L’Union européenne vient de se doter d’une nouvelle direction où l’arrivée de l’Italienne Federica Mogherini à la tête de sa diplomatie augure d’une importance accrue à donner à la Méditerranée en ce temps de défis extrêmes que l’émergence de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ne fait que concrétiser.
D’ailleurs, dans son discours de clôture de la conférence des ambassadeurs, vendredi 29 août, le ministre français des Affaires étrangères et du Développement international n’a pas manqué d’estimer de tous les dangers l’année en cours, jugeant le monde devenu quasiment ingérable.
Parmi les conflits meurtriers aux conséquences les plus dramatiques nourrissant dans l’opinion ce qu’il a qualifié de sentiment de paninquiétude renforcée par la mondialisation des médias, M. Fabius a évoqué à juste titre la pandémie terroriste endeuillent encore plus le Proche-Orient.
Fustigeant le soi-disant califat de la terreur qu’est l’EIIL, il a noté qu’il s’arroge des pouvoirs super-étatiques en matière de finances, justice, armée, pensée et vie ou mort, se gardant cependant de noter que la montée de cet État fantoche s’est faite dans une quasi-indifférence internationale complice sinon actrice tout en continuant de ne pas susciter de sérieuse riposte pour l’endiguer.
Une politique française sans âme
Si le constat de la situation mondiale fait par M. Fabuis se veut réaliste, il est irréaliste dans ses conséquences. Relevant l’absence actuelle de puissances réellement régulatrices dans un monde dépolarisé, ce qui autorise à de nouveaux Etats de revendiquer une place accrue sur l’échiquier international tandis que les Etats dans leur forme connue ne détiennent plus le monopole de la force, il ne propose rien d’autre que le bla-bla habituel d’un multilatéralisme organisé et de la nécessité pour l’Union européenne de s’intéresser un peu plus au Sud.
Aujourd’hui, comme le précise pourtant lucidement M. Fabius, « des individus peuvent plus facilement qu’hier acquérir, amplifier et projeter leur capacité destructrice ». Que peuvent donc les États contre un tel danger capillarisé ? Surtout que la raison d’une telle extension ne réside pas exclusivement dans l’éclatement de la puissance publique paralysant les mécanismes traditionnels de sécurité collective.
Quand M. Fabius soutient que la France est en lutte contre le terrorisme sur le plan intérieur et extérieur, estimant que la Communauté internationale doit pratiquer d’urgence contre ce mal une lutte coordonnée et sans faiblesse, plus particulièrement contre sa face hideuse qu’est l’EIIL, ne fait-il pas que débiter un pur voeu pieux ?
On sait que l’un des foyers de tension alimentant le terrorisme, embrigadant les consciences, entretenant les mythes est la guerre de Palestine. Or, que préconise-t-il sinon une affirmation du principe vide de contenu de la nécessite de l’État de Palestine ? Que ne dit-il quelques mots sur le terrorisme d’État exercé par le régime israélien actuel, sur le nécessaire retour à la légalité internationale du partage dont ne veut pas Israël ou encore du soutien inconditionnel de l’Occident à la politique coloniale israélienne ?
Pour que la France, comme il l’assure, « ne se résigne pas, ne s’aligne pas, et contribue à la sécurité, à la stabilité et au progrès », ne doit-elle pas donner l’exemple en appelant à innover dans un dossier sensible dont on ne veut pas reconnaître le caractère fort nuisible non seulement en Méditerranée, mais dans le monde, particulièrement dans l’alimentation du terrorisme ? Outre le retour nécessaire à la seule légalité valable en Palestine, celle du partage de 1947, un début de solution sera entrevu en s’attaquant au grand tabou de la circulation humaine entre les deux rives de la Méditerranée.
La politique occidentale insensée
Si notre monde de tous les dangers manque aujourd’hui de quelque chose, c’est de solidarité effective entre les peuples et les États, où le libéralisme ne soit pas galvaudé en une foire aux marchandises érigées en déité servies par des humains asservis au capital financier international.
En effet, même sur cet autre plan majeur qui fait sa dignité en plus du libéralisme, celui des valeurs démocratiques, l’Occident faillit à son honneur en encourageant des ersatz de régime démocratique, agissant par un mécanisme purement formel à en faire de simples marchés bons pour le commerce. Ainsi, soutient-il contre la société les forces politiques complices prônant un capitalisme sauvage sans se soucier de leur idéologie liberticide en matière des droits de l’Homme, violentant qui plus est les attentes populaires.
Sur cette politique insensée de l’Occident vis-à-vis des pays du Sud, la France ne fait que s’aligner, les solutions données par M Fabius dans son discours de clôture ne constituant que cautère sur jambe de bois.
C’est le cas en Tunisie, seul pays pourtant de ce qu’on a appelé Printemps arabe a pouvoir réussir un modèle original de démocratie en mesure de rompre avec la comédie de la politique accoucheuse des drames qui endeuillent le monde. On s’y applique, en effet, à développer ce que je qualifie de « daimoncratie », chose des démons et gourous de la politique dont le seul souci est le pouvoir et ses délices. Et cela se passe dans une sorte de kermesse commerciale que résume le recours à l’encre dite indélébile, faisant des élections une pure opération juteuse pour les distributeurs de cette encre.
Or, la France a un atout appréciable qu’elle a tort de ne pas utiliser et qui est le mouvement francophone. Pour peu qu’on le sorte de sa gangue actuelle limitée à la culture pour lui donner une dimension politique, elle pourrait agir pour la mise en oeuvre d’un espace de démocratie francophone impliquant la libre circulation entre les ressortissants de l’espace moyennant l’outil sécurisé que je préconise du visa biométrique de circulation, respectueux des réquisits sécuritaires.
L’un des grands objectifs de la France selon le ministre français est l’organisation de la planète et sa préservation, la faisant pour sa meilleure et sa plus juste organisation, mais aussi pour sa préservation. Aussi, pour sauver véritablement la planète, il faut d’abord sauver les hommes d’eux-mêmes en raffermissant entre eux les liens d’une solidarité effective commençant par le partage d’un même destin surtout quand ils sont réunis par une mer commune.
La politique migratoire européenne
Mare Nostrum pourrait redevenir une réalité si l’on osait rompre avec la politique actuelle symbolisée par le mécanisme archaïque Frontex qui revient à l’illusion de bâtir un mur de béton sur la mer. Il est fatal d’agir pour l’édification en son lieu et place d’un espace de démocratie méditerranéenne, agissant en profondeur sur les mentalités, changeant l’inconscient collectif de part et d’autre, y enlevant les graines actuelles de ce que je qualifie de nazisme mental rampant et qui produit ce que la maire de Lampedusa a osé qualifier d’holocauste moderne.
La Méditerranée est aujourd’hui une mer jamais moins commune, davantage plus étrangère aux siens qu’elle ne l’a jamais été par la politique insensée de l’Europe, désormais criminogène. Or, on y a besoin de solutions de partenariat effectif impliquant une solidarité sérieuse entre les cultures. Cela doit commencer par une rupture radicale avec le paradigme toujours prédominant consistant à fragmenter encore plus le monde selon les seuls intérêts nationaux, dressant des frontières partout entre les hommes, les réduisant à ruminer leur dépit et leur aversion dans des réserves livrées au chaos entretenu ou toléré par un Occidentalisme arrogant et exploiteur.
C’est la gestion des migrations en Méditerranée qui alimente les guerres au Moyen-Orient par des munitions humaines inépuisables, ces jeunes interdits de circulation aujourd’hui ou souffrant de discrimination, empêchés ainsi de vivre leur vie comme tout le monde et finissant par la mener différemment, versant dans la terreur, seule aventure leur restant quitte à perdre cette vie qu’ils ne peuvent gagner paisiblement et qui ne vaut plus rien à leurs yeux sinon qu’à être vécue vite, dangereusement.
Il faut oser le dire : il n’y a plus d’immigrés; il n’y a que des expatriés. Il n’y a plus de clandestins; il n’y a qu’un terrorisme clandestin d’expatriés. La situation actuelle en Méditerranée constitue le terreau du terrorisme tel qu’il est incarné de par le monde, notamment en Orient. Aussi, relever son défi commence d’abord en notre mer commune.
Le Maghreb fait partie de l’Europe
C’est ce qu’assurait déjà une référence majeure de la raison occidentale, Hegel. L’éminent représentant de l’exigence de la raison, de la rigueur et de la rationalité du concret, dans La Raison dans l’Histoire, parlant de « l’Afrique septentrionale (qui) donne sur la méditerranée et s’étend, vers l’ouest, jusqu’à l’Atlantique », soutient « que toute cette zone n’appartient pas à l’Afrique, mais à l’Espagne [c’est-à-dire à l’Occident] »
Or, l’Espagne est déjà imbriquée au Maghreb par les séquelles du colonialisme que sont les présides de Ceuta et Melilla ! C’est même un argument massue de la prétention du Maroc, et forcément de tout le Maghreb, à l’entrée en Union européenne déjà revendiquée par le roi Hassan II.
Son fils — qui a failli récemment être refoulé des eaux territoriales de son propre royaume, qui sont dans le même temps européennes — a donc intérêt à relancer la candidature de son pays à l’Europe, l’aberrant statut de Ceuta et Melilla manifestant déjà l’extension de l’Europe au Maghreb. Il pourrait ainsi faire de cet anachronisme une cause de reviviscence de la politique en Méditerranée, y transfigurant la politique, et à terme tous les rapports internationaux.
Car le Maroc, la Tunisie, et même tout le Maghreb, sont structurellement dans l’Europe même si cela le reste de manière informelle. L’économie et la géostratégie l’imposent pour tout esprit qui se targuerait de n’être que focalisé sur les dures réalités, ne se laissant pas aller à une vaine rêverie. Celle-ci, aujourd’hui, est de prétendre encore que le Maghreb ne fait pas partie de l’Europe qui est déjà au Maghreb politiquement, économiquement et même sociologiquement et culturellement.
Pour la Tunisie, mais cela vaut ipso facto pour le Maroc, les officiels Européens disaient déjà avant la chute de la dictature que le pays pouvait prétendre à bénéficier de tous les avantages liés à une présence en Europe à l’exception de l’intégration de ses institutions. La Tunisie d’aujourd’hui mériterait-elle moins que celle de la dictature ?
Que les Européens osent le faire si les officiels Marocains et Tunisiens ont la pusillanimité de demander l’adhésion de leur pays à l’Union européenne et l’instauration, pour commencer, d’un espace de libre circulation sous couvert de visa biométrique de circulation ! S’il est une fatalité politique en Méditerranée, c’est bien celle-ci. La question n’est plus si les humains circuleront librement entre les deux rives d’une Méditerranée concrètement libérale mais quand ? À défaut, elle ne portera que sur le degré du naufrage de cette mer dans l’horreur incarnée par l’EIIL ou un autre clone, l’imaginaire de l’horreur étant prolifique quand l’humanitaire se met aux abonnés absents.
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