justification évidement de l’égoïsme qui invite l’individu à ignorer le sort des autres et celui de la société. Cette position négative face à l’environnement social constitue une menace pour l’équilibre des sociétés arabes car la conception de la justice sociale a des implications sur la définition de l’égalité qui ne peut se réaliser que par une distribution des richesses qui assure, au moins, la satisfaction des besoins fondamentaux de la population. Cela impose à la société la responsabilité de protéger ses membres contre « l’ignorance sacrée », le fondamentalisme, le chômage et la pauvreté.

Aujourd’hui, nous devons penser aux moyens de préserver notre expérience révolutionnaire qui a vu la renaissance du patriotisme au niveau socio-culturel et la réintroduction du citoyen arabe dans le cours de l’histoire. Actuellement, l’un des rôles les plus importants que devra assumer l’élite politique dans ce nouveau contexte est celui de reconnaitre que la dignité citoyenne constitue l’une des fondements de cette nouvelle ère postrévolutionnaire.