La gauche tunisienne a laissé une empreinte historique dans notre paysage politique à travers ses positions inflexibles sur la lutte pour la souveraineté nationale et l’anti-impérialisme, la défense des libertés, la justice sociale et la lutte contre les inégalités.
Depuis les élections de la constituante, le Front Populaire a fait prévaloir la lutte idéologique entre le courant laïc et le courant islamiste, au détriment d’une lutte primordiale sur les réformes socio-économiques qui vise à atténuer la fracture régionale et sociale, à l’origine de la révolution. La remise en question du modèle de gouvernance hérité de l’ancien régime, qui freine notre développement, est passée au second plan.
Au moment où la Tunisie vient d’élire un parlement outrageusement dominé par les partis libéraux (Niadaa, Afek, Ennahdha…) avec une forte représentativité de l’UTICA, les leaders du Front Populaire se disent prêts à s’engager dans une majorité parlementaire pour former un gouvernement.
Au-delà de l’idéal révolutionnaire qui tend à faire barrage à la contre-révolution, on est en droit aujourd’hui de se poser des questions sur les nouvelles positions du front populaire : Ce front de partis de gauche et d’extrême gauche n’est-il pas en train de s’éloigner de ses principes fondateurs ?
Au sein d’une future coalition gouvernementale libérale, n’aurait-il pas du mal à assumer ses positions traditionnelles sur la défense des défavorisés, sur la répartition équitable des richesses et l’accès aux opportunités économiques ?
N’aurait-il pas du mal à limiter les répercussions des politiques économiques ultra-libérales sur le plan social, sur la création d’emplois, sur le chômage, sur le niveau du SMIC, sur les écarts de rémunérations et sur notre indice de développement humain ?
Aurait-il les moyens de geler la dette odieuse contractée par l’ancien régime, une mesure phare qu’il avait annoncé à son électorat ?
La position avant l’adhésion à l’Union Pour la Tunisie
Adversaire acharné du gouvernement transitoire de Béji Caid Essebsi, Hamma Hammami réfutait les « accusations indirectes, répétées, de Béji Caid Essebsi vis-à-vis du PCOT ». Il ira même jusqu’à évoquer la « relation tendue entre Béji Caid Essebsi et le PCOT » et « la torture des perspectivistes lorsque BCE était premier ministre », il avait ajouté : « tout le monde sait que Béji Caid Essebsi a passé plus de quinze ans au ministère de l’intérieur, il les a passés au cours d’une sombre période qui a connu la liquidation du mouvement Youssefiste, Sabat Edhlam, la torture, les enlèvements, les meurtres… ».
Abdennaceur Aouini, de son côté, avait déclaré à propos de Béji Caid Essebsi : « nous allons vous demander des comptes sur les services que votre cabinet avait fourni au holding The Princess de Sakher El Materi et au groupe Carthago de Belahssen Trabelsi, nous allons demander des comptes à ce cabinet d’avocats dont Fouad Mebazzaa est actionnaire sur sa participation au blanchiment de l’argent du clan Ben Ali… » Des déclarations aux antipodes des prises de position actuelles à la veille du second tour des élections présidentielles. Le Front Populaire s’est gardé d’afficher son refus de soutenir le candidat de Nidaa Tounes, tandis que certains leaders lui ont ouvertement affiché leur soutien.
Certains y voient une suite logique à l’adhésion du Front Populaire à l’Union Pour la Tunisie, d’autres y voient un refus de se prononcer contre le retour en force de la contre-révolution, ou encore un symptôme manifeste du syndrome de Stockholm.
Le Syndrome de Stockholm
Il est fait ici allusion à un phénomène psychologique qui désigne un comportement paradoxal. Car Béji Caid Essebsi est connu pour avoir réprimé les opposants de la gauche Tunisienne (étudiants, universitaires, membres du PC Tunisien, nationalistes arabes, baathistes…) dans les années 60, notamment le mouvement PERSPECTIVES à partir de 1967. En effet, durant son mandat de Secrétaire d’Etat à l’Intérieur (Juillet 1965 – Septembre 1969), il y a eu trois procès politiques majeurs ; le premier, en Juillet 1967, qui a vu la condamnation d’une vingtaine de militants à de lourdes peines de prison pour « Incitation à la Manifestation » (protestations populaires contre l’agression militaire israélienne de juin 1967), dont Mohamed Ben Jennet qui avait écopé de 20 ans de travaux forcés. Le deuxième, en Septembre 1968 et Février 1969, qui a vu la condamnation d’une centaine de militants à de lourdes peines allant jusqu’à 16 ans et 6 mois de prison pour « Atteinte à la Sureté de l’Etat » et « Constitution d’une Association Illicite ».
Plusieurs militants historiques de la gauche Tunisienne ont apporté leurs témoignages1 sur les tortures subies au sein des locaux du ministère de l’Intérieur et du bagne de Borj Erroumi, pointant du doigt l’ex-Secrétaire d’Etat à l’Intérieur.
Le trouble de Monsieur Caied Essebsi face aux vielles affaires de torture est révélé par le timing2 douteux du décret-loi N° 2011-1063 adopté par son gouvernement en catimini, la veille des élections à l’Assemblée Nationale Constituante du 23 octobre 2011.
Plusieurs générations de militants de gauche ont payé au prix fort leur engagement : prison, clandestinité et l’exil. Ils se sont sacrifiés pour lutter contre l’autoritarisme et promouvoir la démocratie, certainement pas pour qu’à la fin ils se rallient sur les positions leur ancien bourreau.
Au-delà de la question de la fidélité aux principes fondateurs portés par cette gauche, on s’interroge sur son amnésie historique et sur ses liens contre-nature avec l’ennemi idéologique déclaré, le libéralisme sauvage. Le devenir de la gauche Tunisienne est certainement soumis à rude épreuve.
CORRECTION :
Le Front Populaire avait adhéré au “Front National du Salut” et non à “l’Union Pour la Tunisie”. L’UPT n’engageait, aux cotés de Nidaa Tounes, que Al Masar, le Parti Socialiste de Gauche et Al Jomhouri.
Notes
1. On peut citer ceux de Gilbert Naccache, Noureddine Ben Khedher et Ahmed Othmani.
2. Le 11 octobre 2011, l’avocat Béchir Chebbi dépose une plainte contre Béji Caïd Essebsi pour « Torture et Homicide Volontaire » au nom des victimes des évènements de Ouardanine (1 mort et plusieurs blessés en 1969) et Borj Errais (5 morts et plusieurs blessés en 1965) et de leurs ayant droits.
3. Ce texte promulgué par le président de la République par intérim Fouad Mebazzaa le 22 octobre 2011, prévoit désormais la prescription pour les crimes de torture en Tunisie au-delà de quinze ans.
Cher Mhamed Mestiri,
Tu m’as volé les mots de la bouche, il y a quelques jours j’étais arrivé à la même conclusion. Je n’ai pas juste pas trouver le temps d’organiser mes idées et de les écrire.
La gauche tunisienne ne souffre pas de syndrome de Stockholm mais elle est schizophrène. Pourquoi?
– Leur leader et porte drapeau HH, habite à El-Manar (un quartier de bourges), roule en voiture de luxe et envoie ces enfants étudier en France. Comment comprendre son solgan “le fils du peuple”? Je ne le vois nulle pas. Il est à l’extreme de ce qui est Olivier Besancenot du NPA français!!!!
– Un groupe de professeurs universitaires, se prétendant syndicalistes, sont devenus du jour au lendemain des néoRCDistes (nida-istes). L’un d’entre a déclaré que BCE va “déchirer” (lire ça en Tunisien) les islamistes. L’autre est devenu aussi du néoRCD dans l’espoir de bénéficier d’une rallonge d’activité vue qu’il a atteint 60 ans (maitre assistant contrairement aux maitres de conférences et aux professeurs qui restent jusqu’a 65 ans) et veut rester et il doit partir à la retraite et il est veut rester à la faculté.
– Les millions de dinars (peut être que j’exagère) où est HH l’a trouvé pour sa compagne. La gauche est pauvre et a peu d’adhérents? Le plateau spécial comme BCE sur Nessma laisse penser qu’il a joué pour diviser la gauche et siphonner des voix à Marzouki et les autres candidats de gauche. Ca a fait bluff!!!
– S’allier aux libéraux et ultra-libéraux et nous casser la tête avec des slogans bidons “9offet il zaouali”, “waled echa3eb”, etc. alors qu’on voient qu’ils courent derrière l’argent et le pouvoir quelconqu’en soit le cout ou les moyens…
– Il n’est pas le seul, il y a aussi l’ancien doyen de la faculté de droit.
Tout ça me laisser diagnostiquer au moins trois personnalités en un:
– personnalité 1: paraitre gentil, cultivé, militant
– personnalité 2: arriviste, manipulateur, machiavélique
– personnalité 3: une haine viscérale des islamistes voire même de l’Islam ayant peur de déclarer leurs opinions savant qu’ils seront rejeté par toute la société…
@Haroon, tout à fait d’accord avec l’article et votre analyse. J’aimerai juste mettre l’accent sur la personnalité 3 qui me semble symptomatique de toute cette gauche tunisienne. Dans le monde entier “gauche” rime avec socialisme. En Tunisie “gauche” rime avec anti-islam. Comprendra qui voudra.
Monsieur,
Ce que vous rapportez du passé lugubre du vieux chef du Nida est parfaitement juste ; et encore ce n’est qu’un résumé partiel : vous vous arrêtez en effet à 1969, mais depuis ? Quid des années 1970, notamment leur début ?
Cependant, pensez-vous que le Provisoire de Carthage est de gauche ou proche d’une certaine gauche, à tout le moins, aussi démocrate qu’il le prétend ?
En matière de retournement de veste, je crois que c’est un champion. Qu’a-t-il fait de ses camarades de la première et même de la seconde heure, si l’on ose l’expression ? N’a-t-il pas été un jouet consentant entre les mains de la Nahdha et des queues de la Nahdha, à l’intérieur, des Maîtres de la Nahdha, à l’extérieur ? Ne voyez-vous pas qu’il est toujours, plus que jamais, le doigt par lequel les Islamistes de tout poils tirent les marrons du feu ?
Vous parlez de la gauche qui se retourne contre son passé, ce qui n’est pas conjoncturellement contestable ; que dites-vous alors, d’un monsieur qui s’est vendu corps et âme à ceux qui étaient -qui ne l’a cru un temps?- ses adversaires, voire ses ennemis ?
On peut disserter longuement sur ce point, mais allons à l’essentiel : il n’y a guère que deux questions qui vaillent dans la vie d’un pays comme le nôtre, placé dans les conditions qui sont les siennes en ce moment : la sociale et l’économique.
Trouvez-vous une différence significative entre le libéralisme sans bornes de la Nahdha et celui, total -vous écrivez “sauvage”- prôné par le NIda ?
C’est là une convergence qu’aucun analyste, ou simple observateur, sérieux ne conteste. Il suffit de jeter un œil sur le bilan catastrophique de ces trois dernières années.
Vous savez, en tous cas, les liens de Islamistes au capitalisme international, et vous savez surtout ce que le FMI, la Banque Mondiale et les autres organismes du même acabit imposent à notre pays et aux pays les moins développés, afin de les maintenir à jamais au service du capitalisme triomphant.
Reste la question sociale -sociétale serait d’ailleurs plus précis-, et là,
– qui peut nier que le libéralisme de la droite classique “laïque” (mot presque impropre dans contrées, pour les raisons que vous savez) s’accompagne, sauf en cas de dictature, d’un minimum de libéralisme social , structurellement s’entend ;
– alors qu’au libéralisme échevelé des Islamistes, s’adjoint d’une mainmise de fer sur les corps et les esprits : la mise sous tutelle des libertés individuelles.
Il suffit d’évoquer à cet égard le nombre de journalistes jetés en prison par les Frères de l’AKP -référence absolue des Islamistes tunisiens ! Et nul besoin de parler ici des sociétés heureuses propriétés d’Émirs, de Rois, de Roitelets, nos bailleurs de fond, Maîtres à penser de leurs petits frères de chez nous.
Une seule question : Combien de temps a-t-il fallu ? combien de luttes pour imposer le mot d’ “égalité” au lieu de celui de “complémentarité” cher à nos sourcilleux sheikhs ?
Voilà pourquoi je donne raison aux hommes et femmes de gauche, militants ou non, de se dresser fasse à M. Marzouki : derrière lui se dresse le spectre de la Nahdha, ses maitres, ses queues et ses ramifications, surtout son long cortège de désastres vécus et à venir.
Le choix de l’autre répond, hélas ! tout à la fois, au défaut de choisir et la vieille sagesse/résignation de nos millénaires de dictature.
P.S.
La photo d’illustration est, si je ne m’abuse, bien postérieure aux années soixante.
A ‘époque, ceux-là étaient, me semble-t-il, encore au lycée…
Du point de vue de la doctrine, il n’ya pas de différence en matière de politique économique entre les choix des deux prétendants à la magistrature suprème. Toutefois, tout les oppose dans leurs conceptions sociétales avec ce qui en découle concernant les concepts de libertés et le vivre ensemble dans un pays aux traditions apaisées, davantage réputé pour le maniement du verbe que le recours aux armes létales. Mème si les mots peuvenet tuer…
Si les partis de gauche, attachés à la justice sociale et économique, peuvent laisser penser à un quelconque reniement en ralliant BCE et son camp, les possibles qu’offre la situation présente ne laissent guère d’alternative. Le positionnement ne peut s’exercer qu’au sein de ces possibles.
Reste l’option de la neutralité, sorte de non-choix, dans un contexte de radicalisation qui peut donner l’avantage aux pires ennemis de cette gauche dont l’anticommunisme forme le corps de leur doctrine.
Dès lors, il parait plus pertinent de se prononcer en faveur du moins pire. Agir en primitif et penser en stratège, cette sentence de René Char pourrait incarner l’axiome du moment.
Car, ne pas choisir, c’est encore choisir.
Schizophrenie est un mot mal utilise dans, on peut sentir a travers vos propos un symptôme très distingue de cette maladie dont vous faites reference: le paranoia. Douter d’un mouvement de pensée qui a une tradition de lutte contre l’injustice sociale etc.. démontre votre haine viscérale comme vous le décrivez, pour la gauche. Faut il être pauvre et nécessitant pour pouvoir défendre des principes pareils? Dee années de torture, de clandestinité et de prison ne sont pas assez pour démontrer qu’on est en fait fidèles a ces beaux principes de justice sociale, defense des libertés etc… Finalement être croyant ou pas n’est l’affaire de personne, être musulmans ou autre ne garanti rien en matière de comportement ou d’attitude, la religion dans ce cas est instrumentalisee parfaitement a la façon machiavélique, l’histoire nous a appris qu’il y’a tellement de personnes non religieuses qui ont servi l’humanité d’une façon aussi noble rarement atteinte par vos similaires.
Cher Haroon,
Cet article avait pour principal objectif de montrer aux militants de gauche et d’extreme-gauche que le Front Pupolaire commence à s’eloigner de ses principes fondateurs.
Il ne faut pas faire l’amalgame entre les militants du front et certains de leurs leaders, les prises de positions ne sont pas necessairement les memes.
Analyse superficielle, qui s’est focalisé sur le passéde Beji Caid Essebssi et sur des éléléments psychologique. Il est certain que la ligne politique du POCT devenu Ejjabha Echaabia, à viré à droite pour s’adapter et survivre. Mais ce n’est pas volontaire. c’est sous l’effet des transformations socialeset des conflits idéologiques,d’abord au niveau de notre société, comme la constitution d’une classe moyenne importante, ensuite au niveau de la régiondu Moyen Orient comme le declin du nationalisme arabe, et enfin au niveau internationnalcomme la chute du communisme.La gauche Tunisienne est devenue opportuniste et pragmatique, et croit jouer un rôle important en optant pour la social démocratie. Adieu donc la lutte de classe et la révolution economique;politique et sociale. Le pire est que les choix pour la gauche est limité. Les grandsleaders comme Abdennasser,Bourguiba, Saddam Hassine n’ont pas laissés d’héritiers.
متى كانت الجبهة الشعبية تنتمي إلى اليسار حتى تحبّر مقالا كاملا للتساؤل عما أصبحت عليه هذه الأيام؟ “يساريي” ما قبل الجبهة كانوا “قوادين” (بالمعنى العامي للكلمة) عند فرنسا (وأقصد مثلا الحزب الشيوعي التونسي سابقا) ثم اشتغلوا خمّاسة عند بورقيبة وحوّلهم بن علي لمخبرين من الدرجة العاشرة. أما الآن فهاهم يشتغلون تيّاسة وقوادين (هذه المرة بالمعنى العربي الفصيح) عند الباجي قايد التجمّع. آنا يسار؟ آنا “يسار” وآنا “جبهة” أيها الأبله؟ وحديثنا قياس