Considérés comme un frein à la stabilité économique et sociale, les mouvements sociaux et contestataires subissent une répression policière et judiciaire qui tranche avec les espoirs d’une Tunisie « post-dictatoriale ». Le nombre des syndicalistes, activistes et manifestants ou sitineurs en prison, violentés ou poursuivis par la justice, est de plus en plus croissant.
Du cheikh Béchir Ben Hassan, déclarant dans les médias qu’il faut trancher la tête des grévistes, aux discours des politiciens, résumant le chaos économique au nombre croissant de grèves et de sit-in, les revendications économiques et sociales sont devenues un « acte de déviance », voire un « crime », qui doit être puni. Ce fut le cas des jeunes de la révolution, condamnés pour avoir participé à la révolution sous l’accusation d’avoir brûler des postes de police.
Bien que l’Assemblée Nationale Constituante ait décidé de faire bénéficier les révolutionnaires d’une amnistie, l’acharnement, contre les activistes, continue. L’ANC a, en effet, délimité la durée de la violence révolutionnaire « légitime » entre le 17 décembre 2010 et le 28 février 2011, date à laquelle Béji Caid Sebssi a pris le pouvoir pour préparer les élections de la constituante. Même si cette nouvelle loi allège la pression sur l’acte révolutionnaire, elle révèle la volonté de l’Etat de continuer dans la même politique de procès inéquitables et iniques contre les personnes contestataires. Etant donné que l’acte n’est considéré comme révolutionnaire ou légitime que pendant la période définie par les députés.
Sami Farhat, un jeune de 18 ans, qui devrait passer son baccalauréat, ces jours-ci, est derrière les barreaux, dans une geôle à Gafsa, depuis le 4 décembre 2013. Il est accusé d’avoir brulé le local du parti Nahdha, durant les manifestations contre la Troika, après l’assassinat du défunt Mohamed Brahmi. Sami a écopé de six mois de prison, alors qu’il n’était pas le seul à visiter le local de Nahdha après l’incendie. Sans aucune preuve tangible et avec des dizaines de témoignages qui affirment qu’il n’a pas participé à l’incendie, le jeune Sami reste derrière les barreaux « pour donner l’exemple », comme l’a rapporté son comité de soutien, lors d’une conférence de presse, tenue à Tunis, le 4 juin dernier.
Toujours à Gafsa, et précisément à Oum Larayess, 14 personnes ont été condamnés à 10 ans de prison ferme, le 21 mai 2014, par le tribunal de première instance de Gafsa. Les condamnés font partie des manifestants qui se sont révoltés contre les préjudices causés par la Société de Phosphates de Gafsa à la communauté. Les habitants de « Berka » à Om larayess, ont observé un sit-in pacifique, début mai 2012, pour revendiquer du travail pour les jeunes chômeurs de la région. Afin de contester cette condamnation, les habitants d’Oum Larayess ont manifesté dans la ville. Ils demandent la libération immédiate et inconditionnelle des détenus et la réalisation de leurs revendications légitimes.
La répression policière, l’intimidation, les arrestations et les procès iniques sont souvent la seule réponse du système face aux revendications sociales. C’était le cas des « victimes de la soif » qui furent punis pour leur activisme, au moment où plusieurs régions de la Tunisie ont manqué d’eau, pendant tout un mois, au cours de l’été 2012 et jusqu’à aujourd’hui. Des dizaines de jeunes ont été arrêtés et condamnés à El Jerid, Meknassi (Sidi Bouzid), Tina (Sfax), Bou Hajla (Kairouan), et Charben (Mahdia). Malgré les actions pacifiques des habitants, la société civile et principalement le Forum Social et Economique a enregistré des dépassements, parfois criminels, de la part des autorités vis à vis des manifestants. Ainsi, au lieu de chercher des solutions pour sauver des vies (surtout celles des nouveaux-nés et les personnes âgées), le pouvoir a choisi de réprimer en masse les demandes légitimes à la dignité.
Le drame des dizaines de victimes des tirs de chevrotine à Siliana marque une étape dans cette politique de criminalisation des mouvements sociaux. En effet, alors que les habitants demandaient un dialogue avec le gouverneur pour résoudre des problèmes de développement, l’appareil policier n’a trouvé d’autre réponse que l’extrême violence et le déni. Après plusieurs mois, l’enquête menée sur cette affaire n’a abouti à rien. La justice n’a pas été rendue aux victimes et la prise en charge est loin de suffire à leurs besoins.
Après la série de procès contre la liberté d’expression, comme ceux d’Amina, de Weld 15, de Jabeur Mejri, de journalistes et d’artistes, le tour échoit, aujourd’hui, à ceux qui bougent pour leurs droits économiques et sociaux. Avec les mêmes méthodes benalistes utilisées contre les syndicalistes et manifestants du bassin minier en 2008, le pouvoir actuel essaye d’étouffer les demandes de populations affamées sous prétexte de préserver la stabilité et l’ordre public.
Feignant d’oublier l’origine du malaise tunisien qui a provoqué un processus révolutionnaire en Tunisie, le pouvoir continue à étouffer les mouvements sociaux susceptibles de lui rappeler ses devoirs envers le peuple. Dans ce contexte pré-électoral, il est nécessaire de dresser le bilan d’une transition politique qui a chamboulé les priorités du pays, en sacrifiant l’équité sociale et économique et la dignité, dans la bataille politicienne sur un pouvoir figé et incapable d’atteindre les objectifs de la révolution et de préserver l’intérêt commun des Tunisiens.
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