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Capture d’écran : l’interview avec Moncef Marzouki, sur Sharq Tv, retransmise le 16 septembre 2015

Moncef Marzouki n’a pas été interviewé par une chaîne tv tunisienne depuis sa défaite électorale en décembre 2014. Pour la rentrée politique, l’ex-président a fait le tour des chaînes de ses alliés, le temps d’un voyage en Turquie. Délocalisation.

Il était à Istanbul vers mi-septembre. Son agenda du 16 septembre affichait une réunion du comité fondateur du Conseil arabe pour la défense des révolutions et de la démocratie, une coalition politique panarabe créée en juillet 2014. Autour de la table : Moncef Marzouki, Imed Daimi, Ayman Nour et Tawakkol Karman. Daimi y est présent en tant que secrétaire général du Congrès pour la République (CPR). De sa part, l’égyptien Ayman Nour y représente le Parti Ghad Al-Thawra dont il est le chef. Quant à Karman, cette militante yéménite des droits de l’Homme, prix Nobel de la Paix en 2011, est également une personnalité politique en sa qualité de membre du conseil de la choura du Parti Al-Islah, la branche yéménite de l’organisation des Frères Musulmans. Après les échanges politiques, place aux faveurs médiatiques.

Sur les petits écrans de ses alliés

C’est sur un ton dithyrambique que deux chaînes tv basées à Istanbul ont reçu Marzouki. Il s’agit d’El Sharq Tv et de Belqees Tv. L’interviewé est sur un terrain conquis. Et pour cause : Les propriétaires des deux chaînes tv en question sont ses deux alliés précédemment évoqués. Ayman Nour a racheté El Sharq Tv en août 2015, après une crise financière qui a forcé la chaîne à suspendre sa transmission. Et Belqees Tv a été créé par Tawakkol Karman en février 2015 à Sanaa avant que ses locaux ne soient vandalisés par les insurgés Houthis. La chaîne a repris sa diffusion en mai 2015 depuis Istanbul.

Belqees Tv a diffusé son interview avec Marzouki, le 25 septembre. Quant à l’interview sur Sharq Tv, elle a été retransmise le 16 septembre, le jour même de la réunion des quatre alliés. La même chaîne a diffusé un entretien avec Imed Daimi, trois jours plus tard, soit le 19 septembre. Une tournée médiatique qui s’est soldé par un accord entre Marzouki et Sharq Tv.

Bientôt… Sharq Tv se distingue avec une émission hebdomadaire de Moncef Marzouki intitulée « La deuxième vague » sur sa vision du printemps arabe, a annoncé Ayman Nour sur Twitter le 26 septembre.

Un choix stratégique assumé ?

L’alliance politique est donc consolidée par un partenariat médiatique. Pourtant, Marzouki a souvent dénoncé les ravages potentiels de « l’argent politique ». Contrairement à ses prétendus principes, l’ex- président s’inscrit dans l’instrumentalisation propagandiste des médias. Les deux interviews citées ci-dessus sont loin d’être des exceptions. Marzouki semble avoir pris gout au confort des médias sympathisants au point d’en faire un choix stratégique pour sa rentrée politique. Moins d’une semaine avant son voyage en Turquie, il a donné, le 11 septembre, « une conférence de presse » (selon la page officielle de Moncef Marzouki sur Facebook) en présence d’un seul média car invité unique, qui l’a retransmis en direct : Aljazeera Mubasher.

Autre indicateur d’une perception confuse du rapport entre politique et médias : Le président sortant a accordé une troisième interview lors de son séjour turque. Elle a été retransmise, le 20 septembre, par TRT Arabya, une chaîne publique turque qu’il présentera sur sa chaîne Youtube et sa page Facebook comme « la chaîne officielle turque ». Le choix du terme en dit long sur la perception de Marzouki de la vocation des médias publics.

Sur le plan national, le fondateur du CPR et du Mouvement du Peuple des Citoyens a souvent entretenu des rapports conflictuels avec les médias. En témoigne la grande controverse qui a accompagné sa publication du livre noir. En atteste aussi le déséquilibre entre lui et Caïd Essebsi dans les chaînes tv nationales durant la campagne des élections présidentielles (voir le rapport de la HAICA sur le pluralisme politique dans les chaîne tv et les radios du 9 au 19 décembre – 2ème tour). Une tendance qui s’est relativement atténuée durant cette période si on compare le deuxième tour avec la première semaine du premier tour (voir le rapport sur le pluralisme politique dans les chaîne tv et les radios du 1er au 07 novembre). Il s’y place carrément 26ème parmi 27 candidats en termes de temps de parole. Quant au temps d’antenne, il n’arrivait même pas à la moitié de celui occupée par Caïd Essebsi.