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Trop, c’est trop ! Non seulement nos constituants vont au-delà du ridicule, ils galvaudent l’esprit de la Révolution en faisant de la politique une comédie, de l’opéra bouffe.

Le plus mauvais scrutin pour la Tunisie

La première exigence de la Révolution a été la revendication de la souveraineté pour le peuple. Que font nos constituants ? Ils la confisquent au profit de grands partis qui ont prouvé depuis trois ans qu’ils ne servent que leurs intérêts propres. Cela se fait avec un scrutin proportionnel de liste qui s’est révélé contraire à la démocratie en Tunisie dont l’esprit suppose un rapport direct entre l’élu et son électeur. Avec surtout la capacité pour l’électeur de demander des comptes à tout moment à son élu s’il ne remplit pas les obligations prises par des engagements précis lors de l’opération électorale.

Leur prétexte est que cela se fait dans les démocraties occidentales qui sont en pleine crise axiologique, leur système se vidant de tout sens, étant réduit à un simple mécanisme électoral formel. Et nos constituants singent l’étranger au lieu d’innover, ce même étranger vilipendé souvent à tort et à travers. Or, la Révolution tunisienne est un modèle nouveau, sui generis, en mesure de revitaliser la démocratie réduite en Occident à n’être qu’une coquille vide. Faut-il, pour ce faire, avoir des élites en phase avec leur peuple !

Les faits prouvent aujourd’hui que les plus humbles de nos compatriotes sont bien plus intelligents que ces politiques qui ne pensent qu’à leur carrière et ne servent que leurs intérêts propres. Et tout cela se fait sur le dos d’un peuple pauvre, zawali dans son écrasante majorité. Trop, c’est trop !

Le meilleur moyen de voler au peuple sa souveraineté

La comédie du pouvoir verse encore plus dans le ridicule avec les conditions qu’on veut retenir pour le droit de se présenter à l’élection présidentielle. Et ce toujours au prétexte qu’on ne fait que s’aligner encore ici sur l’étranger, celui-là même qu’on dénonce par ailleurs au nom de notre spécificité et nos valeurs; quelle belle contradiction dans un tel suivisme aveugle, et quel éloquent complexe d’infériorité ! Ainsi propose-t-on pour accepter les candidatures à la présidentielle que l’on soit présenté par un nombre d’électeurs quasi impossible à réunir par les petits candidats, les non professionnels de la politique, compétences avérées et honnêtes citoyens ayant plein d’idées de nature à aider leur pays et son peuple et non profiter du pouvoir, y faire fortune. De tels vrais politiciens que je qualifierais d’organiques existent bel et bien et en grand nombre, mais ils n’ont aucune chance de servir leur pays dans le cadre du système fermé des partis qu’on veut nous imposer.

Ce qu’on veut, c’est que les têtes connues, même si le peuple n’en veut plus, soient toujours les seules à prétendre au pouvoir et à avoir la possibilité de l’exercer. Ce qui compte pour nos professionnels de la politique, c’est moins la compétence, le libre choix par le peuple de ses représentants, que le poids de la machine du parti en mesure de réunir le maximum de signatures d’électeurs inscrits.

Bien pis ! On démontre à quel point on fait des règles du code électoral une machination démoniaque en osant exiger une résidence minimale en Tunisie. Comme si les Tunisiens de l’étranger étaient des citoyens de seconde zone ! Comme si le monde aujourd’hui n’était pas devenu un immeuble planétaire où les frontières physiques comptent peu, sinon rien, sauf dans la tête des dirigeants du Nord enfermé dans ses privilèges !

Nos constituants et nos politiques prouvent qu’il existe bel et bien une frontière entre eux et le peuple. Elle les en coupe, les plaçant à des années-lumière de ses exigences. Car le peuple veut exercer le pouvoir; et celui-ci ne doit plus être la comédie que nous jouent des démocraties usées que nos élites singent pitoyablement en comptant sur la complicité de certains experts moins attentifs aux réalités du peuple qu’à la vision qu’ils en ont.

La volonté populaire en cinq points

Le peuple de Tunisie a démontré qu’il peut innover en matière politique grâce à sa maturité, et il exige maintenant de ses élites d’être au niveau de sa sagesse ancestrale. Aussi demande-t-il que le scrutin législatif ainsi que les modalités pour se présenter à la présidence soient revus selon son intérêt véritable.

Voici ce que réclame le peuple pour que sa révolution ne soit plus confisquée par les comédiens du pouvoir qui se jouent de lui et de sa patience. Avis aux partenaires sociaux responsables du dialogue national à la veille de la reprise de leur mission. C’est bien la volonté populaire, seule réalité qui doit compte aujourd’hui en Tunisie et devant se substituer aux caprices d’élites qui ont administré la preuve d’être coupées de lui, ne le servant point. Il n’y a plus de place à la comédie politique en Tunisie, surtout quand elle verse, comme on le voit trop souvent, dans le burlesque, et finissant en une tragédie. Stop donc à l’opéra bouffe !

1. Un scrutin uninominal rationalisé : Cela consiste à privilégier le rapport direct entre l’électeur et l’élu en retenant le scrutin le plus approprié à la mentalité tunisienne qui est fondée sur la personnalisation du pouvoir. Toutefois, afin d’éviter les dérives générées par l’argent sale et le banditisme électoral, il importe de créer un contrat de mission, chaque électeur devant se présenter sur la base d’options et de propositions concrètes qu’il s’engage lors de la campagne électorale à respecter selon un échéancier précis durant la mandature. Et l’électeur, par l’intermédiaire de la société civile et de ses associations, aura le droit intangible de réclamer des comptes à ses élus. Une instance, créée au sein de l’organisme habilité à superviser les élections, sera chargée de centraliser les contrats de mission et de veiller à sanctionner les dépassements et violations.

Si l’élu, après un avertissement et une mise en demeure, ne se conforme pas à ses engagements ou ne le fait pas sérieusement, il est démis de son mandat en faveur d’un premier suppléant élu avec lui et qui aura à honorer les engagements de l’élu titulaire. La même procédure se répète avec un second suppléant. Si malgré ces initiatives, la volonté des électeurs n’est pas respectée par l’exécution du contrat de mission auquel se sont engagés l’élu et ses deux suppléants, l’instance concernée appelle à une nouvelle élection dans la circonscription.

À noter que dans ce système, l’électeur doit se présenter avec deux colistiers, deux suppléants appelés à se substituer à lui s’il n’honore pas ses engagements. De plus, ce trio doit être composé au moins d’une femme et d’un jeune de moins de trente ans, quel que soit l’ordre de leur rang dans la mini liste. Par ce système de scrutin uninominal rationalisé, on respectera l’esprit de la démocratie et la volonté démocratique de notre peuple.

2. Priorité à la représentation locale et régionale : Le scrutin ci-dessus détaillé doit être mis en place pour des élections municipales, les plus urgentes aujourd’hui. En effet, au vu de la prestation lamentable de ceux qu’elle a déjà, la Tunisie a moins besoin d’un parlement et d’un président de la République que de municipalités et de structures régionales représentatives et opérationnelles immédiatement. Il nous faut donc sortir de la fausse nécessité de l’urgence des élections législatives et présidentielles avant la fin de l’année. À cette date, on doit plutôt avoir un pouvoir local en place représentant au plus près la volonté populaire.

C’est ainsi et ainsi seulement qu’on remettra sur pieds le pays actuellement sur sa tête. Après et après seulement, on pourra continuer à construire notre pyramide du pouvoir une fois remise à l’endroit, en s’attaquant aux échelons suivants. Le mieux serait alors de mettre en place, à partir de cette base locale représentative, des structures régionales également représentatives, éventuellement élues parmi les élus municipaux. Les gouverneurs doivent également être élus de la même manière qu’aux élections municipales ou parmi les élus municipaux par le biais d’élections indirectes au sein de ce corps représentatif.

Et si on veut aller au bout dans l’innovation démocratique révolutionnaire, on devrait faire pareillement pour les députés de l’Assemblée nationale du peuple. Ainsi, il ne restera que le président qui serait à élire au scrutin national, ce qui raffermirait ses prérogatives bien écornées par rapport au président du gouvernement.

3. Une présidence de la République pour tout le monde : La présidence de la République doit être un droit pour tous les Tunisiens. Déjà, en exigeant une nationalité unique, nos constituants sont allés contre le sens de l’histoire. Quel mal y a-t-il à être un binational ou multinational dans un monde globalisé et qu’on veut fraternel ou mondianisé, comme je le dis ? Quel mal y a-t-il à avoir un président qui soit à la fois tunisien et marocain ou algérien ou palestinien ? Il peut certes aussi être français ou allemand; et alors n’est-ce pas le meilleur moyen afin que nos relations avec ces pays soient enfin fraternelles ?

Or, exiger en plus que l’on soit adoubé par un nombre d’électeurs qu’on veut trop élevé ne fera que rendre plus difficile l’exercice du droit du peuple à choisir qui il veut parmi les Tunisiens pour le présider. Certes, singeant ici encore l’étranger en prétendant barrer ainsi la route aux candidatures fantaisistes, c’est douter de l’intelligence du peuple et agir avec lui comme on agirait avec un mineur incapable de faire seul son choix. C’est surtout fermer les yeux sur tous les bouffons que nous avons sur la scène politique et dont la place est ailleurs, mais que les partis imposent au peuple, qu’il le veuille ou non. Indignes de le représenter, ils le font pourtant par le bon vouloir de la machine redoutable des partis que renforce le scrutin retenu.

Il faut être véritablement révolutionnaire ici aussi et laisser la porte ouverte à tous les Tunisiens, sans ériger sur leur route le moindre obstacle prétendument rationnel et qui ne fera que transformer encore plus la politique en farce. Par contre, ce qu’on devrait faire, c’est éliminer tous les intéressements financiers qui appâtent les profiteurs, l’élu devant avoir moins à gagner qu’à perdre financièrement en faisant la politique. Or, pas mal de Tunisiens sont prêts à servir leur pays, se contentant de ce seul privilège, ne voulant point des espèces sonnantes et trébuchantes et la vie de château qui tentent nos politiques soi-disant professionnels.

S’il devait y avoir malgré tout un nombre d’électeurs appelés à soutenir une candidature, qu’il soit le plus réduit, au strict minimum, de sorte que toute compétence du pays soit en mesure de les réunir sans avoir besoin de la machinerie puissante d’un parti. Car l’élection présidentielle doit être un rapport direct entre le peuple et l’élu, et elle doit être véritablement représentative de ce peuple pour être en mesure de choisir l’un des siens, quel qu’il soit du moment qu’il est prêt à servir ses intérêts véritables.

Servir politiquement le pays doit relever du service national. Et qu’on ne nous parle pas de prestige de l’État qui serait condamné aux solennités, à la pompe et aux dépenses somptueuses ! Car le prestige véritable de l’État est dans celui de son peuple. Or, le nôtre est bien pauvre et toute dépense inutile de la part de l’État est un terrible crachat sur sa condition minable.

4. L’exercice du pouvoir doit être sans privilèges : Il est impératif d’écarter du pouvoir les nombreux profiteurs n’y venant que comme les mouches sur le miel, faisant de la politique juste pour s’engraisser sur le dos du peuple. Il nous faut donc innover en adoptant des mesures d’austérité draconiennes, enlevant toutes les primes et intéressements financiers habituellement servis pour l’exercice du pouvoir dans ses plus hautes sphères. Il est inconcevable que le service du pays soit rétribué par des privilèges aggravant la distance avec le peuple.

Une saine règle de gouvernance doit être adoptée en Tunisie de toute urgence, consistant à ce que celui qui accède aux plus hautes fonctions ne soit point rétribué de plus que son traitement ou salaire d’origine et n’obtienne aucune prime ou indemnité. Tous les privilèges qu’on connaît et qui sont servis actuellement aux grands commis de l’État et aux élus doivent être abolis au nom de la solidarité avec la condition majoritaire dans le pays. C’est ainsi et pas autrement qu’on réussira à assainir le milieu politique, en écartant les aventuriers du pouvoir, ces chasseurs à gages de la scène politique, et n’y gardant que ceux qui se contentent de l’honneur de servir le peuple; ce qui est déjà un immense privilège.

C’est aussi donner l’exemple en politique, chose qui manque de nos jours cruellement à la plupart de nos politiciens; ce qui fait que les plus humbles de nos compatriotes soupçonnent à raison tous les nantis d’être des profiteurs. En effet, qu’on le veuille ou non, quand on mange à sa faim, et même si on n’étale point une richesse bien acquise qui plus est, on ne peut que paraître profiter de la misère généralisée, du moment qu’il en est qui meurent de faim.

C’est que les mentalités ont changé, et il ne suffit plus d’adopter de nouvelles règles de justice pour obtenir le juste comportement d’un peuple trop longtemps habitué à l’exploitation et l’injustice au point d’avoir acquis des réflexes conditionnés l’amenant à être excessif. Aussi le voit-on prompt à refuser la moindre marque, même fausse, susceptible de lui rappeler l’injustice, quitte à être à son tour injuste, même si désormais on le traite justement et que l’injustice relève du passé. Chat échaudé ne craint-il pas l’eau chaude ? D’où l’importance de l’exemple juste et de la parole de justesse afin de créer de nouvelles habitudes; ce qui prend du temps. Mais c’est une raison supplémentaire pour ne pas tarder à mettre en œuvre ce qui s’impose dans l’immédiat comme saines pratiques.

5. Les associations, incarnation d’une politique solidaire : Le système des partis est une marque de la démocratie occidentale; il ne peut marcher en société arriérée. En effet, et on l’a vu trois ans durant, il ne fait que reproduire les défauts des régimes démocratiques sans en ramener les avantages.

Un parti politique en démocratie est par définition censé agir pour conquérir le pouvoir. Pour cela, il développe un programme qu’il s’attachera à appliquer s’il accède au pouvoir. Or, et nous le voyons déjà en Occident, les partis ne tiennent souvent pas leurs promesses, ou si peu, bien qu’ils aient des programmes.

Chez nous, nos partis n’ont déjà pas de programmes, ou juste des slogans faisant office de programme; aussi ne sont-ils que de chevaux de course pour le pouvoir. Or, notre pays a besoin de structures qui agissent non point pour l’exercice pouvoir, mais pour la transformation de la société. Et ces structures existent; elles ont pour nom les associations de la société civile.

C’est à ces associations, qui jouent aujourd’hui un rôle éminent dans le cadre du développement durable, qu’on doit raisonnablement ouvrir la porte de la politique pour qu’elles y étendent leur conception de la solidarité. Loin de reprocher aux associations de faire la politique, on doit au contraire les y encourager en donnant à la société civile les moyens de se substituer aux partis classiques qui ne servent que les ego de leurs dirigeants.

C’est la voie d’avenir; la Tunisie doit l’encourager eu égard à la richesse et au dynamisme de sa société civile. Celle-ci est la meilleure garantie pour notre démocratie naissante. Exit donc, les partis politiques ! Place aux associations et à la société civile !