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Nous l’avons appris cette semaine, la Tunisie présidera, à partir de janvier 2015, l’initiative 5+5 défense. Reprise en chœur par la presse écrite et audiovisuelle, cette coopération inédite entre les deux rives de la Méditerranée n’a, cependant, pas été expliquée à l’opinion publique.

I.- Le dialogue 5+5 : naissance et domaine de compétence

Plus connu sous le nom de « dialogue 5+5 », le forum pour le dialogue en Méditerranée occidentale est le plus ancien cadre de rencontre entre les pays de la rive nord et de la rive sud. Proposée, dès les années 80, par le président français François Mitterrand, l’idée n’a vu le jour qu’en 1990, à Rome. Elle regroupera 4 pays de la rive nord de la méditerranée, à savoir le Portugal, l’Espagne, la France et l’Italie ; ainsi que 5 pays de l’Union du Maghreb Arabe : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Ce n’est qu’en 1991, lors de la Conférence d’Alger, que Malte rejoint ce forum.

Cette initiative régionale envisage l’établissement d’un cadre favorable pour le dialogue et la coopération entre les pays membres sur des questions telles que la sécurité et la stabilité en Méditerranée, l’intégration économique et régionale ainsi que l’immigration. Elle se concrétise, également, sous forme d’assemblées parlementaires et de réunions sectorielles entre les différents représentants des États partenaires.

Si l’idée était intéressante, sa mise en œuvre sera plus laborieuse. De nombreuses tensions contribueront à son blocage, dont la deuxième guerre du Golfe, l’affaire Lockerbie et des dissensions au sein des deux camps, nord et sud, sur le leadership de cette initiative.

Le dialogue démarre avec la conférence de Lisbonne, en 2001, et se poursuit, en 2003, à Tunis, avec la réunion des chefs d’États et de gouvernements des 10 pays, en présence de Romano Prodi, président de la Commission Européenne de l’époque, ainsi que du représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune de l’Union Européenne, Javier Solana. Ce fut le point de départ de la politique européenne de voisinage et de son accélération, les années suivantes, menant à l’accord de partenariat privilégié entre la Tunisie et l’Union Européenne, signé en 2013.

Aujourd’hui, face à l’hétérogénéité des pays de la rive sud et le blocage du consensus au sein de l’Union Pour la Méditerranée, ce processus s’inscrit dans une approche intergouvernementale restreinte de l’Union Européenne, complémentaire des partenariats bilatéraux amorcés par la Politique Européenne de Voisinage. Basée sur des intérêts communs, cette « voie subrégionale » semble être une nécessité pour l’UE qui entend préserver ses intérêts dans un climat de confiance.

La vocation souple et non contraignante situe ce Dialogue dans un cadre de coopération, plus technique que politique. Ce qui lui a, sans doute, permis de traverser la salve de changements du printemps arabe, sans réelle contestation à son égard.

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Loin des tensions du Proche-Orient, ce forum entend être un laboratoire de l’UE au profit de l’Union Pour la Méditerranée, amenée à devenir ultérieurement un espace de coopération et de dialogue, bien plus large que l’initiative 5+5.

Cependant, ce qui fait sa force fait aussi sa faiblesse. En effet, en l’absence d’institutions clairement définies, et de modes de financement appropriés, il est difficile de concrétiser des projets communs, à travers des accords bilatéraux, bien moins profitables aux pays de la rive sud que cette initiative ne veut le laisser entendre.

Autre reproche à faire à cette initiative : le peu d’intérêt accordé à la société civile et aux acteurs locaux et régionaux sur des questions cruciales. Il est plus que nécessaire, aujourd’hui, que ces groupes de pression prennent part aux discussions informelles comme une force de proposition.

Le dialogue 5+5 n’est qu’une entrée en matière dans le vif du sujet.

II.- L’initiative 5+5 défense

La future présidence de la Tunisie de l’ « Initiative 5+5 défense » a été évoquée, cette semaine, par l’ensemble de la presse tunisienne et internationale. Mais que sait-on vraiment de l’initiative 5+5 défense ?

Créée en 1995, via le processus de Barcelone, l’Union Pour la Méditerranée, avait pour but d’« approfondir les relations entre l’Europe et les pays tiers méditerranéens dans le cadre d’un partenariat euro-méditerranéen, comprenant 35 pays des deux rives de la méditerranée ». Or, il apparaît très vite, dans le contexte de l’époque, que ce projet comporte de nombreuses carences. C’est alors qu’émerge, dans le cadre du dialogue 5+5, l’initiative d’un 5+5 défense, en décembre 2004, où les dix pays signent une déclaration d’intention à Paris. Cette déclaration prévoit :

– Une réunion des ministres de la Défense de chaque État, une fois par an, afin de discuter le bilan du plan, en cours d’exécution, et d’approuver le plan d’action de l’année suivante.

– Une réunion de deux responsables du ministère de la Défense de chaque pays, deux fois par an. Ce comité directeur est chargé de lancer et de suivre l’exécution de chaque action et de désigner des comités ad hoc d’experts. Lors de la réunion annuelle des ministres de la Défense, il devra présenter l’avancement des actions, mais aussi proposer les priorités pour l’année suivante.

– Des réunions de comités d’experts ad hoc afin de bien étudier les plans d’action.

Ainsi, cette structure légère de « l’initiative 5+5 défense » démontre, clairement, son caractère informel et l’absence de toute hiérarchisation, qui caractérise, habituellement, de tels projets.

III.- Quels sont les projets en cours ?

Les projets de « l’initiative 5+5 défense » sont axés autour de 3 thèmes majeurs : la surveillance maritime, la contribution des forces armées à la protection des civils et l’éducation ainsi que la recherche.

Dans le cadre de la surveillance maritime, plusieurs projets sont mis en œuvre par les pays membres :

– Le Centre Virtuel de Contrôle du Trafic Maritime (V-RMTC) : Suite à une proposition de l’Italie, ce centre a vu le jour en 2006. Discuté, dès 2002, lors du “4e symposium régional de la puissance de la mer pour les marines de la Méditerranée et les pays de la mer noire”, il ne deviendra effectif qu’en 2008. Le V-RMTC est un réseau virtuel qui connecte les centres opérationnels des marines participant à l’initiative. Sur ce réseau, circulent les informations relatives aux navires marchands dont le poids est supérieur à 300 tonnes. Indépendamment du fait qu’il soit un outil de surveillance efficace, ce centre contribue a instaurer une confiance entre les membres pour le partage de l’information.

– Le mécanisme de coordination navale : ce mécanisme permet d’harmoniser les intérêts nationaux des pays membres dans le domaine maritime, en rapprochant, au maximum les décisions politico-militaires. Ainsi, un Groupe de Travail Naval conseille le comité directeur sur les questions navales, après avoir échangé avec les marines de l’initiative. Le comité directeur prendra, lui, la décision sur l’opérabilité de telles actions.

– Recherche et Sauvetage : c’est un projet proposé par Malte afin de mettre en place des actions communes de sauvetage en méditerranée occidentale.

– Projet de Pollution Maritime Accidentelle (POLMAR) : ce projet présenté par le Maroc, en 2012, vise la mise en place d’un mécanisme d’assistance mutuelle et de coopération, dans le domaine de lutte contre la pollution maritime accidentelle.

Jusqu’à présent, la surveillance maritime n’a pas vraiment avancé. Certains projets contraignants ont été mis œuvre d’une façon bilatérale ; en l’occurrence l’immigration maritime, dont le protocole a été signé par la Tunisie et l’Italie.

Dans le cadre de la contribution des forces armées à la protection des civils, plusieurs projets sont, également, en cours. Mais force est de constater que ces initiatives sont dénuées d’efficacité:

– Le Centre de Coordination et de Planification 5+5 Défense : ce centre vise à optimiser l’emploi des moyens militaires mis à contribution par les membres, dans le cas d’une mission d’assistance, au profit d’un ou de plusieurs pays de l’Initiative.

– Le Réseau de Points de Contact engage la protection civile chargée de la gestion de crise en situation de catastrophe.

– Le Centre de Formation pour l’Elimination des Mines et des Débris de Guerre est un centre régional de formation dont la mission, comme son nom l’indique, est d’éliminer les mines et les débris de guerre.

Quant à l’éducation et à la recherche, deux projets sont en cours :

– Le collège de défense 5+5 : il s’agit d’une structure éducative pour le personnel civil et militaire des institutions de défense des pays de l’initiative. Concrètement, il s’agit de formations favorisant la réflexion collective et les échanges d’expérience et de savoir-faire.

– Le Centre Euro-Maghrébin de Recherche et d’Etudes Stratégiques est un projet proposé par la Tunisie, en 2009. Il propose de regrouper des chercheurs sur une problématique donnée. Les conclusions de ces recherches seront présentées aux ministres de la Défense de l’initiative pour discussion.

Ainsi, on constate que ces projets en cours sont loin d’être efficients et relèvent plutôt d’une coopération formelle.

IV.- La présidence tunisienne de l’initiative 5+5 défense

La Tunisie présidera, à partir de janvier prochain, pour une année, l’initiative 5+5 défense. Pour Ghazi Jeribi, ministre de la Défense :

« cette responsabilité permettra à la Tunisie de répondre, avec efficience, aux défis sécuritaires au Maghreb et de faire face aux menaces internes et externes qui pèsent sur la région. La Tunisie ne ménagera aucun effort pour soutenir l’action de l’ « Initiative 5+5 Défense », dans les domaines du contrôle maritime, de la sécurité aérienne et de la lutte contre les catastrophes et l’immigration clandestine….[la Tunisie] œuvrera en vue d’élargir les activités de l’Initiative pour englober la lutte contre le terrorisme et le crime organisé », affirme le ministre.

Une déclaration d’intention louable. Mais M. Jeribi semble oublier ou du moins ignorer la portée de cette initiative. En effet, comme nous l’évoquions plus haut, axée sur le volet académique, cette initiative n’est qu’un tremplin pour des accords bilatéraux à venir, plutôt que d’actions concrètes et globales dans un domaine précis. M. Jeribi aspire à élargir les activités de l’Initiative à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, soit ! Mais, concrètement, comment mettre en œuvre sur le terrain de telles ambitions ?

Si c’est à travers des échanges d’informations, cela existe déjà de façon bilatérale et d’une manière nettement plus efficace qu’au niveau régional, au vu des relations parfois tendues qu’entretiennent certains États entre eux.

Si c’est à travers des actions communes, nous imaginons mal des organisations internationales ou régionales plus organisées et mieux armées, être insensibles à de telles problématiques. Nous nous référons, bien évidemment, à l’Organisation des Nations Unies, à travers ses organes spécialisés, ou encore à l’Union Européenne . Plus encore, au niveau bilatéral, les Etats Unis d’Amérique seront plus à même de réagir, concrètement, à ces fléaux, que le dialogue de l’initiative 5+5.

Nous avons contacté un expert européen, membre du Comité politique et de Sécurité , auprès de l’Union Européenne qui a exprimé son point de vue sur la question:

Le dialogue 5+5 est un dialogue informel. Il s’agit d’un cadre où des déclarations d’intentions générales sont prises, orientant les gouvernants des pays membres dans leurs prises de décisions à venir, par rapport à des problématiques discutées, lors de ce dialogue. L’initiative 5+5 défense n’échappe pas à cette à règle. Si votre ministre de la défense dit que cette initiative va répondre aux problèmes sécuritaires internes et externes, c’est faux. Ce sont les discussions bilatérales qui découleront de cette initiative qui pourront apporter des réponses aux problèmes sécuritaires.

Globalement, le dialogue 5+5, quel que soit son domaine d’activité, n’existe que pour deux choses : d’abord permettre à des organisations régionales ou internationales d’avoir le cadre général d’une région déterminée, sur une problématique donnée, sans passer par un cadre formel ou individuel, ensuite, à un degré moindre, de favoriser le terrain à des discussions bilatérales sur ces mêmes problématiques.»

Puisque les échanges de ce club “5+5” semblent davantage relever des “discussions de Salon”, autant inviter les sociétés civiles des pays concernés à partager le thé et les gâteaux secs. Cela aurait, au moins, le mérite d’écouter également les préoccupations des premiers concernés. Faut-il souligner que le fondement premier de toutes ces rencontres, c’est de rendre la vie des riverains de la méditerranée plus supportable pour les uns et -surtout- moins insupportable pour beaucoup d’entre eux !