Justice et égalité ! Ce sont les deux demandes populaires de la jeunesse tunisienne qui s’est révoltée contre l’ancien régime et continue à lutter contre la domination. Quasiment chaque jour a son lot d’histoires hallucinantes d’abus de pouvoir, de favoritisme et de corruption qui installe, progressivement, le désespoir dans les esprits des Tunisiens. L’histoire de Mejid Ayari en fait partie.
Il y a quelques mois, des articles ont été publiés sur la grâce présidentielle accordée à Chiheb Agrebi, frère du fameux militant islamiste, et plus précisément pro-Ennahdha, Mohamed Amine Agrebi, alias « Recoba ». Ce même Recoba qui était accueilli au palais présidentiel avec la ligue de protection de la révolution, est devenu non seulement célèbre, mais aussi influent grâce à ses liaisons avec les islamistes au pouvoir. Sa photo avec le président provisoire Moncef Marzouki, le sourire large et les yeux brillants, témoigne des avantages que ce jeune possède dans la sphère politique. Cela nous rappelle, l’époque où certains exhibaient leurs photos avec Zaba comme gage de pouvoir et de privilège. Les noms ont changé mais les connivences sont toujours les mêmes.
Le jeune, Chiheb Agrebi, 22 ans, condamné à un an de prison et une amende de 1000 dinars pour consommation de cannabis, a été libéré après un mois et dix neuf jours. Son ami, Mejid Ayari, condamné avec lui dans la même affaire est encore en prison. Une affaire qui laisse planer des soupçons sur l’accusation et l’octroi de la grâce, déjà critiqué par la société civile, les juristes et les juges.
En octobre 2013, Mejid Ayari, 22 ans, encore élève dans un lycée privé et son ami Chiheb ont été arrêté dans leur quartier à Montfleury. Les deux jeunes ont été conduits au poste de police le plus proche et ont passé un test urinaire qui s’est avéré positif, prouvant la consommation de cannabis. Rien de particulier dans cette affaire, sauf que la libération de Chiheb a mis plusieurs familles de jeunes élèves, et surtout celle de Mejid, dans un état de colère et de rage.
Tout le monde dans le quartier sait que Ricouba a utilisé des pistons pour libérer son frère. Sa famille est proche de Nahdha, qui possède le pouvoir. On raconte que son oncle a des relations fortes avec les dirigeants de Nahdha. On sait aussi qu’un des députés du CPR a intervenu directement auprès de la présidence pour gracier le frère de Recoba,
nous confie Anis, un jeune de quartier et beau frère de Mejid.
Sa mère qui ne veut absolument pas chercher des problèmes avec ses voisins, et surtout notables de Montfleury, insiste en disant : « Ca me fait de la peine quand je vois mon fils encore en prison alors que son ami est libéré depuis des mois. Si Marzouki a le pouvoir de libérer Chiheb, pourquoi il ne fait pas pareil pour Mejid ? » La maman venait juste de rentrer de sa visite hebdomadaire, rendue à son fils à la prison de Borj Amri. Avec un mari, vendeur dans un espace commercial et 5 enfants, Jannet Ayari n’arrive plus à gérer les énormes dépenses de la détention de son fils qui arrivent à plus de 170 dinars par semaine. « Ce sont les pauvres qui s’appauvrissent encore plus et ne trouvent pas de soutien. Si Mejid était le fils de « Flen » il aurait été libéré comme son ami », s’insurge-t-elle avec amertume.
De son côté, l’avocate de Mejid affirme que la grâce octroyée par la présidence à Chiheb est juste inadmissible et incompréhensive :
Pour bénéficier de la grâce, plusieurs critères sont nécessaires. La plus importante est la durée de la sentence. On ne gracie pas un condamné à 12 mois après quelques semaines. Il faut qu’il passe au moins la moitié de sa peine. En plus, si le prétexte de sa libération est son statut d’élève, pourquoi ils ne l’ont pas fait pour les milliers d’autres jeunes qui croupissent dans les prisons tunisiennes pou le même délit ? se demande l’avocate.
Habib Rachedi, secrétaire général du Syndicat des agents et cadres des prisons et de la rééducation, intervient dans cette affaire depuis des mois. « J’accuse non seulement Moncef Marzouki qui a utilisé son pouvoir pour un traitement de faveur, mais aussi Noureddine Bhiri ancien ministre de la justice, qui a refusé d’assainir le ministère et a dépassé la loi plusieurs fois. Je rappelle que le frère de Bhiri a bénéficié d’une grâce, l’année dernière, alors qu’il est récidiviste (les récidivistes n’ont pas droit à une grâce) et inculpé dans une affaire extrêmement grave (viol de mineur). Nous revenons à l’époque de Ben Ali où le régime utilise la justice pour réprimer ses adversaires et favoriser ses alliés. Le frère de Recoba est le parfait exemple de ce retour en force au favoritisme et à la corruption », explique Habib qui a essayé en vain d’attirer l’attention sur cette affaire à travers les médias.
Plusieurs noms de conseillers de Marzouki, et d’autres dans le ministère de la justice, ont été évoqués, durant notre entrevue avec Habib Rachedi et ses collègues du syndicat. « Ces personnes sont le symbole de l’ancien régime. Elles continuent comme avant à dépasser la loi et à servir des intérêts politiques et personnels », ajoute le secrétaire général. Malheureusement, l’ancien gouvernement de la Troika et celui actuel ne veulent pas ouvrir le dossier de la réforme et de l’assainissement de la justice. D’ici là, des centaines de jeunes comme Mejid subiront la même injustice, voire pire.
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