Le soleil ne s’est pas encore levé lorsque Salah rejoint son champ. « C’est ici que je commence mes journées ». Il prépare un café, allume une cigarette. Croise et décroise ses jambes. « L’amour de la terre, je l’ai dans le sang », lance cet infatigable agriculteur. Nous sommes à Chenini, dans le Sud-Est de la Tunisie. « Ancien paradis de la biodiversité saharienne », selon les mots de Salah, on y pratique la culture à étages : la strate supérieure est constituée de palmiers dattiers qui jouent à la fois le rôle de parasol et de coupe-vent aux autres arbres. La strate moyenne constituée de différents arbres fruitiers qui permettent de réguler l’humidité de l’air et d’apporter de l’ombre. Enfin, la strate basse, est composée de différentes cultures maraîchères et fourragères.

L’ASOC, sur le terrain depuis deux décennies

Mais l’équilibre de cet écosystème est aujourd’hui menacé. En effet, l’implantation du Groupe Chimique Tunisien (GCT) qui a débuté au début des années 70 et dont l’activité consiste à transformer et valoriser le phosphate brut, a eu des conséquences désastreuses sur l’oasis en l’espace de quelques années : pénurie d’eau, morcellement des terrains, affaiblissement des sols, destruction du système de solidarité,  etc.

C’est de ce triste constat qu’est née l’ASOC, il y a 22 ans. Elle lance dès 1992 un programme de réhabilitation de l’oasis : application de techniques agronomiques respectueuses de l’équilibre écologique pour restaurer les sols ; programme de gestion de l’eau ; régénération des espèces végétales et animales ; travail pédagogique avec les élèves de Chenini. Salah fait parti des premiers agriculteurs à avoir participé au programme de conversion à l’agriculture biologique. « Je n’utilise plus d’engrais chimiques depuis 6 ou 7 ans ». La conversion est un processus de changement d’une agriculture conventionnelle (utilisation de produits chimiques, pratiques agricoles intensives) à une agriculture biologique qui se caractérise par le non usage d’engrais chimiques, le recyclage des matières organiques, la rotation des cultures, et plus généralement, un respect global de l’environnement et des ressources disponibles.

« Nous avons commencé le programme en 2008 et aujourd’hui il y a 147 agriculteurs bio à Chenini », se réjouit Issam Jebri, vice-président de l’ASOC. « Nous avons sensibilisé les agriculteurs, et une première équipe s’est rendue à l’Institut Supérieur Agronomique de Chott-Meriem pour une formation en agriculture biologique ». De retour à Chenini, ils ont pu bénéficier d’un accompagnement individualisé pour la période de transition qui dure en moyenne 6 mois. Et c’est à l’issue de cette période et après un contrôle que l’agriculteur reçoit une certification biologique par l’Institut Méditerranéen de Certification. « Cet Institut fait plusieurs contrôles : de façon déclarée deux fois par an et une fois tous les 6 mois à l’improviste », explique Issam Jebri.

C’est dans cette dynamique de conversion que l’ASOC a créé une station de compostage des déchets de palmiers dattiers de l’oasis qu’elle redistribue ou vend aux agriculteurs de la région. Cette initiative permet la collecte et la valorisation de 5 à 6 tonnes de sous-produits de palmiers dattier par semaine.

« Nous encourageons aussi nos agriculteurs à avoir leurs propres composts », note Issam Jebri. De même pour les semences : dans la mesure où l’utilisation des semences hybrides les rendent dépendants, l’association les a sensibilisé à la production de semences locales en mettant à leur disposition des parcelles pour qu’ils puissent cultiver leurs propres semences.

Persévérance

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Photo : Association De Sauvegarde De L’Oasis De Chenini Gabes – ASOC

Mais avant d’en arriver là, il a fallu convaincre les agriculteurs : « lorsque l’association est venue me voir, elle m’a dit que les fruits et légumes biologiques sont de meilleures qualités et qu’à long terme c’est plus rentable », raconte Salah. « Après 7 ans, je ne regrette pas m’être lancé ». Pourtant, de la persévérance, il en faut. La conversion bio demande de gros efforts. En effet, l’abandon de l’utilisation d’engrais chimiques peut provoquer une importante baisse de rendements et une rotation peu diversifiée augmente la présence de maladies. Par ailleurs, les herbicides étant interdits dans l’agriculture biologique, l’agriculteur se voit obligé d’augmenter sa main d’œuvre pour le désherbage. Issam Jebri souligne également un problème au niveau de la commercialisation : « l’accès au circuit bio est limité, du coup, les agriculteurs biologiques vendent leurs produits au même prix que les agriculteurs conventionnels sur les marchés locaux ».

Pour faire face à ces difficultés, l’Etat a mis en place des aides : une subvention de 30% relative aux équipements, instruments et moyens spécifiques à la production biologique et une subvention de 70% sur le coût des frais de contrôle et de certification. Mais selon Salah, cela ne suffit pas.

Commet voulez-vous qu’on s’en sorte ? La main d’œuvre, l’eau qui se fait de plus en plus rare, tout ça a un coût pour les agriculteurs, s’alarme t-il.

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Photo : Association De Sauvegarde De L’Oasis De Chenini Gabes – ASOC

Pourquoi produire bio ?

Si l’agriculture biologique ne vient pas répondre à tous les problèmes, Fabian Mickaël Béji, de l’association EDEN International, assure qu’elle apporte de nombreuses solutions. « Elle a prouvé son efficacité dans la fixation du carbone dans le sol et sa restructuration, l’amélioration des taux de matières organiques, une meilleure rétention de l’eau, la diminution de la pollution des ressources naturelle ». Et c’est aussi au niveau de la production que l’agriculture biologique a fait ses preuves :

Elle permet une stabilisation des rendements entre les années humides et sèches conduisant à une amélioration de la sécurisation du revenu des agriculteurs et de la production de denrées alimentaires.

Pour Issam Jebri, pratiquer l’agriculture biologique, c’est quelque part revenir aux méthodes et techniques traditionnelles : « à la fin des formations, les agriculteurs nous disent souvent qu’ils ont l’impression d’être revenu 20 ans en arrière ». En effet, au sein de l’ASOC, il y a ce souci de réhabiliter les savoirs-faires traditionnels à travers l’agriculture. Car selon eux, le bio ne doit pas avoir le monopole du respect de l’environnement.

Avant, on n’entendait pas parler des produits chimiques. On n’avait rien à part le fumier qui était de bien meilleur qualité qu’aujourd’hui, se souvient Salah.


A vous !

  1. Prenez contact avec les agriculteurs de votre région : la première étape est de créer des liens de confiance entre vous et les agriculteurs. Privilégiez dans un premier temps des petites parcelles.
  2. Une fois les agriculteurs sensibilisés, choisissez les plus motivés et proposez à des agriculteurs expérimentés de discuter avec eux : cette phase est très importante car elle va permettre à l’agriculteur qui veut se convertir au bio de réaliser ce que cela signifie concrètement.
  3. Un diagnostic de l’exploitation, c’est-à-dire dresser un état des lieux qui vous permettra de construire le projet techniquement, économiquement et humainement et d’en assurer sa faisabilité et sa durabilité.
  4. Mise en œuvre : formation en agriculture bio au Centre Technique de l’Agriculture Biologique, suivi technique, aide à la commercialisation.
  5. Prenez contact avec un organisme de contrôle et de certification agrée par le ministère de l’agriculture.

Contact

Association de Sauvegarde de l’Oasis de Chenini (ASOC)

Téléphone : 75228407

Courriel : asoc@planet.tn

Internet : Page Facebook

Centre Technique de l’Agriculture Biologique (CTAB)

Téléphone : 73346279 / 73346278

Adresse : BP 54 – Chott Meriem, 4042 Sousse – Tunisie