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Par Essia.

violences-sexuelles

Le 13 août on célèbre en Tunisie la journée de la Femme, on célèbre des droits formels obtenus par la promulgation du CSP. Le respect de ces droits dans la réalité quotidienne est encore loin d’être une évidence.

J’ai eu à le vérifier à mes dépens un certain vendredi 18 juillet 2014, en allant à un bureau de Poste, je me suis fait agresser, sauf que cette agression ne s’est pas passée tout à fait comme prévu pour mon agresseur.

J’étais au ‘Passage’ à Tunis et me dirigeais rapidement vers la poste de “Tunis Thameur” avant qu’elle ne ferme ; j’ai alors croisé un individu d’une quarantaine d’années qui, en passant et l’air de rien, m’a empoignée par les fesses. J’ai réagi en l’interpellant « hakka ? fi romdhane ? yelli ma tehchemch, ya goor,… »1, il m’a insultée à son tour de façon ordurière et m’a brutalement giflée, j’ai alors sorti de mon sac un spray au poivre et je l’ai aspergé.

Ce n’est pas la première fois qu’un inconnu me gifle dans la rue, mais, après la première fois, j’ai décidé de me procurer un moyen de défense, en espérant ne jamais avoir à l’utiliser, et j’ai choisi un spray au poivre, vendu de façon tout à fait légale et publique à l’étranger ; car voyez vous, ces ‘mâles’ se promènent avec une arme qui tue des dizaines de milliers de femmes tous les jours dans le monde (leurs mains), il m’a fallu quelque chose pour m’en protéger et ce jour-là, j’ai eu à l’utiliser.

Dès que je l’ai aspergé, il s’est mis à appeler les policiers qui surveillaient la prière du vendredi de la mosquée Al Fath en criant « ya zamil ! ya zamil ! »2, en quelques secondes un policier a rappliqué et m’a tordu la main, je lui ai dit que j’allais le suivre sans problèmes, mais qu’il arrête de me faire mal, il a continué jusqu’à ce qu’il me mette dans le camion qui se trouve au coin du jardin Thameur à côté de la porte fermée, et j’ai attendu là-bas jusqu’à ce que d’autres policiers viennent prendre la relève, entre temps quelqu’un s’est présenté pour témoigner en disant qu’il a vu le type me gifler, les flics lui ont ‘gentiment’ demandé de continuer son chemin.

Une autre unité me prend en charge et m’emmène de l’autre côté du Passage, à côté d’une banque où les policiers essayent tant bien que mal de me faire peur en me criant dessus, en m’insultant vulgairement, mais ça ne marche pas. Il y en a même un qui a sorti un Taser en le brandissant devant moi et en l’utilisant dans le vide, je lui ai tendu mon bras en lui disant qu’il pouvait le faire s’il voulait, ça ne marchait toujours pas leur cirque, alors il m’a demandé où est-ce que j’habitais, quand j’ai répondu, il m’a dit «Tu fumes sûrement du cannabis, ça te dit quoi qu’on te fasse analyser ?», je lui ai tendu à nouveau le bras, malheureusement pour lui je ne fume ni ne bois de l’alcool, je ne risque sûrement pas de me droguer.

Je n’étais plus la victime, mais l’agresseur qui a osé faire usage d’un spray d’autodéfense face à un agresseur, et la victime c’était lui! Ils se sont finalement résolus à m’emmener au poste, on m’a fait monter dans une voiture, ainsi que mon agresseur, j’ai refusé de m’asseoir à côté de lui, on lui a demandé de se mettre au fond. Puis on a changé de voiture, le conducteur m’a demandé de m’asseoir sur la banquette, ensuite il a changé d’avis, il a ouvert la malle et m’a demandé de m’asseoir dans la malle, je ne suis pas tombée dans le piège de sa provocation et je suis montée là où il pensait m’humilier. On nous a ramenés au poste de la rue Ibn Khaldoun puis à celui de Charles de Gaule. En route, le monsieur a modifié sa version des faits, l’empoignade est devenue inexistante allant jusqu’à jurer sur la tête de ses pauvres enfants. Au poste on m’a laissée poireauter; il a fallu que j’attende plus d’une heure pour qu’on prenne ma déposition, parce qu’il fallait que le chef de poste soit présent, s’agissant de “l’agression” d’un agent. Il nous a demandé de lui raconter ce qui s’est passé avant de faire la déposition, le type a encore modifié sa version, le rien du tout est devenu maintenant un coup d’épaule, mes insultes sont devenues « amé fi inik, yékhi wahdek temchi fel chéraa ya jabri ? »3, il ne m’a plus giflé, mais poussé, et le témoin en ma faveur est devenu un témoin à charge.

Nous avons ensuite fait nos dépositions respectives, dans ma déposition, les policiers ont essayé de me faire accepter que j’étais en possession d’une bombe lacrymogène anesthésiante en disant que de toutes les façons, elles sont toutes fabriquées à partir de poivre, j’ai refusé en leur demandant à la limite d’écrire le libellé du spray. On n’a pas arrêté de me culpabiliser sur l’agression de l’agent «Tu as vécu à l’étranger et tu ne te promènes pas avec ce genre de choses, pourquoi tu le fais ici ? Pourquoi tu respectes les pays étrangers et pas ton propre pays ?» «Tu n’as qu’à faire une demande de port d’arme auprès du ministère de l’Intérieur et la prochaine fois tu te promèneras avec un fusil», «Ce n’est pas si grave ce que tu as subi, on traite des cas beaucoup plus graves tous les jours ! ».

Entre temps, le père de mon agresseur est venu – grosse chaîne en or au cou, dents et bagues en or – il a dit à mon père, arrivé au poste «Allez c’est ramadan, c’est juste une petite dispute de gamins, arrêtons le tout et on fait comme si de rien n’était. » Lorsque mon père lui a répondu que c’était possible de pardonner à condition qu’il reconnaisse ses actes et présente ses excuses, il s’est mis dans tous ses états en disant qu’il n’y avait aucune excuse à présenter et « votre fille est agressive, prête à se balader avec une Kalachnikov, elle a agressé mon fils et j’ai même une douzaine de témoins qui sont prêts à faire leur déposition !”

Ainsi, le harcèlement sexuel et la violence physique et verbale contre les filles et les femmes dans l’espace public ne sont pas un problème pour les gardiens de l’ordre quand ils sont commis, même s’il y a une ‘gêne à le reconnaître’, honte à le dire publiquement, mais malgré tout, il ne faut pas aller jusqu’à s’en défendre! Non une femme ne doit pas se plaindre et s’il lui arrive quelque chose, c’est qu’il y a une bonne raison et qu’elle l’a quelque part cherché.

Le harcèlement sexuel, la violence contre les femmes doivent cesser, elles ne sont pas normales, elles ne sont pas banales.

Souvent, la police ne joue pas son rôle, celui d’être au service des citoyens agressés et à l’écoute des victimes ; elle a tendance à se transposer en un corps interventionniste avec parti-pris patriarcal, qui donne des leçons et qui veut imposer sa vision des choses. Il est urgent de prendre des dispositions en vue de s’opposer à de telles mœurs.

Je dédie mon auto défense à toutes celles qui n’ont pas pu le faire, à celles qui se sont senties salies après avoir été touchées, à celles qu’on a agressées physiquement et qui se sont fait agresser verbalement après avoir essayé de se défendre, à toutes celles qu’on culpabilise lorsqu’elles essayent de se défendre.