Développement durable et énergie solaire
Dans un récent article paru sur Nawaat, sous le titre : « Tunisie : Et la révolution du développement durable, c’est pour quand ? », Mehdi Oualha présente les réformes essentielles à adopter par la Tunisie en matière de développement durable. Ces réformes ont pour but de se conformer aux standards internationaux de 1987 formulés par le rapporteur des Nations Unies Brundtland. Brundtland définit le développement durable comme un «développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».
Indépendamment de ses aspects environnementaux, sociaux et économiques, le secteur de l’énergie est l’attrait principal des investisseurs étrangers en Tunisie intéressés par l’exploitation des ressources naturelles du pays, principalement le gaz, le pétrole et, plus récemment, l’énergie solaire.
Stratégie énergétique : le gisement du solaire à explorer
L’énergie solaire, dont le potentiel en Tunisie est important, doit être beaucoup plus valorisée qu’elle ne l’est aujourd’hui…Un encouragement ou imposition des installations photovoltaïques et de chauffe-eaux solaires dans les bâtiments collectifs est aussi à envisager. Ceci permettra notamment de contrer les pics de consommation observés, en été, à cause des climatiseurs individuels et la hausse de la consommation des réfrigérateurs. Des projets pilotes doivent, également, être encouragés dans les établissements publics.
« Tunisie : Et la révolution du développement durable, c’est pour quand ? » Mehdi Oualha, Nawaat.
La Fondation Desertec et le projet TuNur
Dans son article, Oualha cite l’intérêt particulier porté par l’Allemagne dans le développement de la production énergétique en Tunisie, et ce, dans un but d’approvisionnement du marché européen.
La fondation Desertec, en collaboration avec l’association allemande du Club de Rome, est un réseau à but non lucratif basé à Berlin et composé de « politiciens, universitaires, et économistes ». Cette fondation a développé le concept d’ « énergie propre tirée des déserts », concept qui semble être aujourd’hui la source des projets énergétiques développés en Tunisie. Le 14 janvier 2012, la Fondation Desertec, annonce, d’ailleurs, dans un communiqué de presse que : « le soleil tunisien éclairera les foyers européens, d’ici à 2016 ».
La vision de la fondation Desertec pour un avenir où les déserts du monde fournissent de l’énergie propre et durable à l’ensemble de l’humanité est en train de prendre forme. L’avenir commence dans le désert du Sahara de la Tunisie avec un projet intitulé TuNur.
« La fondation Desertec prend en charge le projet TuNur et estime qu’il peut servir de modèle pour le développement éolien et solaire au Sahara ». Alors que le langage du communiqué de presse peut paraître assez familier (tel que la phrase d’accroche rappelant les amorces des contes des “Mille et une nuits”), le communiqué de presse de la fondation Desertec s’écarte de la dimension classique de la communication sur les sujets énergétiques, dans le sens où il détaille les perspectives d’implications économiques locales d’un tel projet, s’éloignant des vagues allusions auxquelles de telles sociétés nous ont habitués.
L’investissement bénéficiera principalement aux régions du sud et de l’intérieur du pays, qui sont un secteur prioritaire de développement pour le gouvernement tunisien.
Le nombre d’emplois créés directement et indirectement à travers les projets de construction et d’exploitation sur toute la période est estimé à environ 20 000 emplois. En s’appuyant sur des partenaires, des gestionnaires et des sociétés d’ingénieurs locaux, ce projet permettra la création de nouvelles industries manufacturières. Par exemple, quelques 825 000 plaques plates de miroirs et structures en acier seront nécessaires pour un projet de 2 Gigawatt. Tout ce matériel peut être fabriqué localement.
Fondée en novembre 2011, TuNur Ltd. est un réel partenariat sud-nord entre un groupe d’investisseurs tunisiens dirigé par TOP Group et Glory Clean Énergie (50%) et la société britannique Nur Énergie qui vise à développer le premier projet d’exportation d’énergie solaire entre la Tunisie et l’Europe.
Site de TuNur Ltd.
Entre les sites web de la TuNur fondation Desertec et de Nur Énergie, un trop-plein d’informations nous parvient, que ce soit sur les actionnaires, le projet de développement ou encore les aspects techniques. Cependant, depuis la publication du communiqué de presse de la fondation Desertec en 2012, repris en cœur par les médias tunisiens (la Presse, le Maghreb, Tunisialive, Nawaat…) et internationaux, rien de nouveau n’a filtré sur ses réalisations et son développement futur.
L’article le plus récent, publié en février 2013 par «The Energy Industrie Times » avance :
« Selon le calendrier actuel, l’ingénierie du projet ainsi que son consortium seront prêts pour la seconde moitié de 2014, et une clôture du budget total pour la première moitié de 2015. » Le même article rapporte que « L’apport en investissement de plusieurs banques sera la pierre angulaire de ce projet. Ainsi, la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale se sont d’ores et déjà engagées, activement, dans l’évaluation du projet. Il est à noter que des discussions ont commencé avec les banques commerciales et des investisseurs intéressés ».
Ces deux points d’une importance capitale concernant l’évolution, mais aussi le financement du projet, amènent plusieurs interrogations. Nawaat a contacté, à la fois, la fondation Desertec et la Nur Énergie afin d’avoir plus d’informations. Voici les questions que nous leur avons posées et les réponses que nous avons reçues de la part de TuNur :
– Depuis 2012, TuNur a achevé des étapes significatives dans le projet :
La fondation Desertec a réétudié le projet TuNur et a confirmé que celui-ci répondait à ses principes, et l’a donc pris en charge en 2013. De plus, le projet a été, tout d’abord, validé par la Commission des grands projets du ministère du Développement et de la coopération internationale. Par ailleurs, un nouveau projet de loi sur les énergies renouvelables autorisant leurs exportations a été approuvé par la commission de l’énergie au sein de l’Assemblée et doit passer sous peu en plénière. Cette loi permettra l’implémentation du projet TuNur, à travers un contrat de concession avec le gouvernement tunisien.
Concernant le côté financier, la Banque Africaine de Développement a exprimé son intérêt pour un projet de co-développement, dont elle souhaite être une facilitatrice dans le financement. De plus, le projet est soutenu par un des plus grands fonds britanniques pour l’énergie solaire, la Low Carbon Ltd, qui est l’actionnaire principal de Nur Energie.
Concernant le côté commercial, nous avons reçu une offre d’achat de principe d’électricité d’une des plus grandes compagnies européenne dans le domaine pour 500MW.
Enfin, concernant le volet technique, nous avons 7 firmes qui sont intéressées pour être nos partenaires, que ce soit en matière d’ingénierie ou de gestion.
Il est à noter qu’au vu de la situation politique en Tunisie et du changement de gouvernement ayant été opéré, le calendrier a rencontré quelques retards. Ainsi, la construction a été retardée à 2016 et les opérations commerciales débuteront en 2018.
2 Pourquoi choisir l’exportation de l’électricité vers l’Europe au lieu de la destiner aux Tunisiens ? De toute évidence, le fait que «la loi tunisienne empêche toute entreprise, autre que le fournisseur d’électricité de l’État, de la vente d’électricité dans le pays » répond à cette question. Mais cette perspective d’exportation de l’électricité produite aurait-elle été une priorité, si la loi était différente ?
– TuNur est intéressée par la production d’énergie solaire pour le réseau énergétique local, et nous avons même proposé d’offrir un pourcentage de la production destiné à approvisionner le réseau local. Sauf que la loi tunisienne ne le permet pas, la STEG ayant un monopole sur la question.
L’électricité solaire est encore plus chère que l’énergie traditionnelle. En s’insérant dans le paysage énergétique tunisien, TuNur contribuera à faire baisser sensiblement les prix de l’électricité solaire, à travers des offres plus compétitives et meilleurs marchés pour les habitants.
3 Dans quelles mesures le climat incertain entourant la transition démocratique a-t-il affecté l’évolution du projet ? Dans plusieurs projets impliquant des investisseurs/entreprises étrangères en Tunisie, les développements de projets sont gelés ou retardés en raison de l’inefficacité bureaucratique/administrative. Est-ce aussi une raison expliquant les retards de la mise en place dudit projet ?
– Nous sommes persuadés que la révolution a eu un impact positif sur le pays, principalement en ce qui concerne le développement régional, mais aussi au niveau du dialogue et de la transparence avec de nombreuses institutions étatiques. Nous comprenons que le processus démocratique est un long cheminement, et restons confiants dans le fait que la Tunisie réussira à passer cette étape et fera tomber les barrières qui minent les investissements, comme la bureaucratie et la lenteur administrative. S’il y a eu des retards, cela est dû aux changements de gouvernements successifs et donc à l’absence de continuité et d’un interlocuteur fixe.
4 En ce qui concerne le financement du projet : la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale sont-elles encore actives dans le projet ? Y a-t-il d’autres institutions impliquées dans le projet ?
– La Banque Africaine de Développement nous a récemment démontré son intérêt pour être co-développeur du projet et contribuera à trouver des financeurs à travers les 50 fonds africains à sa disposition.
La Banque Mondiale a toujours encouragé ce projet, particulièrement, à travers une de ses institutions : l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements.
Nos principaux partenaires sont : Nur Energie (développeur de projet en énergie solaire britannique), la Top Oilfield company (groupe d’investisseurs tunisiens dans le domaine du pétrole et du gaz) et Low Carbon (un des plus grands fonds britanniques d’énergie solaire). Nous sommes encore en discussion avec d’autres sociétés afin qu’elles rejoignent ce consortium.
La Krannich Solar Maghreb
Malgré le fait qu’elle soit le plus petit pays du Maghreb, l’énergie photovoltaïque est l’une des plus précieuses ressources de la Tunisie. Grâce à sa situation géographique, cette région d’Afrique du Nord reçoit un rayonnement solaire élevé. (1.600kWh/kWc à El Menzah, 1650kWh/kWc à Carthage et 1.720 kWh / kWp à Djerba), ce qui la rend un véritable paradis pour les entreprises spécialisées dans l’énergie photovoltaïque.
Communiqué de presse, le 14 Juillet 2014, Krannich Solar
Plus récemment, une autre entreprise allemande, la Krannich Solar a mis en avant le potentiel photovoltaïque de la Tunisie.
Selon le communiqué de presse publié par la société à travers sa section Maghreb, installée en Espagne :
« Quatre installations d’énergie solaire pour autoconsommation photovoltaïque ont été inaugurées récemment par la société Fayzer North Afrique en Tunisie. Le fournisseur de matériel photovoltaïque Krannich Solar s’est chargé de distribuer les panneaux solaires LuxorEcoLine 60/250W et les onduleurs photovoltaïques SMA utilisés. »
Lieux | Energie | Production solaire annuelle | Emissions annuelles de gaz carbonique |
---|---|---|---|
El Menzah | 5kW | 6.930kWh | 6.8 tonnes |
Carthage | 3kW | 4.200kWh | 4 tonnes |
Djerba | 2.2kW | 17.560kWh | 17 tonnes |
Medenine | 2kW | 17.560kWh | 17 tonnes |
La différence notable entre le projet Desertec/Nur Énergie et celui de la Krannich Solar en Tunisie est l’adresse de la production d’énergie solaire. Alors que les premiers affirment, explicitement, que l’énergie solaire servira à alimenter les pays européens, les seconds, eux, semblent vouloir répondre aux besoins de croissance en énergie de la Tunisie. Citant des données de l’Office de l’Économie et du Commerce de l’ambassade d’Espagne à Tunis, Krannich solar rapporte que le gouvernement tunisien vise à installer 36MW de puissance photovoltaïque d’ici 2016. Il faut rappeler qu’en 2011, la première usine génératrice d’énergie, à travers les panneaux photovoltaïques, a vu le jour avec une capacité de 25 MW.
Un manque de transparence et de collaboration :
Ce qu’ont en commun ces deux projets (mis à part le fait que les deux sociétés sont allemandes, ce qui est normal quand on sait que l’Allemagne est le premier pays a avoir développé l’énergie photovoltaïque), c’est la visibilité et la transparence offerte au public, à travers des sites internet détaillés, des vidéos explicatives, des informations concises et claires, et cela mis en avant par une stratégie de communication, savamment, orchestrée. Par contre, là où il y a un souci de transparence, c’est au niveau des sociétés tunisiennes impliquées dans ces projets : Top Oilfield Service n’apparaît même pas comme contributeur du projet TuNur, tandis que Global Clean Énergie ne semble même pas avoir de site internet.
Ce manque de transparence explique à n’en pas douter l’inefficacité bureaucratique et administrative, le manque de coopération et surtout l’absence de réponse à des partenaires potentiels que peuvent être les investisseurs et les consommateurs.
En se référant à la Desertec Industrial Initiative (DII), Mehdi Oualha écrit dans son article sur le développement durable :
La lenteur administrative, dont souffrent les industriels et que mentionne la Dii, doit être combattue pour promouvoir ce genre de projets innovants. Cependant, il a été étonnant de voir l’UGTT pousser à des réclamations d’exclusion du secteur privé, dans le cas particulier des énergies renouvelables, sans réelle prise de recul ni démarche scientifique d’évaluation dans un semblant de bras de fer pour montrer qui commande.
Lors de son approbation du projet TuNur en 2012, la Fondation DESERTEC a identifié la même qualité d’exclusion, qu’elle a attribuée, spécifiquement, à la Société «publique et non administrative» Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG) qui est affilié au ministère de l’industrie, de l’Énergie et des Mines : « Le rôle de la STEG, comme un monopole public de l’électricité, doit être de mieux collaborer avec les initiatives privées. »
Au cours des dernières années, les partenariats dans le secteur de l’énergie, en Tunisie, se sont souvent caractérisés par une opacité grandissante. Entre manque d’informations, absence de rapports détaillés et défaut de couverture médiatique, c’est tout un secteur qui vit, aujourd’hui, dans une certaine forme de fantasme, plus ou moins avérée. In fine, tel que décrit par Mehdi Oualha dans son article, la production d’énergie solaire, aujourd’hui, la Tunisie gagnerait à mieux s’inspirer des préceptes du développement durable afin de parvenir à un équilibre rationel entre exportations et autoconsommation. De plus, et comme le rappelle fort justement Mohamed Samih Beji Okkez de Nawaat, dans un précédent article, cela contribuerait fortement à développer une industrie et un marché générateur d’emplois dans des régions économiquement et socialement marginalisées du pays. En offrant leurs expertises et leurs savoir-faire en matière d’énergie renouvelable, Desertec, Nur Énergie et Krannich Solar insufflent une dynamique nouvelle, à la Tunisie, dans ce secteur faisant du pays « la source lumineuse du monde arabe », avant de devenir bientôt « la source lumineuse des pays européens ».
En complement de cet article si bien élaboré je voudrais ajouter cet article publié dans le lien suivant http://www.euractiv.fr/energie/desertec-abandonne-ses-projets-e-news-528166 et qui peut être à l’origine de la lenteur du gouvernement à accorder son approbation definitive au projet Tunur et ce du fait que ce projet fût initialement totalement destiné à l’exportation, mais avec le desistement de desertec et ce du fait de l’autosuffisance europeenne en energie solaire, le volet export devient moins sûre et la deviation de la production vers le local devient effectivement difficile a accepter par la Tunisie du fait du coût élevé de ce projet, aussi durable soit-il.
L’initiative industrielle Desertec (Dii) a abandonné sa stratégie d’exportation d’énergie solaire du Sahara vers l’Europe, ce qui anéantit les espoirs du Vieux Continent d’augmenter la part d’électricité renouvelable à l’aide d’approvisionnements externes bon marché.
Lors d’un entretien téléphonique avec EurActiv, le PDG de Dii, Paul van Son, a reconnu que l’accent initial du projet sur l’exportation représentait une « vision unidimensionnelle ».
L’alliance industrielle a été créée afin d’accroître l’approvisionnement en énergie renouvelable au Maghreb en vue de contribuer à 20 % de la demande européenne en électricité d’ici 2050. Dii admet à présent que l’Europe peut subvenir à la plupart de ses besoins localement.
« Si nous parlons d’énergie renouvelable d’Afrique du Nord, seule une petite partie sera en fin de compte acheminée vers le marché européen », a expliqué M. van Son. Il a ajouté que le marché européen pourrait fournir jusqu’à 90 % de sa propre demande en électricité.
« Honnêtement, il y a quatre ans, l’acheminement de l’énergie depuis l’Afrique du Nord était la raison d’être de Desertec. Nous avons abandonné cette vision unidimensionnelle. Il s’agit à présent de créer des marchés intégrés dans lesquels l’énergie renouvelable apportera ses avantages […] C’est l’objectif principal », a-t-il indiqué.
Desertec est « trop cher et utopique »
Les détracteurs de Desertec mettent en doute la viabilité d’un projet de 400 milliards d’euros qui vise à produire 100 GW d’ici 2050. Les doutes se sont accentués lorsque l’actionnaire fondateur, Siemens, s’est retiré de l’initiative en novembre 2012. Au même moment, Dii n’a pas obtenu le soutien du gouvernement espagnol, en difficulté financière, en faveur d’un projet de démonstration d’énergie solaire concentrée (ESC) de 500 MW à Ouarzazate, au Maroc. Ce projet est cependant toujours en cours.
« [Desertec] n’est pas viable sous sa forme originale, parce qu’il est trop cher et utopique. Il a attiré très peu d’investissements. C’est devenu en quelque sorte un accord bilatéral », affirme Peter Droege, président d’Eurosolat, une association industrielle.
Des acteurs du secteur européen de l’électricité doutent du modèle d’entreprise initial de Dii. Ils affirment que son approche sur l’exportation est incompatible avec l’interconnectivité actuelle du réseau entre le Maghreb et l’Europe, et au sein de l’Europe elle-même. Ils ajoutent que le marché éprouve déjà des difficultés à intégrer une capacité supplémentaire d’énergie renouvelable.
« Nous manquons toujours de lignes et de capacités pour l’exportation à un niveau très élémentaire », selon Susanne Nies, directrice du département de politique énergétique à Eurelectric, l’association qui représente le secteur européen de l’électricité.
« L’Espagne rencontre déjà des difficultés avec sa propre production excédentaire d’énergie renouvelable et des importations supplémentaires de pays tiers aggraveraient certainement le problème », a-t-elle ajouté.
« Il est difficile d’affirmer que l’UE a besoin de capacité supplémentaire de SER [source d’énergie renouvelable] », a-t-elle poursuivi. Le cadre réglementaire, technique et économique du système électrique doit également être ajusté, selon Mme Nies.
Paul van Son souhaite que Desertec se concentre sur les effets de synergie. Il affirme que le chemin est encore long avant l’intégration du marché de l’électricité en Europe, mais précise que des arguments commerciaux convaincants peuvent être avancés.
« Si nous analysons les énormes synergies en termes d’économie réelle, les responsables politiques ne devraient pas être autorisés à ne pas profiter de ces synergies dans le domaine de l’énergie. Les responsables politiques ne voudraient pas nuire aux citoyens de l’Europe et du Moyen-Orient », a-t-il déclaré.
Des conditions de marché peu attrayantes
Les pays d’Afrique du Nord, la région initialement privilégiée des activités de Dii, se concentrent sur la satisfaction de leur propre demande nationale en électricité, qui croît rapidement. En tout cas, ils hésitent à s’engager dans ce qu’ils considèrent comme des conditions de marché européen peu attrayantes.
« Nous ne savons pas si les prix de l’électricité sur le marché européen nous rapporteront un retour sur investissement », a déclaré Mustapha Mekideche, le vice-président du Conseil national économique et social (CNES) de l’Algérie, lors d’une conférence sur l’énergie à Alger en novembre 2012.
Sonelgaz, la société nationale algérienne de l’électricité et du gaz, a signé un accord de coopération avec Dii à Bruxelles en décembre 2011, malgré les doutes de législateurs algériens haut placés quant à l’avenir de l’initiative industrielle.
« Les pays d’Europe du Nord doivent montrer qu’ils veulent acheter de l’électricité produite à partir de [sources d’] énergie renouvelable », a déclaré le président-directeur général de Sonelgaz, Noureddine Sonelgaz, lors d’un entretien avec la presse algérienne avant la signature de l’accord.
L’Algérie s’est fixé l’objectif ambitieux de produire 40 % de son électricité à partir de sources d’énergie renouvelable d’ici 2030 en vue de libérer plus de gaz pour l’exportation. Les progrès dans l’établissement de projets sur le terrain ont toutefois été lents. L’engagement entre l’Algérie et Dii en faveur d’une centrale solaire à concentration (CSP) ne s’est pas matérialisé.
RWE est toujours intéressée
Dii compte toujours des partisans, dont le conglomérat allemand RWE, qui souhaite étendre son secteur de l’énergie renouvelable. Le Maroc est le pays maghrébin qui soutient le plus Desertec. RWE négocie actuellement avec des partenaires marocains afin de créer une coalition, la première étape d’un projet de construction de centrales photovoltaïques et d’éoliennes de 50 MW dans le royaume.
« Nous sommes convaincus que le projet Desertec est une très bonne occasion d’augmenter l’approvisionnement en énergie renouvelable pour l’Afrique du Nord. Même si certains critiquent le projet, nous estimons qu’il portera ses fruits à long terme », a déclaré Martin Pack, porte-parole de RWE.
RWE a confirmé que l’électricité produite à partir des projets marocains serait destinée au marché local et non à l’exportation.
RÉACTIONS:
Susanne Nies, directrice du département de politique énergétique à Eurelectric, l’association qui représente le secteur européen de l’électricité, a déclaré :
« En termes de consommation d’électricité, le monde est actuellement divisé en deux. D’un côté, les économies émergentes (la Turquie, le Brésil, la Chine, l’Inde, etc.) connaissent une croissance impressionnante et rapide de 8 à 10 % par an dans la consommation d’électricité. L’Afrique du Nord et l’Afrique dans son ensemble font en fait partie de cette tendance. De l’autre côté, le monde de l’OCDE, dont l’UE, prévoit des tendances négatives de consommation d’énergie jusqu’en 2020. La récession persistante, les changements démographiques et l’amélioration de l’efficacité énergétique sont à l’origine [de cette situation], même si l’électrification devrait augmenter.
Le modèle d’entreprise initial de Desertec devait fonctionner sur la base des exportations. Cela lui aurait permis de couvrir ses coûts de production d’électricité. Cependant, un réexamen de cette approche initiale axée sur les “exportations” serait peut-être nécessaire pour deux raisons principales :
Premièrement, nous manquons toujours de lignes et de capacités pour l’exportation à un niveau très élémentaire. Leur construction est difficile d’un point de vue technique en raison de la profondeur des eaux de la Méditerranée. En outre, ce n’est pas seulement le lien entre l’Afrique du Nord et l’Europe qui pose problème. C’est plutôt l’avenir de la capacité supplémentaire une fois qu’elle atteint la péninsule ibérique. L’Espagne éprouve déjà des difficultés avec sa production excédentaire d’énergie renouvelable et des importations supplémentaires de pays tiers aggraveraient certainement le problème. Les lignes de l’Espagne devraient être renforcées, en vue d’acheminer l’excédent d’électricité vers la France. L’interconnexion à la frontière franco-espagnole est toutefois encombrée. Ceci étant dit, il est vrai que des progrès ont été réalisés dans le renforcement des lignes de transmission du bassin méditerranéen. Les progrès doivent toutefois s’accélérer de toute urgence dans l’intérêt commun de tous les pays concernés.
Deuxièmement, il est difficile d’affirmer que l’UE a besoin de capacité supplémentaire de SER [source d’énergie renouvelable]. L’Europe est actuellement témoin d’une situation dans laquelle la capacité de SER tente de remplacer les centrales traditionnelles existantes. Ce passage requiert la résolution de nombreux problèmes liés au système, dont sa resynchronisation à la suite de l’expansion des SER, en particulier dans le domaine des éoliennes à vitesse variable et du photovoltaïque. Même si la variabilité ne constitue pas un problème en soi, elle contraint le système à changer son mode de fonctionnement, ce qui signifie également qu’il faut donner plus de temps au cadre réglementaire, technique et économique pour s’adapter. L’ajout d’encore plus de SER de Desertec dans le même temps ne soutiendrait probablement pas cette décision.
Les craintes concernant la propre consommation de l’Afrique constituent l’une des dernières raisons de douter un peu plus de la dimension de l’exportation attendue au départ. L’Afrique aurait tort de négliger sa propre production locale d’énergie et mettrait sa sécurité d’approvisionnement en péril pour satisfaire la demande de l’Europe. La demande en Afrique dépasse déjà l’offre. Dans le même temps, le “verrouillage carbone” [risque de dépendance excessive à l’égard du carbone] doit être évité. Des arguments commerciaux convaincants sont dès lors nécessaires. S’éloigner de l’ESC très coûteuse au profit de l’énergie éolienne sur terre, plus proche du marché, mais également de grandes centrales photovoltaïques, est certainement la meilleure chose à faire. »
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