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Chose étrange que cela ! Chose littéralement étrange que de sentir l’extase monter à l’esprit quand, en lisant un texte profond, mettons de philosophie ou d’histoire, une musique (ou une chanson) adoucit au même moment l’humeur tout en impulsant cette excitation de la connaissance dans le sujet qui reçoit simultanément, et la musique, et l’écrit.

En effet, comment se fait-il qu’elle a ce pouvoir surpuissant d’accentuer la contingence actuelle de l’écrit quand il est lu, c’est-à-dire de lui donner cette portée limitée au présent en ce qui regarde la lecture immédiate, comme si rien n’existait autour, sauf l’assimilation profonde d’un savoir appris à l’instant. Pourtant, au même moment, ces deux ingrédients, mis ensemble, semblent porter la pensée non encore exprimée ni structurée du lecteur à l’infinité de l’univers. Car cette situation n’accentue rien moins que l’idée immensément conséquente qu’une lecture d’un texte est une étape, de soi, comme du monde, dans le chemin pluriséculaire de la connaissance. Et que tant que cet écrit existera, il en sera toujours ainsi. La musique dit cela en effet à tout homme à la recherche de la connaissance et qui apprécie simultanément une écoute musicale.

Mais tout de même, redevenons terre-à-terre après cette rêverie à la fois artistique et philosophique. Revenons à la religion islamique telle qu’elle est connue sur cette terre. Elle semble interdire la musique, sauf dans deux cadres selon un certain nombre de hadiths rapportés, qui sont la célébration d’un événement important (type mariage ou fêtes religieuses), ou pour amortir, par son pouvoir de pénétration de l’esprit qu’il occupe alors, les durs labeurs que l’homme est obligé d’entreprendre dans l’amélioration, et de son quotidien, et de sa société (voir ce lien pour prendre connaissance de l’acuité des avis religieux sur la question).

Comment concilier les deux points de vue : la musique comme source d’impulsion vers la connaissance, chose qui m’est évidente dans les idées sentimentales qui se mêlent, en moi, au sérieux de mon esprit, ou la musique comme vecteur du mal sauf en de rares occasions, comme clamé par l’islam, ma religion ?

Que difficile est une réponse conciliante à cette question ! Essayons de raison garder pour surmonter la difficulté et tentons de regarder les choses en face, sans honte de ce à quoi l’on pourrait aboutir, si tant est que nous sommes sûrs que nous aboutissons à la réalité.

La musique et le mal

Dans notre monde actuel, comme dans l’ancien, beaucoup de fois la musique a pu être le prétexte à l’amoralité du monde. Un seul exemple : “sexe, drogue et rock’n’roll” sont liés dans une maxime populaire de notre temps incessamment assénée, en tout cas dans notre civilisation occidentale. Et, tandis que beaucoup semblent s’en accommoder, d’autres, non moins nombreux, en sont scandalisés à l’excès…

La musique véhicule une contre-culture. Cela est vrai dans le rap ou la musique pop. Elle est pourtant devenue un marché mondialisé, ce qui fait que, alors qu’il y a encore quelques années, dépasser les frontières signifiait changer d’aire musicale, et rencontrer une scène artistique différente, aujourd’hui, les Top 50 de tous les pays du monde présentent de plus en plus les mêmes classements, et ce, au même moment, marque de l’instantanéité croissante permise par les outils de communications satellitaires. Une exception à cela est justement l’exception culturelle, celle défendue par le Canada et surtout la France à l’OMC. Celle-ci a son pendant dans la musique et la chanson, de telle sorte qu’en France, par exemple, la loi imposant un minimum de productions nationales devant être mises en écoute par les stations radios F.M., la scène française rencontre un public grandissant, même si la concurrence, et de la musique américaine, et du téléchargement illégal, malgré Hadopi, est de plus en plus rude.

Cette contre-culture initiale devient donc, au fil de la popularité grandissante accentuée par la mondialisation et la technique de diffusion, une norme de culture au sein des populations. La musique, devenue incontournable, fait partie de nos sociétés dont elle contribue à constituer les normes et valeurs (l’amour, le culte du corps, la nudité, le sexe). Et c’est là que le bât blesse ! La musique et la chanson, en touchant un large public, ont cette influence que beaucoup d’hommes politiques ou d’intellectuels rêveraient de posséder. Surtout, elle impulse chez ses auditeurs des marqueurs identitaires complètement déconnectés de ce qu’ont pu ressentir nos ancêtres quand ils concevaient le monde. Que l’on songe donc à ces adolescentes innombrables, qui crient à tue-tête et perdent la boussole quand elles vont à un concert du groupe One Direction. Ou quand dans ces hommes et ces femmes qui ne jurent que par leurs chanteurs favoris devenus des idoles, on ne voit autre chose que la perdition de leur vie ici-bas tellement ils passent à côté de ce qui est essentiel pour eux s’ils avaient seulement l’occasion ou l’intérêt de s’interroger sur leur existence et de ne pas oublier qu’ils sont mortels.

Est-ce donc cela que le secret de la musique populaire ? Un antidote à l’angoisse de la mort que tout le monde sait inéluctable mais que l’on tente d’oublier par tous les moyens ? Où sont donc les Montaigne et les Ibn Battuta, des modèles qui ont su se retirer du monde quand ils sentaient cela nécessaire pour se préparer à la mort ? Mais écoutaient-ils seulement de la musique ? Ne nous égarons pas…

Le bon, la musique et l’islam

De notre histoire commune, il est sûr que de grands ou de moindres esprits ont su voir en la musique à la fois du beau, et un outil d’élévation intellectuelle et spirituelle. Ainsi de ce qui a introduit ce texte et que je sais ressentir, en toute sincérité. Ou encore de Mohamed Assad, qui a admiré les musiques populaires arabes lorsqu’il ne cherchait que la nomade et perpétuelle pérégrination dans les déserts rocailleux ou sablonneux de la péninsule arabique. Il y admirait le son monotone qui ressortait des chants des hommes du désert, espace où l’acoustique est particulière du fait de l’absence d’obstacle naturel et donc d’écho, ce qui donne un caractère net et arrêté à toute parole déclamée (Le chemins de la Mecque, 1976) ! Il y a vu un des aspects, certes non le plus important, mais existant tout de même, de la grandeur de la nation arable authentique, celle bédouine ou nomade du désert, qui vivait la foi musulmane simplement, sans besoin d’interrogations métaphysiques poussées autres que celles données par la dureté évidente de leur cadre de vie.

Autre style, la musique classique, qui est en fait la musique savante de l’Occident, où de vrais génies ont déployé leurs capacités littéralement exceptionnelles. Ainsi de Beethoven qui, devenu sourd à partir de 26 ans, n’en composa pas moins ses plus grands chefs d’œuvre. Ou, à un degré moindre mais tout de même révélateur de la grandeur de son esprit, Rousseau, lequel, bien que n’y connaissant rien en la matière au départ, parce qu’il voulait seulement être partie du “monde”, et même si la musique l’intéressait, a d’abord été un véritable imposteur, se présentant de village en village comme un expert sans l’être, avant de finir par rédiger des articles sur la musique dans l’Encyclopédie de Diderot, ainsi que des opéras, dont l’un, joué devant le roi Louis XV, atteignit une certaine renommée (les Confessions, publiées à titre posthume à partir de 1782).

D’où la question lancinante qui me taraude. Dieu interdit-il vraiment la musique ? Je ne puis répondre que de ma simple pensée et sans me considérer ni prendre la place d’un savant religieux que je ne suis pas, et que je ne veux pas être. Si elle est jouée dans un endroit où le mal se fait, pourvu que l’on s’entende sur ce que c’est que le mal en islam, il est clair que l’élévation de l’esprit n’a rien à y gagner. Mais quand elle suscite la noblesse de l’action et du cœur, qu’elle semble initier le mieux chez l’homme, que de la configuration unique de toute composition musicale, il en ressort dans le cerveau humain comme de l’ineffable, de l’impensé qui excite la pensée quand on veut justement penser cet ineffable, cet impensé…Ne doit-on pas, au contraire, l’encourager pour le mieux qu’elle semble apporter au genre humain ?

Conclusion

Quelle difficile question sur un sujet semble-t-il prosaïque mais en réalité si profond du fait même que les sons musicaux ont dû accompagner l’aventure humaine depuis le début ! Et nous, musulmans, il apparaît que sur ce sujet, comme sur d’autres, il importe de déserter l’attitude décontenancée pour gagner la pensée raisonnée et créer les concepts d’écoute de ce nouveau monde qui est le nôtre, et qui, dans son être même, est amené encore à plus se mondialiser dans un processus diachronique inédit au plus haut point.