L’ensemble des syndicats de la culture a observé le 9 juin 2015 une grève générale pour protester contre la lenteur du ministère de la Culture à concrétiser ses promesses de réforme. Les structures syndicales prévoient une prochaine grève générale du 9 au 11 juillet prochain et un sit-in le 10 juillet devant l’amphithéâtre de Carthage.
Quarante-trois est le nombre des demandes que le syndicat général a déposé depuis 2014 auprès du gouvernement de Mehdi Jomaa. Après trois jours de grève générale entre le 11 et le 13 juin 2014 et des négociations hâtives, Mourad Sakli a signé un engagement sur toutes les demandes du syndicat général. Selon cet accord, les 43 points doivent être réalisés sur deux ans. Mais, rien n’a été fait. «En sachant qu’il allait partir, Mourad Sakli a signé le PV de l’accord pour calmer le syndicat et sauver les festivals d’une grève générale. Après, évidemment, rien n’a été fait et nous voilà, aujourd’hui, au point de départ» nous explique Meriem Ben Othmane, une des grévistes de l’Institut National du Patrimoine.
Parmi les grévistes, environ 300 personnes protestent contre la précarité de leur situation au sein du ministère de la Culture. Il s’agit d’ouvriers occasionnels que le ministère recrute par projet. Selon le syndicat, les ouvriers occasionnels n’ont pas reçu leurs salaires depuis décembre 2014. Alors que le gouvernement, via le ministère des Finances, affirme qu’il n’y a pas de budget pour payer les ouvriers occasionnels, les directeurs des institutions du patrimoine proposent de convertir une partie de leur budget pour payer ces “occasionnels”.
Rappelons que tous les anciens ouvriers occasionnels ont été intégrés par un décret-loi signé par Béji Caid Essebsi en 2011. Ceux recrutés temporairement entre 2011, 2012 et 2013 attendent de recevoir le même traitement que leurs prédécesseurs. Les demandes du syndicat consistent à titulariser tous les ouvriers occasionnels, payer les salaires en retard et reconnaître les diplômes des chercheurs et restaurateurs.
Meftah Wannassi, Secrétaire-Général de l’Union de la Culture explique que «le ministère ne réagit pas face à notre protestation. Durant une dernière réunion, Latifa Lakhdar a carrément quitté la table des négociations sans donner des explications ou des excuses. Au premier ministère, on nous a orienté au bureau des relations avec le citoyen pour négocier nos demandes. C’était aberrant! Si ça continue de cette façon, nous allons arrêter les activités estivales pour mettre la pression et les obliger à nous écouter» affirme le Secrétaire-Général de l’Union de la Culture. Selon lui, le vieux fonctionnement du ministère de la Culture (le règlement interne actuel est mis en place depuis 1978) n’est plus adéquat aux exigences actuelles. La situation des ouvriers occasionnels et celle des commissions culturelles ne sont pas une exception au ministère qui ne se décide pas encore à mettre sur la table les réformes nécessaires dans le secteur.
Rappelons que les commissions culturelles qui prenaient en charge la budgétisation locale de la culture ont été supprimées par Ali Lâarayedh en 2013. «Cette décision purement parachutée n’a pas été suivie par un mécanisme qui remplace les commissions culturelles. Du coup, le ministère a suspendu la suppression des commissions qui ont continué à travailler, mais sans paiement puisque le ministère des Finances ne leur a pas prévu un budget. Aucune coordination entre les ministères et c’est tout le temps l’ouvrier qui paie la facture» explique Meftah Wannassi, Secrétaire-Général de l’Union de la Culture.
Abdelhamid Ben Slama, Secrétaire Général de l’Union des Ouvriers Occasionnels nous explique que le budget alloué aux paiements des ouvriers occasionnels l’année dernière a frôlé les 10 milliards de millimes. Ce budget ne figure pas dans les dépenses de l’administration, mais il s’agit tout simplement d’une série d’acrobaties au détriment des dépenses prévues pour les projets, l’infrastructure et autres nécessités. «Si cette situation semble chaotique, c’est parce que l’Institut National du Patrimoine souffre d’une mauvaise gestion flagrante. Le ministère des Finances refuse actuellement de verser les paiements retardés des ouvriers occasionnels pour éviter le gaspillage et la corruption dont fait preuve le ministère de la Culture» témoigne le Secrétaire-Général de l’Union des Ouvriers Occasionnels.
Un haut fonctionnaire à l’Institut National du Patrimoine témoigne, dans l’anonymat, que la crise est le résultat direct d’un manque d’organisation. «Le nombre des ouvriers occasionnels a augmenté après le 14 janvier. Au lieu de changer les ouvriers occasionnels à chaque projet, l’administration reprend les mêmes personnes en considérant leur situation sociale et l’expérience qu’ils ont acquise. Du coup, un seul ouvrier peut passer plus de 3 ans à travailler sans interruption dans les projets de l’INP. Nous ne pouvons pas leur demander de rentrer chez eux. Pour les payer, nous dépensons l’argent prévu aux projets de rénovation ou autre» nous confie le haut fonctionnaire.
Alors que certains essayent d’ouvrir un canal de négociation avec le ministère de la Culture, d’autres continuent d’accuser son administration de corruption. «le blocage fait par les deux ministères de la Culture et de la Finance est dû à une léthargie généralisée depuis des années. Le népotisme, la corruption et l’incompétence sont devenus la règle. Les dossiers de corruption comme celui du déclassement des zones archéologiques de Carthage jamais ouverts par la justice sont l’expression même du gouffre dans lequel nous sommes tombés.» se désole un des hauts fonctionnaires de l’INP sans vouloir citer son nom.
En même temps que des syndicalistes et des fonctionnaires au ministère de la Culture proposent de délocaliser la gestion des ouvriers occasionnels pour plus de souplesse dans le paiement et le contrôle, le ministère continue à garder le silence et à traiter les problèmes avec superficialité. «Quand le drame est survenu au Musée du Bardo, la ministre de la Culture, Latifa Lakhdar, s’est rendue sur place pour visiter les lieux et le personnel. Les fonctionnaires présents lors de sa visite étaient, en majorité, des ouvriers occasionnels. Elle leur a promis de régler leur situation en les intégrant dans le ministère. Le dossier a été confié au directeur de l’INP qui n’a pas donné une liste complète des ouvriers occasionnels. Et c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Non seulement nous n’avons pas eu nos paiements, mais aussi on nous ignore, car nous n’étions pas sur place lors d’un attentat terroriste» s’indigne Meriem Ben Othmane.
Devant un tel blocage, attendons-nous à un deuxième scénario de promesses sans suite avec l’approche des festivals d’été? Si Mourad Sakli a réussi son «bluff», selon certains, car son gouvernement était transitoire, Latifa Lakhdar doit, impérativement, trouver une solution raisonnable avant de tomber dans le trou noir des grèves générales et des bras de fer inutiles.
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