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La gestion de l’eau (ou sa gouvernance) est un des enjeux capitaux des années à venir en Tunisie. Nous sommes conscients que d’énormes efforts ont été consentis par la communauté nationale pour mobiliser cette ressource par essence rare dans un pays surtout marqué par l’aridité. Nous avons également l’impression que sa gestion est maîtrisée par les différents intervenants dans le secteur, notamment les services techniques du Ministère de l’Agriculture.

Au cours des dernières années, des manifestations ne cessent de voir le jour à cause des coupures de l’eau en milieu rural. Dans un précédent article, nous avons évoqué la distribution de l’eau potable en milieu rural, croyant que les situations décrites en terme de mauvaise gestion du réseau en milieu rural par les GDA étaient les pires à connaître et avions proposé des pistes de solution.

Dans le présent article, nous nous penchons sur la gestion des périmètres irrigués qui assurent la fourniture de l’eau aux agriculteurs. Tout comme la fourniture de l’eau potable et la gestion du réseau, les périmètres irrigués sont gérés par des GDA (Groupements de Développement Agricoles) et dont le fonctionnement est réglé par le même cadre légal (Décret n° 1819 de 1999).

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Les données présentées dans le présent article concernent le gouvernorat de Kairouan, mais certaines données plus fines focalisent sur une seule délégation parmi les onze que compte la région.

La création des GDA remonte à la fin des années 1980 (figure 1), dont près de la moitié aux deux premières années de leur histoire, c’est-à-dire qu’il y a eu autant de GDA créés en deux ans qu’en plus de vingt ans. Près de 50 % des superficies irriguées concernent ces deux années de création.

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Figure 1. Historique de la création des GDA d’irrigation dans la région de Kairouan.

Dans la région, se trouvent 75 GDA qui gèrent des périmètres irrigués couvrant 8370 hectares (ha dans le reste du texte) dont bénéficient 3650 agriculteurs, soit un peu moins de 2,5 ha par exploitant. Cette moyenne cache des disparités, car la moyenne des superficies irriguées par exploitant va de 0,7 à 11,2 ha. La superficie d’un seul périmètre irrigué gérée par GDA va de 20 à 430 ha. La moyenne étant de 111,6 ha. La figure suivante illustre la variation du nombre d’exploitants par GDA en fonction de la superficie irriguée.

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Figure 2. Nombre d’exploitants par GDA en fonction de la superficie irriguée.

Il paraît clairement que la plupart des GDA gèrent des périmètres irrigués dont la superficie est comprise entre 50 et 150 ha, et que le nombre d’exploitants est inférieur à 30. Les superficies supérieures à 150 ha sont représentées par un nombre réduit d’agriculteurs.

Contrairement aux GDA d’eau potable, les bénéficiaires des services des GDA d’irrigation sont appelés à payer l’eau avant sa consommation. Nombreux exploitants agricoles demandent à ce que l’eau utilisée dans l’irrigation de leur champ soit payée à la fin de chaque saison, arguant qu’ils ne disposent pas de liquide suffisant pour payer l’eau. Il est donc normal que ces structures ne soient pas endettées. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les GDA d’irrigation sont bien plus endettés que les GDA d’eau potable !
A l’échelle du gouvernorat, 13 GDA d’irrigation ne sont pas fonctionnels (fin février dernier). La superficie gérée par ces structures est de 800 ha, soit près de 10 % de la superficie des périmètres irrigués gérés par ces structures. La superficie des périmètres des GDA défaillants va de 20 à 106 ha, et le nombre de bénéficiaires varie de 10 à 107. Les dates de création de ces GDA s’échelonnennt entre 1990 et 2000, ce qui conforte l’hypothèse que les GDA ayant failli à leur mission sont celles créées sous la dictature, et que leurs gestionnaires sont habitués à la mauvaise gestion de la chose publique sans s’inquiéter ni rendre compte de leur gestion catastrophique.

Le cas des GDA d’une des délégations de la région permet de mieux visualiser l’état de leur gestion. Cette délégation comprend 15 GDA d’irrigation, créés entre 1990 et 2003. Les données concernant le nombre de bénéficiaires et les superficies irriguées ne sont pas complètes et ne sont donc pas préciser, sauf si cela est nécessaire et que les données sont disponibles.

Parmi les dysfonctionnements constatés de ces GDA, on note l’irrégularité du contrôle de leurs finances (annuel selon le décret) et le volume très important de leurs dettes. En effet, selon les données disponibles, sur 15 GDA, huit sont endettés, et que les dettes vont de 1900 à près de 195 000 DT ! Leurs dettes cumulées s’élèvent à près de 550 000 DT ! L’endettement de ces GDA est nécessairement lié au fait que les exploitants ne paient pas l’eau avant son utilisation, ce qui n’est pas conforme aux modes de fonctionnement de ce type de structure. Une pratique courante relatée par certains de nos témoins stipule que certains exploitants, au lieu de se déplacer pour payer les GDA par des mandats postaux préfèrent payer en liquide les responsables et que certains parmi ces derniers, peu scrupuleux des contrôles, ne placent pas l’argent collecté au compte du GDA. La situation étant que l’eau payée et consommée n’est pas incluse dans les recettes du GDA, mais que la facture de la STEG s’alourdit. L’on se demande dans ce cas précis pourquoi la STEG a laissé la situation se détériorer et voir les dettes des GDA s’accumuler pour les voir dans l’incapacité de payer (actuellement).

Gestion de la crise et défaillances du contrôle

Devant ce genre de situation, il est légitime de se demander pourquoi sommes-nous arrivés là, et pourquoi les structures de contrôle (délégation et services du CRDA) n’ont pas réagi à terme pour qu’on n’atteigne pas ce stade de pourrissement de la situation. Il est vrai que les structures du ministère des Finances se plaignent qu’ils ne disposent pas de suffisamment de moyens et de personnel pour procéder au contrôle financier des GDA sur place, et qu’ils ne peuvent pas les contraindre de se présenter volontairement au contrôle de leurs finances. D’un autre côté, le contrôle financier se limite à vérifier le solde des comptes, sans regarder au détail la conformité des dépenses (qui peuvent être fantaisistes) avec les missions des GDA.

La politique suivie étant de changer les responsables des GDA chaque fois qu’il s’avère que les anciens se voient incapables de gérer. Les premiers ne sont donc nullement inquiétés lorsque le résultat de leur gestion est l’accumulation des dettes et que le périmètre irrigué cesse pratiquement de fonctionner.

Ce premier article est une présentation sommaire de l’état des GDA d’irrigation dans la région. Nous nous attelons actuellement d’étudier de plus près leurs modes de fonctionnement, afin de nous arrêter sur les causes des défaillances constatées et de présenter des pistes de solutions à ces défaillances récurrentes. Ce qui est cependant certain, c’est que les procédés de gestion de leurs manquements ne sont pas adaptés et qu’ils ne peuvent pas mettre un terme à ce mode de gouvernance de la chose publique. Inutile alors de discourir sur la sécurité alimentaire et la bonne gouvernance des ressources naturelles…