Par Mariem Ben Yahia,
Vendredi, 23 janvier 2015, j’ai répondu à l’appel de l’Association Tunisienne Contre le Racisme et les Discriminations “M’nemty HEDUCAP” et j’ai participé à la journée culturelle « Noirs à l’honneur » qui a eu lieu à la maison de la culture Ibn Rachik.
En prenant un taxi pour me déplacer à l’évènement, j’ai profité de l’occasion pour poser quelques questions au chauffeur qui se croyait tolérant et antiraciste. Il m’avait expliqué qu’il n’avait aucun problème de transporter des passagers noirs, que nous sommes tous frères et sœurs et il a condamné toutes formes de racisme.
Cependant, quand je lui ai demandé son avis concernant le mariage entre noir et blanc, il a changé de vision. « Je n’ai jamais pensé à me marier à une femme noire ou métisse. J’ai toujours voulu me marier à une tunisienne. Je suis un homme très patriote.» Choquée par sa réponse et son ignorance, je lui ai expliqué qu’être tunisien n’exige aucune couleur de peau particulière et que Amour n’a pas de race. Il m’écoutait attentivement et puis m’avait simplement répondu: « C’est vrai que ce n’est pas de leurs FAUTES s’ils sont nés noirs. Tu peux te contenter de les défendre. C’est bien. Mais n’épouse surtout pas l’un d’eux. D’accord ? Ça serait vraiment dommage.» Je n’ai pas eu le temps de lui répondre. On était déjà sur place.
J’étais impressionnée par le nombre de personnes qui ont répondu positivement à l’appel de M’nemty. Ils étaient de toutes les couleurs, des jeunes, des adultes, des femmes, des hommes, des artistes, des militants politiques, et des militants de la société civile.
Je me suis dit qu’ils sont forcément contre toutes formes de racisme sinon ils n’auraient pas participé à un tel évènement. J’étais contente. Après pas très longtemps et en écoutant ce qu’ils se disaient entre eux, j’ai malheureusement compris à quel point j’avais tort.
Les agressions verbales sont journalières et font partie du langage du Tunisien au quotidien, quant aux insultes, il faut le prouver et la police banalise les agressions physiques, à caractère raciste, qui ne font presque jamais l’objet d’un procès. Le silence des lois tunisiennes, la banalisation, la non-reconnaissance de l’existence de la discrimination font que le chemin de la lutte soit encore très long. Le mot clé étant le DENI, expliquait madame Saadia Mosbah, présidente de l’association M’nemty.
L’évènement était très riche contenant des interventions de plusieurs « anti racistes », des témoignages de quelques victimes, une vision psychologique de la distinction raciale en Tunisie, des tableaux artistiques, des danses, des talents cachés, de la comédie et beaucoup d’autres surprises.
Personnellement, j’étais particulièrement sensible à la tension et la colère qui régnaient la salle. Oui. Colère et tension. Plusieurs se sentaient gênés, voire agressés, à cause de différentes interventions qui, soit culpabilisaient tous les blancs en les accusant d’être tous racistes vis-à-vis aux autres différents, soit refusaient de croire à l’existence de ces comportements racistes et accusaient les noirs d’inflammation. Rares sont ceux qui ont pu être objectifs tout en défendant les libertés et l’égalité entre tous les citoyens. De toute façon, presque tous les participants, quelque soit la couleur de leur peau, semblent être convaincus que le racisme est mal mais ils ne prêtent pas attention à ce que le racisme est.
Plusieurs se croyaient anti racistes parce qu’ils n’ont aucun sentiment de haine contre les noirs. Ils ont tort. La haine n’est qu’une seule manifestation du racisme, mais elle est loin d’être la seule. Du moment où nous parlons des « NOUS » et des « ILS », c’est que nous sommes déjà au cœur de la discrimination. Du moment où on juge les autres selon leurs couleurs de peau et non pas sur ce qu’ils sont réellement, c’est du racisme. Du moment où on met tous les autres différents dans un même lot et qu’on oublie que chacun est particulier et est unique, c’est du racisme. Le quotidien des noirs tunisiens n’est pas le même que celui des blancs, encore faut-il le vivre pour le savoir. De plus, même ceux qui s’approchent des noirs sont aussi victimes de plusieurs agressions verbales,expliquait Mlle Mariem Ben Yahia, militante de la société civile.
J’ai pris la parole deux fois. La première consistait à affirmer l’existence du racisme en Tunisie et à condamner toutes formes de distinction, entre hommes et femmes, noirs et blancs, entre les différentes classes sociales et zones géographiques, entre les différentes religions, etc. J’ai aussi raconté quelques expériences que j’avais vécues et qui mettent en lumière justement les pensées racistes qui sont encore enracinées chez les tunisiens même après l’abolition de l’esclavage et même après la révolution tunisienne.
Ma deuxième intervention était un appel à la nécessité de la solidarité et de la tolérance. J’ai décrit la tension que j’avais ressenti dans la salle, ce que je trouvais à la limite normal parce qu’en semant la haine et la colère on ne pourrait pas espérer récolter de l’amour et de la tolérance. Mais, j’ai expliqué que ceci aggravera encore la situation présente et ne nous aidera point à avancer pour créer une Tunisie unie pour tous les tunisiens quelques soient leurs différences. J’ai repris une citation de Fred Hampton disant qu’on n’arrivera jamais à éteindre le feu avec du feu. Mais c’est seulement grâce à l’eau qu’on y parvient. De même, il ne faut pas combattre le racisme avec du racisme. Seulement la solidarité entre les différents composants de la société tunisienne peut mettre fin à cette situation malsaine.
Les personnes présentes se sont mis d’accord sur l’initiative d’aller à Djerba en mars 2015 afin de protester contre un acte très raciste, à El Gosba – Sidi Makhlouf- Medenine, consistant à séparer les noirs et les blancs tunisiens en réservant un bus particulier pour les premiers et un autre pour les deuxièmes suite à la colère des habitants contre un mariage entre un homme noir et une femme blanche.
C’est vraiment honteux que certaines pratiques existent encore aujourd’hui. La vraie révolution en Tunisie aura peut-être lieu quand un neurone désespéré décidera de se suicider poussant les autres neurones à se mettre en question, à chercher la vérité et à repenser leurs manières de voir les choses. Le vrai esclavage est surement celui exercé par l’ignorance sur certains esprits.
Affaire à suivre…
illusion
What is illusion first?
réalité
Fredrik Barth, anthropologue norvégien, développe une réflexion originale autour de la notion de “frontières ethniques”. En somme, tout comme les individus ont besoin de se distinguer des autres, élément nécessaire et constituf du processus identitaire, les sociétés ne peuvent se constituer comme telles et exister dans leur singularité subjective, que selon une telle dynamique.
Je ne voudrais pas laisser croire que le vers est dans le fruit, et que le racisme serait comme une composante “naturelle” des cultures humaines. On pourrait, cependant, soutenir qu’il suffit d’entendre dans sa pleine extension ce besoin de distinctiion, de différenciation, pour aboutir par nécessité de radicalisation lors des situations paroxistiques à des comportements racialistes, sinon racistes auxquels on trouverait des justifications puisées dans l’actualité du monde.
Mais, on peut soutenir que le racisme ne nait pas seulement de ce terreau anthropologique. Etablir des “frontières” pour se démarquer et exister dans son identité territoriale, psychologique, culturelle, nationale, a servi pour traverser des frontières matérielles, celles-là, et autoriser la soumission de l’Autre, son avilissement, qui ont pu tendre jusqu’à lui dénier son humanité.
Donc, des racismes divers. Dont le racialisme -plutot que racisme- qui sévit en Tunisie à l’égard des citoyens à la couleur de peau plus foncée, avec tous ses corollaires, n’est qu’une variante.
En revanche, les faits que vous évoquez à juste titre sont abominables. Rien ne justifie les propos ignominieux ou les euphémismes stgimatisants si répandus dans l’ordinaire du discours quotidien.
Outre le travail éducatif que cela commande, il y faudrait des lois. Des lois claires et appliquées prohibant ces avanies.
Je ne pense pas que la théorie des “frontières ethniques” peut expliquer le déferlement spectaculaire de haine et stupidité chez beaucoup de tunisiens à l’encontre des gens de couleur. D’abord, parce que la Tunisie fait partie géographiquement et historiquement du continent noir et puis une bonne partie de la population locale est soit de couleur soit métisse. Mais savez-vous qu’il y a en Tunisie (au moins depuis 2007) dans certaines régions dans le sud, des bus pour les “blancs” (dit a7rar) et des bus pour les gens de couleur (dit wosfen et appelés mêmes 3abid dans certaines localités)? Oui, oui, en 2015, notre bel état démocratique blabla qui est supposé être gouverné par la constitution de la révolution machin permet sur son territoire la ségregation pure et simple dans les moyens du transport!
Il y a un aurte fait aussi hallucinant: la majorité des tunisiens dénoncent le racisme de certains occidentaux mais font tout ce qui est possible et imaginable pour immigrer chez eux (mariages blancs, falsification de papiers, immigration clandestine, etc).
Selon moi, la question de racisme en Tunisie est complètement différente de celle en Europe par exemple. Si l’européen moyen est raciste parce qu’il y a de quoi penser “être supérieur” par rapport aux arabes et aux africains sur le plan civilisationnel par exemple, le tunisien n’a aucune mérite par rapport aux autres africains dont la majorité sont des pays plus démocratiques et mieux développés que notre pays (ou du moins ont fait des pas significatifs sur cette voie). Je pense que cet esprit raciste, étroitement lié au régionalisme et au clanisme fort présents en Tunisie, dénotent une caractéristique quasi-unique des arabes, à savoir le sentiment tribal (7imya 9abaliya). Et cela prouve encore une fois, que ce peuple qui se croit moderne, progressiste et civilisé n’a pas encore franchi le pas des sociétés primitives. Cela explique aussi de façon plus générale les raisons de la dictature, les massacres et l’absence de la culture démocratique qui sévissent chez nous, les arabes.
@Tounsi (l’original):
Je trouve intéressant que vous parliez “des tunisiens [qui] dénoncent le racisme de certains occidentaux mais font tout ce qui est possible et imaginable pour immigrer chez eux” .
En fait rien d’étonnant. Frazier, un sociologue noir Américain explique comment un groupe discriminé auront tendance à accepter cet état de fait, donc accepter d’être traité comme des être inférieurs et se sentir eux-même supérieur à un troisième groupe. Donc une hierarchie se crée. En ce qui nous concerne, beaucoup de tunisiens acceptent cette hierarchie, acceptent d’être inférieurs aux occidentaux et se croient supérieurs aux populations sub-sahariennes.
Vous tenez des propos partiels et partiaux, presque pour vous convaincre de tenir le vrai dans le débat. Convoquer Frazier ou d’autres pour vilipender des gens qui émigrent afin de se soustraire à la misère et en tire argument pour souligner un paradoxe apparent.
Que les minoritaires, assignés au statut d’inférieurs par les majoritaires dominants, cela est une vérité historique. On peut la soutenir en référence à toutes sortes de travaux ethnologiques.
En revanche, tenir le point de vue qui consisterait à en inférer que tous les minoritaires intégreraient leur “infériorisation” est aller vite en besogne. Pire encore, de soutenir une tendance “naturelle” chez les hommes à la hiérachisation ( “…accepter d’ètre traités comme des étres inférieurs et se sentir eux-mèmes supérieurs à un troisième groupe”.).
C’est une adhésion (involontaire?) aux théories racistes.
C’est aussi l’absentement des problématiques socio-économiques et de la question de la division du travail à l’échelle mondiale qui sont les causalités fondamentales pour expliquer les migrations.
Bref, les explications de type psychologique et individualisantes échouent à rendre compte des faits. Elles trompent en renvoyant au seul individu l’étiologie des motivations et la responsabilité du sort qui lui est fait dans son milieu d’origine tout comme celui qu’il est contraint de subir en émigrant. Abdelmalek Sayad a longuement expliqué que pour comprendre l’immigration il convient de convoquer les motifs de l’émigration.
@Volvert:
Je ne parle pas des émigrés en particulier mais des peuples dominés en général. Et pour vous donner raison, quand je pense à notre chère “bourgeoisie” tunisoise, effectivement, il n’est pas besoin d’émigrer ni d’être dans le besoin pour accepter cette hiérarchie raciste. Pour revenir à Frazier, il s’était justement intéressé à la bourgeoisie noire du temps de la ségrégation aux USA et à la façon dont elle se sentait supérieur au noirs socialement en dessous tout en acceptant un statut d’être infériorisée par la majorité blanche.
@Ilyes: Cette théorie d’hiérarchisation me semble intéressante. En fait, elle peut être complétée par deux autres théories: la première, établie par Ibn Khaldoun il y a plusieurs siècles déjà, explique comment un peuple faible tend à imiter son colonisateur considéré plus fort. À cet égard, il suffit de contempler le comportement du tunisien moyen pour se rendre compte combien il fait d’efforts pour imiter les occidentaux de façon générale et les français en particulier dans leur mode de vie, langue, culture, etc. Je ne vise pas les aspects pervers découlant de la globalisation des pratiques de la société de consommation. Mais, je fais surtout allusion à des comportements tels que l’usage excessif de langue française dans les médias (télés et radios) et le choix systématique des produits étrangers au détriment de ceux locaux. Ces exemples parmi d’autres, démontrent le désir parfois effréné de s’identifier à la personnalité du “plus fort”. Aussi, je rappelle par exemple les rituels d’une majorité de tunisiens pendant la fête de Noel et du Saint Sylvestre, identiques à ceux des occidentaux. Et inutile de rappeler le déferlement des commentaires injurieux et moqueurs envers le Tartazouki en 2011 lorsqu’il a souligné dans son discours à l’occasion du jour de l’année que cette fête n’est pas une fête arabo-musulmane! Ce comportement conscient qui ne se limite pas uniquement à imiter le “plus fort” mais va jusqu’à défendre cette imitation a été décrit par la deuxième théorie, celle de Malek Ibn Nabi, qui parle de “la prédisposition des peuples faibles à la colonisation”. Par conséquent, l’individu semble par ses comportements non pas seulement accepter cet état d’infériorité par rapport au “plus fort” mais aussi défendre cette position, apparemment confortable. Et c’est probablement la raison pour laquelle beaucoup de tunisiens refuse le changement.
Ceci dit, je continue à insister sur le fait que le racisme qui se manifeste occasionnellement chez le tunisien lambda envers les personnes de couleur découle du même mécanisme qui régit les phénomènes du régionalisme et du clanisme, soit le tribalisme. Ce constat peut être choquant mais en regardant de plus près, on se rend compte que ces trois maux (racisme, régionalisme, clanisme) constituent pour la majorité des tunisiens une sorte de “bouclier de défense”! Si la vague d’agressions envers les gens de couleur a eu lieu après un match de football, faut-il rappeler par exemple l’homme d’affaire qui a mobilisé toute une région uniquement pour obliger l’état à lui accorder des autorisations qu’il ne mérite pas et permettre à sa compagnie de gratter illégalement des parts de marché à la compagnie nationale? De même, faut-il rappeler les mécanismes de fonctionnement de la lutte syndicale et surtout des groupes d’intérêts en Tunisie (d’ailleurs, la dernière mascarade électorale donne un aperçu assez concluant sur comment les clans se manifestent et luttent pour préserver leurs intérêts)? Ce qui est intéressant dans les trois cas de figure, c’est que les trois phénomènes se déclenchent en suivant le même schéma classique qu’on trouve chez les tribus des sociétés primitives où le groupe se mobilise instinctivement pour défendre ses intérêts et ses idéaux. Pour ceux qui continuent à se la jouer grands penseurs de cette ère encore ancienne, nier l’existence du tribalisme en Tunisie et dans les sociétés arabes prouve une méconnaissance totale de la nature de ces sociétés. Rien que pour la Tunisie, faut-il rappeler le mois de mars 2011 où deux 3rouch (tribus), dans une région du centre ouest, se sont confrontés pendant deux semaines entières aux armes blanches et à la chevrotine. Le conflit a fait 18 morts et des dizaines de commerces et de maisons ont été saccagés et brûlés. On raconte même qu’un groupe de personnes a attaqué et tué un père et son fils de l’autre tribu. Puis, ils les ont décapité et joué au football avec leurs têtes. Vous êtes choqués? Je n’invente rien! revisitez la presse de l’époque pour savoir combien notre peuple est civilisé et développé.
C’est un débat qui est sans doute intéressant, et qui mérite d’ètre conduit de façon probe et authentique.
Soient les évènements ayant opposé deux groupes, tribus, clans (comment définir, et sur quels éléments d’enquète asseoir l’attribution du nom?), comment les lire?
On pourrait les inscrire dans le contexte des évènements nationaux, les regarder comme un moment propice pour règler des conflits interindividuels alors que l’Etat est affaibli, etc.
Que les protagonistes aient convoqué le soutien de leur “groupe d’appartenance”, cela ne ferait pas de leur conflit, une action de dynamique tribale. C’est le truisme de certaions sociologues ou ethnologues urbains, en mal de notion pour dire ce qu’ils croient voir ou observer, et qui recourent à des notions ou concepts dsiponibles sur le marché du discours savant ou indigène. Cela parle au quidam, et sonne ronflant quand on définit des groupes de jeunes qui se confrontent, y compris avec des armes, se présentant sous l’apparence de groupes soudés avec leur hiérarchie, et qu’on nomme tribus.
Maintenant, les minoritaires qui adoptent les us et les manières des dominants, jusqu’à les imiter, me semble classique. Ce serait mème, à en croire certains, une loi anthropologique. Les minoritaires s’adaptent, et c’est le prix le moins élevé pour poursuivre dans leur ètre, ou bien “dispraissent”. Ce qu’on peut entendre comme devenir le mème ou mourir, par ethnocide ou autre.
Dès lors, les tunisiens étant des humains parmi les humains, etc…
Enfin, l’usage de la langue française ou le recours à une terminologie plus apte à rendre compte de ce qu’on souhaite exprimer ne devrait pas choquer à un double titre. La Tunisie est francophone, elle se définit comme telle, et bien des générations dans ce pays furent et sont formés dans cette langue. La langue arabe , bien que capable d’exprimer toutes sortes de nuances par la richesse du vocabulaire, de sa rhétorique, achoppe à dire le réel contemporain dans bien des domaines. Nous sommes bilingues.
Je soutiens que le conservatisme dans quoi se sont lovées les sociétés dont cet idiome est le vecteur a emporté dans son mouvement cette belle langue. Désormais en réquisit de se moderniser, c’est à dire de se mettre à jour.
Les langues vivent et meurent, tout comme les civilisations. Souvent par suffisance, parfois par manque de capacité à vivre avec son temps ou par refus de se regarder en face.
Dès lors, il n’ y a pas, à mes yeux, de quoi tenir sur soi ou ses compatriotes des discours définitifs ou avilissants. Plutot, par le dialogue et le respect du point de vue de l’autre (toujours accessible à l’écoute) que le pays et ses citoyens peuvenet mieux vivre ensemble et construire un monde commun, au sens de monde partagé.
Et, ce pays ne manque pas d’atouts, ni d’intelligences pour écrire son moment historique. Je suis optimiste, parce que cette “vertu” a le mérite d’ouvrir des perspectives et autorise à penser.
Dans le “pays des singes”, il peut advenir qu’ils fùssent “savants” (Humour!).
Il est bien établi qu’un primate cherche systématiquement le fruit le plus bas (the low-hanging fruit) parfois par intérêt mais souvent par paresse. Il se trouve qu’une stratégie qui consiste à esquiver le sujet principal et se focaliser sur la discussion de quelques exemples donnés à titre indicatif pour appuyer la thèse proposée est identique à celle d’un primate dans sa quête de la nourriture. En effet, elle dénote encore une fois cette paresse intellectuelle commune aux habitants du “pays des singes” et caractéristique d’une majorité vivant sur “les réflexions à emporter”. Et bien que ce n’est pas le sujet, je ne manque pas de préciser au lecteur que j’ai évoqué la question de langue dans le contexte identitaire et non pas culturel.
En fait, un peuple qui inscrit dans sa “constitution” l’appartenance à la sphère arabo-musulmane en tant qu’identité et l’arabe comme langue officielle ne peut avoir recours à une sorte de langue hybride “le franco-arabe” qu’il utilise quotidiennement pour communiquer. Il est indéniable que dans un contexte purement professionnel, on peut faire recours à une langue donnée pour communiquer avec les autres (commerce, tourisme, transport aérien, etc.). Mais quand le tunisien lambda use d’une langue étrangère et voit dans son usage une sorte d’appartenance à une prétendue “classe supérieure” et une “sphère particulière qui s’identifie dans la culture et le mode de vie” d’une autre société (en l’occurrence franco-occidentale), ce n’est plus de l’usage professionnel d’une langue vivante. De même, quand l’usage de cette même langue devient un outil de frime et d’affirmation d’un “certain” statut ou modèle social, ce n’est plus une marque d’ouverture de la personne ou de la société mais plus tôt une façon d’exprimer l’abandon conscient de son identité d’origine au profit d’une nouvelle qu’elle soit réelle ou imaginée.
Puis, si l’usage d’une langue vivante est aussi important pour notre économie et notre éducation, pourquoi les tunisiens s’entêtent à garder la langue française (parlée par 150 millions personnes dans le monde et présente sur le web à 3%) alors que l’Anglais (3 milliards, 66%) est la langue internationale de la diplomatie, commerce et science (ou encore le Chinois (1.5 milliards)) n’ont jamais trouvé leur place dans notre société (y compris dans le système éducatif et l’entreprise)? Pourquoi les grandes écoles et universités françaises ont commencé depuis plusieurs années à s’ouvrir de plus en plus sur ces deux langues (Anglais et Chinois) alors que notre pseudo-élite et notre populace continuent à voir dans la langue française une marque de “bourgeoisie” et de “modernisme” à ne pas délaisser? Si c’est vraiment le cas, Pourquoi ne pas déclarer donc la langue française une langue officielle à l’instar de certains pays africains et en finir avec cette ambivalence (on se dit arabe mais on parle franco-arabe!) caractéristique d’un peuple qui semble douter (ou avoir peut être honte?) de son identité originelle?
Mais, un “singe” qui se croit “savant” peut m’opposer le fameux argument du “multiculturalisme”. Je réponds par deux choses:
1- D’abord, le multiculturalisme suppose une certaine équivalence et complémentarité entre les cultures. Cette notion est rejetée dans la plus part des pays occidentaux (et surtout dans l’Europe de l’ouest) parce qu’on considère systématiquement la culture (judéo-chrétienne) occidentale “supérieure” à toutes les autres. En France, on va même plus loin quand il s’agisse de traiter les problèmes de l’immigration. On parle de “l’assimilation” tout court au lieu de “l’intégration” (rhétorique plus tôt anglo-saxonne) des nouveaux arrivants. En revanche, la culture arabo-musulmane n’est pas seulement considérée dans l’occident comme “inférieure” mais pire, l’origine systématique de plusieurs méfaits (violence, fanatisme, haine, sous-développement, corruption, dictature, etc.).
2- Il est le droit de chacun de construire son identité qui par essence, n’est pas figée dans le temps ou l’espace. Certes, une identité n’est pas seulement un univers de valeurs, d’idéaux, de références et de coutumes mais aussi l’expression pure et simple d’une personnalité. Si aujourd’hui, on retrouve une majorité de tunisiens qui s’efforce à mettre en avant ce qu’on a adopté de la culture occidentale (judéo-chrétienne) au détriment de son appartenance locale (arabo-musulmane), la question qui se pose: c’est quoi donc notre contribution culturelle qui émane de notre identité d’origine? Cette question à elle seule fait une distinction douloureuse entre ce que nous sommes et ce que nous croyons être (le réel vs. l’imaginé). Il se trouve par contre que la réponse à cette même question pour un occidental n’est pas aussi problématique vu qu’il ne souffre pas d’une dualité identitaire comme ces habitants de cette grande “Bougnoulie”, encore en mal de savoir s’ils sont eux-même, êtres bien distincts, ou seulement l’ombre de ce même occidental, ancien/néo-colon, encore maître de leur devenir au point de se greffer à leur image!
@Tounsi et Volvert:
Peut-être aussi peut-on aussi citer Frantz Fanon et son classique Peau noir, masque blanc pour aller dans le sens de tout ce que nous discutons.
@Tounsi (l’original):
D’où est tirée la citation(?) “la prédisposition des peuples faibles à la colonisation”? Merci
إلياس: نظرية “قابلية الشعوب للإستعمار” تناولها مالك ابن نبي في كتاب “شروط النهضة”. وهذا مقال حول الموضوع
Je pense que c’est aussi le besoin d’appartenir à un groupe et de tout faire pour rendre ce groupe le meilleur.. le devin.. le tout puissant.. Les ignorants se contentent du racisme, de la discrimination sous toutes ses formes.. Les plus éduqués recourent aux sciences, philosophie, droit d’hommes.. Ce qui regroupe les premiers c’est une simple couleur de peau par exemple.. Ce qui regroupe les derniers c’est une cause noble.. ou pas.. En tous cas,du moment où on agresse l’autre différent ce n’est plus une liberté.. les lois doivent être strictes… Les punitions doivent être claires.. Et puis, pour qui on se prend pour se croire supérieur? Ridicule et malheureux..
@Tounsi(l’original): Le clanisme et le tribalisme sont, sans doute, une des composantes du differentialisme ou le racialisme auxquels vous faites allusion…Le racisme en Europe se fonde sur des théories élaborées et se prétend rationnel, ce qui explique à la fois ses succès et son terreau bien implanté depuis des siècles dans ces contrées avec les ravages qu’on peut lui imputer, génocides et colonialismes dont les relents sont bien présents dans le discours et les comportements communs, de nos jours, faisant le lit des factions et partis xénophobes. Si dans les pays arabes existent des penchants et des comportements assimilables, vous peineriez à les adosser à une théorisation aussi sûre d’elle et une conscience affirmée de sa légitimité en la matière. C’est pourquoi, je propose de nommer racialisme ce qui est observable sous nos cieux,sans en banaliser la gravité et en le déclarant condamble et justiciable de lois pénales.
Vous devriez vous garder de nous distribuer les qualificatifs infamants, et tenter de lire le phénomène de l’immigration dans sa complexité. Surtout ne pas affirmer comme un “paradoxe” la présence de tunisiens dans le pays des racistes.
C’est autrement plus complexe que cela. Et n’est pas réductible au manichéisme dont vous vous faites le chantre. Bref, nul homme n’accepte avec bonheur de s’exiler encourant le rejet au quotidien…se coupant de sa culture et de ses attaches, pour se confronter au défi de l’isolement et de la défiance, quand cela n’est pas la haine…
Vos avez parlé de tribalisme de dualité identitaire et de plusieurs autres explications de l’existence des comportements racistes. Maintenant comment on peut lutter contre ces attitudes ? C’est ce qui compte au final non ?
@Mariem:
À mon humble avis, une solution assez complète requiert une réflexion large à laquelle participe des spécialistes d’horizons différents (commençant par les sociologues jusqu’au juristes). Selon mon opinion personnelle, parmi les éléments de cette solution, on peut compter:
1- À Court terme: Nous avons besoin de mettre en place une autorité de référence pour l’observation et la lutte contre tous les types de discrimination (genre, couleur, race, région, dialecte, langue, age, statut social, religion, etc.). Dans ce cadre, je propose de créer un Observatoire National de Lutte contre les Discriminations (ONLD). Un tel observatoire se chargera de la mission suivante:
– Observation et enquête: cet organisme rassemble, détient et analyse les données sur les discriminations déclarées. Il accompagne les institutions de l’état (administration, police, autorités judiciaires, autorité législative, etc.) dans les enquêtes qui se déclenchent dans des cas avérés de discrimination.
– Encadrement: il encadre et veille à la réinsertion sociale et professionnelle adéquate des victimes de discrimination.
– Sensibilisation: il conçoit et mène des compagnes de sensibilisation contre la discrimination tous azimuts.
– Conseil et Études: il publie régulièrement des rapports de situation, décortique le climat social et professionnel dans le pays et produit des recommandations à l’intention de toutes institutions de l’état afin de prévenir les cas de discrimination et améliorer la réponse de ces institutions à tous les cas avérés. Il produit régulièrement des propositions d’ordre législatif à l’intention des autorités législatives et procédural à l’intention des autres institutions qui visent à améliorer et mieux adapter l’arsenal juridique et réglementaire national anti-discrimination.
En plus de cet observatoire, il faut opérer une révision en profondeur de la législation en vigueur pour la lutte contre la discrimination et proposer de nouveaux outils légaux pour combler ses trous. Il faut aussi mettre en place des procédures claires et simplifiées pour la prévention, la déclaration et la gestion des cas de discrimination dans l’administration publique, les entreprises étatiques, le milieu du travail et au sein de la société tunisienne.
2- À moyen terme: il faut intégrer à toute réforme future du système éducatif des outils pédagogiques destinés à promouvoir la diversité, les valeurs de l’égalité, la solidarité, la citoyenneté, l’appartenance et la loyauté envers une seule nation.
Il faut aussi mettre en place des outils législatifs destinés au secteur privé pour la promotion de la diversité, la protection des minorités et surtout l’assurance d’une égalité des chances dans l’accès à l’emploi. À cet égard, je cite la fameuse loi française qui oblige tous les employeurs privés comme publiques, à intégrer au moins 4% de personnes handicapées dans leurs personnels. Je site aussi la loi américaine qui donne l’avantage d’accès aux appels d’offre publics aux entreprises qui présentent le plus de diversité (ethnique, raciale, linguistique, religieuse, etc.) parmi leurs employers et qui met en place des procédures strictes pour assurer l’égalité des chances dans le recrutement.
À part cela, je propose de mettre en place un groupe de réflexion pour étudier des solutions adaptées à l’environnement social tunisien. Par exemple, comment lutter contre la discrimination dans le mariage?
Voilà quelques idées pour améliorer la capacité de l’état à lutter contre tous types de discrimination et réhabiliter à moyen et à long terme la capacité de la société tunisienne à faire valoir la diversité en son sein.
Super. Je trouve vos propositions très intéréssantes et pertinentes et je vais transférer votre message à l’équipe M’nemty. Cependant la coopération de l’Etat n’est pas du tout assurée. En effet, depuis quelques années cette association essaye en vain de rendre la date le 24 janvier (date d’abolition de l’esclavage en Tunisie) une fête nationale contre la discrimination mais les autorités restent sourds face à cette demande.
@Mariem: Je ne peux que vous encourager et soutenir dans votre combat noble contre la discrimination. Ce qui est sûr et certain, le chemin est assez long en Tunisie pour l’édification d’une société libertaire, égalitaire et fortement solidaire. Ceci dit, je suis le dernier à avoir l’ombre d’un doute que l’état tunisien, par essence mafieux, voyou et oligarchique, puisse accueillir l’effort de la minorité de la société civile, véritablement militante et progressiste, avec ouverture et bonne volonté. Pensez-vous que j’ai une once d’espoir de voir un vieux sénile de 88 ans, majordome de deux dictatures mafieuses, ou son émir d’El Kasbah, un bureaucrate assidu et discipliné, changer le cap d’un état structurellement fondé pour le service d’une oligarchie mafieuse et criminelle vers un état au service d’une société citoyenne, libre et démocratique? C’est trop tôt pour croire à Mère Thérésa! Mais ne vous inquiétez pas! le combat continue…
C’est justement pour ces raisons que personnellement j’opte pour la création des corps indépendants (ou presque) de l’Etat et que je crois que le changement sera plus efficace et rapide en travaillant directement avec le citoyen au lieu qu’avec l’Etat. Les bonnes lois sont peut-être necessaires mais elles peuvent aussi rester cosmétiques.
Bonjour Mariem,
Avez-vous une adresse email sur laquelle nous pouvons vous joindre?
Bien à vous,
Marie (Haut Commissariat aux droite de l’homme des Nations Unies)
Bonjour,
Oui, vous pouvez me contacter sur mariembenyahia@supcom.tn
Bien à vous.
Mariem.
Le racisme est une réalité, je trouve vraiment dommage qu’il faille parler de racisme en Afrique. S’il ai un continent ou ce terme ne devrais être entendu ou dit c’est bien en Afrique.Camerounaise étudiant en Tunisie,j’étais très loin de me douter qu’un enfant de 3ans au bras de sa maman me traiterai de singe dans la rue,ceci est l’exemple le plus aberrant ,la situation la plus inconfortable que j’ai vécu dans mon continent. Et même apres 3ans de vie à Tunis j’en ai vu des formes de racisme mais celle la est inoubliable. Je pense que l’acculturation , et l’ignorance sont des maux qui domine . Tolérance est je pense le maître mot de l’islam. Que signifie t’il ???? Je doute que mes chèrs tunisiens en connaissent réellement le sens.