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Vers la deuxième quinzaine du mois de mars 2014, Mourad Sakli actuel Ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine, a donné une conférence de presse où il a fait part de ses bonnes intentions pour mener à bien sa mission de résurrection du secteur culturel tunisien, voir même de sa réincarnation.

Nous l’avons compris, Mourad Sakli est extrêmement motivé pour déblayer les territoires culturels de la Tunisie. Il tend à les débroussailler, comme à les désobstruer. Pour appuyer et confirmer cette prise de position, il a exposé lors de sa dernière conférence, neuf axes fondamentaux autour desquels est basée sa stratégie d’assainissement. De manière récapitulative et dans un ordre non exhaustive: d’abord les placements et l’investissement dans l’ensemble des domaines qui touchent à la culture, la mise en place de la fameuse P.A.L (propriété littéraire et artistique), la mise en valeur du patrimoine national, l’encadrement structurel de toutes les manifestations culturelles que compte le pays, la régénérescence des institutions culturelles, une étude détaillée pour l’octroi des subventions en vue d’une révision de la politique d’aide à la création, la reprise du projet de la « Cité de la Culture » autrefois dirigé par le Professeur Mohamed Zinelabidine, le renforcement et l’ancrage des cultures numériques et électroniques, le renvoi direct de la culture dans le schème constitutionnel et réciproquement, et enfin la collaboration directe du secteur culturel avec le secteur touristique en vue d’une future contribution mutuelle et effective, pour remettre le pays sur pieds.

Ce dernier axe a d’avantage suscité notre curiosité. En effet, en sachant qu’en Tunisie, la culture rime souvent avec « spectacle », qu’une grande majorité d’artistes et d’intellectuels, ainsi que les journalistes qui se font les communicateurs de leurs ouvrages, ont pris place sur des assises erronées devenues sièges éjectables, avec beaucoup d’entre eux qui sont indéfiniment dans l’attente d’une « enveloppe » pour parler de tel ou tel travail. En sachant que la majorité des tunisiens préfèrent le foot à la culture, et que la plupart d’entre eux ignorent que la « Culture » touche aussi bien à leurs traits spirituels et intellectuels que matériels et affectifs, et que c’est justement cela qui caractérise leur société et leur groupe. Avec le manque inévitable d’une fondamentale conviction : la culture n’est pas seulement l’apanage des arts et des lettres dans leur sens le plus généraliste, mais elle participe également de l’évolution sociétale, des droits fondamentaux, des valeurs, des traditions et de toute autre forme de croyance.

Alors, comment penser à la culture, réel « parent pauvre » sous nos cieux, comme possible sauveur du secteur touristique, dont les scores ont été en chute libre depuis toute la période postrévolutionnaire ? Nous savons que le tourisme est une industrie fondamentale dans l’ensemble des pays du monde, et qu’un « tourisme «  qui travaille et qui rapporte à son pays, peut s’avérer comme étant un mécanisme décisif pour ce dernier, comme élément incontournable de développement durable. Toutefois, cela ne veut pas dire que leur rapprochement serait nécessairement synonyme de réussite, surtout que les fondements basiques de la culture en Tunisie sont depuis longtemps bafoués.

Mais, qu’entendons-nous réellement par « tourisme culturel » ? Un type et une forme de tourisme qui a d’abord pour objectif stratégique de permettre au touriste, comme programme de son séjour, la découverte du patrimoine culturel, matériel et immatériel de la région qu’il visite. Et, par prolongement, la société où il séjourne et le mode de vie de ses habitants.

L’aspect et l’identité culturels accolés à la notion et à l’idée de « tourisme » est un phénomène mondial totalement contemporain qui représente environ 1/5 des parts du marché touristique international. Toujours en progression, puisque les offres commerciales allant dans ce sens ont considérablement augmenté, avec la constante prolifération de circuits et destinations culturelles spécialement ciblés.

Après la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis et l’Egypte, comme poids lourds du tourisme culturel mondial, la Tunisie tendrait donc à devenir une destination touristique et culturelle où les touristes se rendraient pour autre chose que ses plages et son soleil. L’actuel ministre de la culture Mourad Sakli, associé à l’actuelle ministre du tourisme Amel Karboul, en font leur nouveau cheval de bataille… de la nouvelle gérance gouvernementale. Depuis leurs investiture, ils font d’ailleurs figure commune sur de nombreux « events » volontairement gavés de « com », tels que les « Dunes électroniques » en février 2014, ou encore la dernière visite du couturier Azzeddine Alaïa au Musée du Bardo, où ils étaient présents tous deux pour l’accueillir et le chaperonner…

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De gauche à droite sur la photo : Mourad Sakli, ministre de la Culture, Amal Karbou, ministre du Tourisme, couturier Azzeddine Alaïa.

Voyager, être en vacances par intérêt éducatif et intellectuel dans un but d’apprentissage, soit en visitant des sites culturels et historiques, soit en étant dans une envergure de pur « tourisme créatif » avec la conception d’accroissement et d’élargissement de ses pratiques culturelles et artistiques, soit en étant dans l’optique d’un séjour linguistique, etc, tous ces paramètres ne sont pas donnés au touriste lambda, et surtout pas au type de touristes qui sont habitués à venir en Tunisie depuis des décennies et des décennies.

Malgré une initiative ministérielle à saluer, l’évidence de difficultés propres aux réalités du terrain tunisien devrait inciter leur auteur, Mourad Sakli, à regarder d’un peu plus près l’ « affaire », avant de faire du « tourisme culturel » une question culturelle d’Etat, basée somme toute sur des axes d’action « standardisés » et éprouvés jusqu’ici comme possibles régénérateurs ou créateurs d’un futur « tourisme culturel ». A savoir, une contribution culturelle directe à travers des circuits touristiques préalablement envisagés et organisés, des manifestations culturelles étudiées et conçues pour la circonstance et, pour réellement rejoindre les communautés et réseaux internationaux, l’e-Culture. A savoir la possibilité d’avoir accès à une billetterie en ligne. Ce, pour faciliter la fréquentation des manifestations et festivals dits « culturels ». Si l’on se place du point de vue de la facilité, cela simplifiera le quotidien de plus d’un touriste qui voudra se rendre en Tunisie pour assister à un dit spectacle. Mais qu’est-ce que cela à avoir avec le « tourisme [dit] culturel ».

Concernant les destinations et circuits touristiques antérieurement « fécondés » pour, n’ayons pas peur du mot, « appâter » les touristes, il s’agit bien évidemment de tous les « éléments culturels en relation avec la culture nationale », correctement brevetés et labélisés pour obéir aux normes des décideurs. Le ministère de la culture décidera donc pour le ministère du tourisme de ce qui « vaut la peine » ou pas.

Soulignons par ailleurs, que même à l’échelle du patrimoine national, car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’on n’est pas sûrs que les 900 monuments tunisiens classés, abandonnés depuis belle lurette, soient en état de monstration et d’exposition.

Notre patrimoine (le mot est lourd), et donc censé permettre l’exploitation des sites et monuments archéologiques à des fins culturels, qui n’en seront pas, mais qui en seront quand même pour servir le tourisme. Sachons de plus, que le « patrimoine » dont il s’agit ici, représente la seule partie prise en considération et reconnue par l’UNESCO, c’est-à-dire presque uniquement l’ensemble des sites appartenant à l’Antiquité et aux monuments découverts suite à des fouilles archéologiques, ou appartenant à l’histoire contemporaine, qui reste tout de même très lointaine.

Cela veut-il dire que tout ce qui ne sera pas répertorié par l’UNESCO, et classé par l’INP (Institut National du Patrimoine), deviendra invisible pour les futurs touristes dits « culturels » ?
Lorsque nous ouvrons, par exemple, le « Portail du tourisme » sur le site du « Ministère du Tourisme », le site invite ensuite le visiteur, et touriste potentiel, à télécharger une brochure.

Ici, sans tomber dans le déterminisme borné et acharné, cette brochure présente de manière concrète et affirmée, un décalage complet par rapport à la réalité sociale, humaine et culturelle tunisienne.
Le « tourisme culturel » qui était réservé, à l’origine, à une élite européenne désireuse de visiter des pays et leurs peuples, par soif de culture, cultive de manière presque collatérale une nouvelle forme de supériorité et de marchandage aussi bien spirituel qu’humain qu’aucune structure gouvernementale ne saurait souffrir.

Un « tourisme culturel », comme si l’on ouvrait une brochure grand format, une carte postale en maxi-dimension. Au mieux, un « beau livre » dans la catégorie « Je découvre le monde », avec un « tout plein » de jolis clichés que les institutions étatiques auront bien pris le soin de soigneusement sélectionner pour « nous », touristes.

Quand le but est de collectionner les foules avec pour objectif essentiel « La Consommation », l’on s’éloigne totalement du principe du qualitatif, pour une mesure de la culture, ou une certaine culture donnée, pour se rapprocher progressivement du quantitatif qui, dans une solitude indéterminée, et avec des handicaps affirmés comme tels, continuera à faire la « grosse tête » devant deux secteurs en perdition, dont un (le tourisme) se considère comme rescapé d’un naufrage postrévolutionnaire.
Encore un chemin pour marginaliser d’avantage les circuits et la culture alternative. Souterraine, urbaine, qu’aucun ministre, ni conseiller, ni chef de cabinet, ni expert, ni consultant ne choisira, ni ne citera pour ses catalogues officiels.

La culture, et à fortiori la culture d’un pays, cela s’entrevoit. Toutes les données qui font la culture d’une région, d’une surface territoriale, ou d’un continent « x », ne sont pas (exclusivement) les musées et les sites archéologiques.

Ce qui fait la richesse de la Tunisie, ne se résument pas, uniquement, à la grande Carthage, aux médinas, kasbah, mosquées, ribat, zaouias, souks, kobba, borj, bab, ou skifa, etc.

La culture c’est aussi l’envers du décor.