Incidents de Dehiba : Le nouveau Gouvernement à l’épreuve de la “Tunisie des frontières”

Reportge vidéo par Nordin Gantri, texte par Henda Chennaoui.

Après les affrontements violents entre les forces sécuritaires et des habitants de Dehiba, la tension est montée crescendo et s’est répercutée sur toute la région. Le bilan des victimes est lourd : un mort, Saber Baalouch, et quatre blessés. Mardi, une grève générale a paralysé tout le gouvernorat de Tataouine, ce qui a poussé le gouvernement à déléguer le ministre du Développement et de l’Investissement, Yassine Ibrahim, et le ministre des Finances, Slim Chaker, pour parlementer avec les protestataires. Après deux jours de négociation avec les officiels, les habitants ont décidé de poursuivre leur sit-in en réclamant une prise en charge des victimes des bavures policières.

Deux versions opposées relatent les incidents de Dehiba. La première version est celle du ministère de l’Intérieur qui avance la thèse de la manipulation. Ainsi, le porte-parole du ministère a-t-il déclaré aux médias que le mouvement contestataire de Dehiba est fomenté par des libyens qui veulent affaiblir la sécurité des frontières et imposer au gouvernement tunisien la reconnaissance officielle du gouvernement islamiste de Tripoli.

De leur côté, les protestataires de Dehiba réfutent ces accusations, assurant que leur seule revendication concerne le développement économique et l’embauche des jeunes dans les usines de la région.

Dans la foulée, les habitants de Ben Guerdane ont rejoint le mouvement de contestation en observant une journée de grève générale pour réclamer l’annulation de la taxe de 30 dinars sur la circulation transfrontalière des voitures et des personnes.

«Étant donné que les Tunisiens ont imposé cette taxe, les Libyens ont fait de même. Maintenant, nous payons 70 dinars par Tunisien en passant les frontières, ce qui coûte aux commerçants une moyenne quotidienne de 140 dinars supplémentaires à leurs charges », se plaint un habitant.

Les grévistes suggèrent de coordonner avec les autorités libyennes qui contrôlent les frontières.

«Qu’on le veuille ou pas, le gouvernement de Tripoli (connu par l’opération “Fajr Libya” menée par des factions islamistes) contrôle tout l’Ouest libyen jusqu’aux frontières tunisiennes. C’est le seul vis-à-vis des Tunisiens qui travaillent sur les frontières»,explique Ghazi Moalla, spécialiste des affaires libyennes.

Concernant la polémique suscitée par la visite de Mabrouk Hrizi et Imed Daimi à Dhehiba, Ghazi Moalla précise:

Les deux députés ont rencontré le maire de Zouara et un haut responsable militaire du gouvernement de Tripoli. Cette entrevue a porté sur des problèmes techniques liés aux frontières. Il n’a jamais été question d’une demande de reconnaissance officielle du gouvernement de Tripoli. Ce qui a été annoncé par la suite dans les médias n’est qu’une surenchère.

Durant l’entretien avec Yassine Ibrahim et Slim Chaker, les habitants ont évoqué les bavures de la police et le peu d’intérêt accordé par l’État aux conditions précaires des habitants dans un contexte de lutte nationale contre le terrorisme. Une fois n’est pas coutume, Mohamed Ali Laroui, porte-parole du ministère de l’Intérieur, a présenté des excuses concernant ses déclarations sur la collaboration des habitants de Dehiba avec des terroristes libyens.

«Nous ne sommes pas des terroristes ! Au contraire, nous avons défendu les frontières, quand la garde nationale et la police étaient totalement absentes. Les policiers qui travaillent, ici, sont livrés à eux-mêmes, sans soutien ni prise en charge de leur administration, ils vivent à nos dépens. Nous leur fournissons de la nourriture, des couvertures et du mazout, en hiver, pour qu’ils puissent survivre au froid », témoigne un habitant de Dehiba.

La majorité des Dehibiens gagne leur vie de ce que l’on appelle dans le milieu «El Kontra», c’est-à-dire la contrebande. Certains représentants de l’État assimilent, d’une façon singulièrement maladroite, toute contrebande aux trafics d’armes et aux mouvements migratoires des jihadistes. Cette assimilation, manifestement outrancière, pousse pourtant à s’interroger sur les efforts réels fournis par l’État afin d’offrir une alternative à la contrebande aux populations frontalières pour survivre !? Quand le gouvernement utilise l’argument de la contrebande pour réprimer les habitants du Sud, ces derniers brandissent en retour leurs éternelles revendications d’emploi et de partage équitable des richesses.

Mais les deux ministres du Gouvernement Essid n’ont rien promis aux habitants de Dehiba.

«Ils sont venus juste pour calmer les esprits et nous persuader d’arrêter le sit-in. Aujourd’hui, un de nos blessés, Houcine Loumi, est complètement paralysé par la balle qu’il a reçue dans le dos. Les médecins de l’hôpital de Sfax disent qu’il lui faut une opération à l’étranger, sinon il ne pourra plus jamais marcher …», affirme Mohamed, un habitant de Dehiba qui a lancé une page Facebook pour relater les incidents de Dehiba face au silence des médias officiels.

Entre le conflit armé libyen, le droit légitime à des moyens de subsistance et les enjeux sécuritaires, les habitants de Dehiba, acculés, malgré eux, à la contrebande frontalière, ne lâchent pas leurs revendications du droit au travail et au développement économique. Selon eux, la solution de tous les maux ne viendra qu’avec une politique volontariste qui donnera la priorité aux besoins du village sur le plan économique et social.

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