Forte de sa majorité au sein de l’ANC, Ennahdha a voté contre « l’exclusion », en pensant, sans doute, que les urnes s’en chargeraient.

Autre question qui a émaillé les débats, fallait-il tenir les législatives avant ou après la présidentielle ?

Finalement, ce sont les législatives qui se tiendront en premier, sur fond de controverse, avec la circulation incontrôlée de l’argent politique. Ainsi, la loi électorale a, semble-t-il, privilégié les grands partis au détriment des petits.

Cinq recours introduits par des députés au sujet de la loi électorale seront rejetés par l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois,ce qui n’empêchera pas l’ANC de l’adopter rapidement.

La bipolarisation Ennahdha/Nidaa Tounes fût, très tôt, enclenchée, annonçant, bien avant le scrutin, le « partage du pouvoir » à venir. Cela est d’autant plus remarquable que le choix de l’ANC a été de prévoir les législatives avant la présidentielle.

Ce face-à-face pré-électoral entre les deux grands partis de la scène politique, mettant en veilleuse nombre de partis moins imposants, annonçant, d’emblée, une forme de « démocratie atone », mais aux joutes verbales parfois violentes, qu’illustrera, fort hideusement, le scrutin d’octobre 2014.

La pléthore de listes candidates ne fut que l’arbre qui cache la forêt. Ce sont au total 1315 listes et 9449 candidats qui se sont jetés dans l’arène. Cette configuration contribuera à démobiliser les électeurs, obligeant l’ISIE à prolonger les délais d’inscription.

Outre le personnel politique rodé, un grand nombre d’hommes d’affaires, affiliés à l’UTICA, a décidé d’investir l’arène politique.

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Ensuite, ce fut le tour de la présidentielle. Les 27 candidatures officielles ont été déposées sur fond de controverse, avec des listes de parrainage truquées qui ont, du reste, donné lieu à de nombreux dépôts de plainte devant la justice pénale de la part de l’ISIE.

Au même moment, les législatives étaient loin d’avoir atteint leur rythme de croisière. Malgré quelques infractions à la loi électorale, c’est une campagne timide qui s’annonçait.

C’est surtout la rhétorique du vote utile qui a battu son plein, en dépit d’un appel au boycott, de la part des déçus de la transition démocratique,ayant manifesté, à la veille du scrutin, sur l’avenue Habib Bourguiba.

Le jour du scrutin, les Tunisiens se ruent vers les bureaux de vote, aux aurores, dans une ambiance festive, malgré quelques couacs dans l’organisation. Des irrégularités ont surtout été enregistrées à l’étranger, où une majorité de citoyens n’ont pas pu voter « faute de traces de leurs inscriptions dans la plateforme informatique des élections ».

Avec un taux de participation de 60%, ces premières législatives ont livré un verdict attendu : une bipolarisation Nidaa Tounes/ Ennahdha avec une déconfiture totale des partis ayant obtenu la confiance des Tunisiens, en 2011. Si le vote utile a propulsé Nidaa Tounes, le vote sanction a fait dégringoler Ennahdha et ses alliés (CPR et Etakattol) propulsant le Front Populaire au-devant de la scène.

Au vu des résultats des législatives, la présidentielle devenait un enjeu pour la « pérennité de la révolution», plus encore en l’absence d’un candidat déclaré d’Ennahdha, laissant à Nidaa Tounes et son candidat Beji Caid Essebsi la porte ouverte pour remporter la mise.

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Si la campagne présidentielle du premier tour a été marquée par des oppositions de styles entre un Béji Caid Essebsi à l’allure bourguibiste et un Marzouki révolutionnaire, certains candidats se sont fait remarqués par leur imposture et leur populisme. Cette campagne fut, ainsi, l’occasion de découvrir les effets pervers du marketing politique.

Pour les instituts de sondages, les résultats semblaient connus d’avance. Pourtant, personne n’avait prévu la montée en puissance de Hamma Hammami, classé troisième au premier tour. Ce qui le prédisposera à être l’arbitre entre Beji Caid Essebsi et Moncef Marzouki, au second tour.

Si le leader de Nidaa Tounes a pu compter sur la continuité du vote utile et de l’impopularité de son adversaire, le président sortant a raflé, lui, les voix des électeurs d’Ennahdha. Ces deux arguments de campagne seront amplifiés, lors de la campagne du second tour. Dans une escalade de violence verbale sans précédent, l’un et l’autre exacerbent leurs appels à la mobilisation basés sur la peur et la haine de l’autre. Pour Marzouki, Caid Essebsi est un sbire de l’ancien régime et pour Caid Essebsi, Marzouki est le protecteur des salafistes djihadistes.

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Les propos de Caid Essebsi ont écorchés les sudistes qui ont réagi en manifestant contre ce raccourci facile, à quelques jours d’un scrutin tendu.

Face à ces discours diviseurs, le scrutin du second tour a été marqué par un faible taux de participation et une absence massive des jeunes . Si tout s’est joué dans un mouchoir de poche, c’est surtout l’annonce des pronostics par Beji Caid Essebsi, bien avant la proclamation officielle des résultats par l’ISIE, qui a contribué à mettre le feu aux poudres. Des échauffourées auront lieu à El Hamma et au Kram, révélant l’étendue de la fracture exacerbée par les deux candidats. Et c’est finalement la reconnaissance tardive des résultats des élections par Moncef Marzouki qui y mettra un terme.

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Ces premières élections législatives et présidentielles libres marquent la fin d’une difficile transition démocratique.

Marquant un renouvellement de la classe politique, ces élections ne sont pas une fin en soi. Le nouveau président de la République, le futur gouvernement et l’Assemblée des Représentants du Peuple auront la lourde tâche de mener le pays hors du marasme dans lequel il s’est installé ces trois dernières années. Si tel ne sera pas le cas, gare au retour de manivelle !