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Image : Al Bawsala

Avec une Constitution arrivée aux deux tiers de sa rédaction, une passation des pouvoirs entre Larayedh et Jomâa et la recrudescence des émeutes nocturnes, le pays vient de vivre une semaine historique à plus d’un titre. Politiquement, en deux votes à l’ANC, le mythe de la discipline des partis de la majorité a volé en éclats.

La genèse de la nouvelle Constitution, à mesure qu’elle touche à sa fin, ressemble à s’y méprendre à l’accélération dramatique crescendo d’un long métrage à rebondissements. Les constituants sont-ils en surrégime ? Il y a lieu de le croire lorsque les esprits s’échauffent au point d’en venir aux mains à plusieurs reprises et que les larmes deviennent monnaie courante.

Si jusqu’ici la raison l’emporte au moment de trancher sur des articles phares, les adeptes de l’ « appeal to emotion » tentent jusqu’au bout de surfer notamment sur des représentations ordurières du Prophète. Objectif, faire passer un amendement de l’article 6 qui y ajouterait une criminalisation explicite de l’atteinte au sacré. Une pétition allant dans ce sens a recueilli vendredi 75 signatures d’élus.

Le péril en la matière avait été pressenti dès la constitutionnalisation la semaine dernière de la criminalisation du « takfir » à la suite d’une altercation entre élus. Chaque sensibilité est logiquement tentée depuis de passer en force sur ses doléances via un émoi plus ou moins provoqué. La pression du temps dans laquelle s’est mise la classe politique dans son ensemble achève de créer les conditions pour un texte rédigé à l’aune du conjoncturel et de l’irrationnel. D’où des lois suprêmes parfois fourre-tout et incohérentes, au nom du consensus.

C’est à l’intérieur même des blocs parlementaires que ce consensus a avoué ses limites d’abord avec l’article 45. En cause, la formulation « L’Etat œuvre pour réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus » qui a violemment divisé jusque les rangs d’Ennahdha, alors même que le parti bénéficie d’une parité parfaite dans l’actuelle Assemblée.

Rebelote samedi avec le vote sur l’article 73 : en votant contre un amendement dit « consensuel » (faisant l’objet d’un accord préalable en commission) censé supprimer la limite d’âge aux présidentielles, la dissidence à Ennahdha (53% d’indiscipline) confirme qu’elle n’obéit plus aveuglément aux instructions de vote, voire que la division est orchestrée par un laisser-faire délibéré.
Toujours est-il que Béji Caïd Essebsi voit ses ambitions présidentielles s’envoler en l’espace d’une soirée.

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Sociologie de la contestation

10 janvier 2014, première allocution publique de Mehdi Jomâa en tant que 5ème chef de gouvernement post-révolution. Aucune allusion à la révolution dans le bref discours officiel. Une mise en garde ne passe cependant pas inaperçue : « Mes ministres devront se tenir à distance égale de tous les partis et n’en diaboliser aucun ».

La passation en elle-même est vantée par Ennahdha comme un exemple de civisme et un modèle de démocratie. Elle trouve un écho en tant que tel dans l’ensemble de la presse occidentale qui salue le désintéressement des « Frères » tunisiens.

La veille de ces solennités, la virtuelle vacance du pouvoir a pour conséquence de radicaliser des commémorations de la révolution déjà tendues dans les zones les plus défavorisées de la capitale et en régions.

Plusieurs facteurs rendent ces mouvements de contestation difficiles à lire, à commencer par les multiples revendications contradictoires allant, dans le cas des postes de police incendiés, des anarchistes d’extrême gauche, au salafisme djihadiste.

L’UGTT s’empresse de démentir toute implication de ses bureaux régionaux en dénonçant « des casseurs infiltrés ». Mais ce que le ministère de l’Intérieur désigne par le terme sémantiquement vaste de « délinquants » correspond à une réalité complexe.

La grogne fiscale légitime des agriculteurs contre un nouvel impôt inique contraste avec la politisation rampante du mouvement qui a vu des ministres du gouvernement Larayedh être chassés de leurs ministères par des « dégage » en accoutrement « Tamarrod » quelques heures avant leur démission programmée, comme pour démontrer que tirer sur une ambulance est devenu un sport national.

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Face aux actes de vandalisme qui continuent de cibler les symboles des recettes de l’Etat, les lectures les plus extravagantes circulent, prêtant à Ennahdha une tentation de la stratégie de la terre brûlée.

Ce n’est pourtant pas la première fois depuis 2011 que les faubourgs ont une perception quasi instinctive des moments de faiblesse de l’Etat. Or l’anarchisme dans son acception la plus noble n’obéit pas aux motifs opportunistes du hooliganisme sporadique que l’on observe actuellement, et qui ne sait plus s’il se bat contre un appareil policier, un pouvoir islamiste démissionnaire ou encore “contre le prochain Premier ministre”, ironisent certains.

Apaisé malgré tout, le processus de transition démocratique suit son cours en dotant enfin le pays d’une Instance Supérieure Indépendante pour les Elections. Deux hommes seront sous haute surveillance durant la prochaine étape : Chafik Sarsar, président de l’ISIE, pour sa relative proximité avec Yadh Ben Achour, une figure qui a cédé à une certaine politisation en se rapprochant de Nidaa Tounes, et Mehdi Jomâa dont l’action sera à n’en pas douter surveillée à la loupe par le Palais de Carthage.