Les textes sont cleans, voire même conventionnels. La composition est simpliste, suivant une configuration garantissant un easy listening . Le reggae n’est plus un lion rebelle mais une peluche qui se veut sympathique. Le rap peut se contenter d’être festif. Il n’est plus transgressif. Sa rage est cachée derrière un jeu où la contestation ne va pas plus loin que les lignes rouges tracées par la culture dominante. Certaines figures de la scène émergente tunisienne se plient à la loi du marché, au point de formater leurs genres musicaux de prédilection et en faire de la pop, voire même de la variété. Une tendance qui gagne de l’ampleur.
Klay Bbj – Ghodwa Khir
« Voici un titre commercial avant de revenir à l’underga3 », glisse Klay BBJ dès ses premières rimes. Il y a bien de quoi. Mis en ligne le 19 mars 2016, le dernier morceau du rappeur enragé, tourné en clip, est dans le registre house. Même s’il y est resté fidèle aux éléments de langage habituels de ses ego-trips, la hargne du rappeur a été absorbée par le rythme entraînant et les sonorités plastiques. Klay répond ainsi à ses besoins lucratifs vu que le clubbing demeure sa seule source de revenus tant qu’il est boycotté par les événements du ministère de la Culture et que les promoteurs privés sont harcelés par la police quand ils le programment.
Artmasta – Ganja
Sorti le 16 mars 2016, le nouveau morceau d’Artmasta, tourné en clip, ne déroge pas à ses habitudes. L’auteur est l’un des chanteurs les plus engagés dans la dérive commerciale du reggae et du rap. Dans ce morceau, il chantonne à l’aide d’Auto-Tune, logiciel correcteur de fausses notes en temps réel, d’où sa voix artificielle. Afin d’avoir un air novateur, Artmasta reprend des constructions rythmiques et des sonorités propagées par le dubstep, genre de musique électronique se distinguant par ses importantes basses fréquences et ses penchants pour le garage londonien, le reggae et le hip hop. Mais dans le cas présent, il perd sa substance qui devrait être puisée dans l’expérimentation.
Mehdi R2M – Ness Herba
Fruit d’une collaboration entre le chanteur Mehdi R2M et le bootlegger Ahmed Channoufi qui s’est fait connaître à travers El Mixtape, « Ness Herba » est une production de la radio privée de divertissement IFM. Le morceau, mis en ligne le 29 février 2016, reprend des extraits d’une chronique télé de Mohamed Boughalleb. Quant au vidéo-clip, il arbore une esthétique burlesque. La propagation de l’anarchie, dénoncée avec laxisme dans le morceau, est tournée en dérision. Il s’agit d’un spécimen de cette tendance qui vide la contestation de sa substance quand elle se fait formater au gré des exigences du courant dominant.
Kafon – Galeg
Là, c’est carrément de la pop. Kafon n’a plus besoin de se draper de reggae pour cacher son imposture. Simplistes au point d’être d’une pauvreté extrême, ses compositions sont une représentation caricaturale de l’easy listening , facile à mémoriser grâce à ses paroles et ses mélodies banales. Afin de remédier à ses maladresses de chant, il recale sa voix à l’aide du logiciel Auto-Tune, poussant parfois ses réglages à l’extrême afin d’assumer la voix artificielle. Dans le nouveau morceau, sorti le 13 février dernier, il pousse l’exercice dans une autre direction en délaissant la musique de genre et en optant pour le registre de la variété. Même le clip rappelle les soap-operas turcs.
Balti – Hala Mala
Le rappeur est pionnier de cette tendance. L’exemple le plus marquant dans ce sens reste son tube « Jey mel rif lel 3assima », qui a marqué son come-back en 2011. Dans « Hala mala », mis en ligne le 2 janvier, Balti a succombé, à nouveau, à la facilité de l’Auto-Tune. Pourtant, le rappeur et compositeur a su bien exploiter l’effet de ce logiciel à travers un usage subtilement esthétisé dans « Houma t7ebb ettoub », son précédent morceau sorti en septembre 2015. D’ailleurs, Balti ne fait pas que se plier à la loi du marché local. Aujourd’hui, il tente de s’adapter à l’exigence de l’industrie musicale française, tout en y mettant une touche de chez-nous : Son nouveau morceau en featuring avec le rappeur français Mister You, baptisé « Baltigataga », en témoigne.
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