Entre autres dispositifs, nous avons aujourd’hui l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), présidée par le médiatique Chawki Tabib. Brillant avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie, Chawki Tabib se retrouve aujourd’hui au cœur d’une institution ayant la charge de contribuer à la lutte contre la corruption. Position peu enviable, destinant M. Tabib à devenir l’ennemi déclaré de toute une caste de hors-la-loi en col blanc.

Et en matière de lutte contre la corruption, l’ampleur de la tâche est telle, que nous n’avons pas hésité à demander au président de INLUCC s’il se sentait de taille à assumer ses fonctions, tant la corruption -impunie- s’est enracinée dans notre pays.

Si, en effet, l’ancien bâtonnier demeure serein -une sérénité héritée par ailleurs des années de militantisme sous le régime de Ben Ali-, il n’hésite cependant pas à pointer du doigt le peu de moyens dont il dispose pour accomplir sa mission.

Durant cette interview, ce fut l’occasion pour Nawaat d’évoquer justement ces moyens mis à sa disposition, les difficultés qu’il rencontre, mais aussi le manque, très handicapant, des moyens de la justice à laquelle il transmet les dossiers instruits par son instance.

À aucun moment nous n’avons eu envie de poser des questions sur des dossiers en particulier ou de chercher à obtenir des révélations. Nous n’éprouvions guère d’intérêt pour savoir qui a fait quoi. Du reste, est-ce si important au regard du véritable défi posé à l’État tunisien, à savoir la volonté de mettre les moyens qu’il faut afin que les discours relatifs à la lutte contre la corruption ne soient pas que de la poudre aux yeux.

Et de ce point de vue, à ce jour, les moyens existants aussi bien ceux de l’Instance de M. Tabib que ceux de la justice tunisienne -cette sinistrée de la Révolution- demeurent dérisoires. À cet égard, nous ne pouvons que rappeler ce que nous avons écrit à maintes reprises sur Nawaat :

L’un des plus grands dangers qui guette la nouvelle démocratie tunisienne, c’est en effet l’absence d’adéquation entre les moyens humains et matériels actuels de la justice, et les nouvelles exigences de la Tunisie post-révolution.

Que l’on ne s’y trompe pas, sans une justice efficace, la démocratie tunisienne ne sera pas à la hauteur de nos ambitions. Et sans moyens humains et matériels, la Justice tunisienne n’atteindra pas le seuil minimum qui satisfasse aux exigences d’une démocratie viable et pérenne. Et, de ce point de vue, le retard à combler en termes “d’investissement” dans l’appareil judiciaire est aussi vital pour la Tunisie, que le “rattrapage économique” des zones sinistrées à l’intérieur du pays. Que l’on se trompe dans l’échelle de nos priorités, et le processus de la transition démocratique n’ira pas loin. Dans le meilleur des cas, il sera moribond !

Au cours de notre entretien avec le président de l’INLUCC, ce dernier, également, n’a pas mâché ses mots à propos des carences structurelles dans lesquelles l’appareil judiciaire tunisien est cantonné ; quand bien même, insiste-t-il, il ne faut ménager aucun effort pour faire avec ce qu’il y a, tout en œuvrant simultanément pour que les choses bougent. Et entre-temps, son instance ayant déjà transmis, indique-t-il, près de 500 dossiers à la Justice !

Si l’homme est ainsi déterminé à ne ménager aucun effort à la tête de l’INLUCC -et nous le croyons volontiers- nous demeurons néanmoins convaincus que, malgré toutes les bonnes volontés du monde, la marge de manœuvre dont il dispose demeure étroite. Sans l’intervention du législateur pour la mise en chantier de nombreuses réformes judiciaires, réformes mentionnées du reste par M. Tabib, nous n’irons pas loin.

Quoiqu’il en sera, nous concédons le crédit au président de l’INLUCC, y compris au sein de la présente interview, de ne pas user de la langue de bois et de parler avec franchise, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer des carences en matière de moyens. Aussi, faut-il souligner que la lutte contre la corruption ne relève pas uniquement des efforts de M. Tabib, mais du législateur et des pressions de l’ensemble de la société tunisienne afin que les choses bougent. Quant à l’exécutif, nous attendons toujours la mise sur pied, de sa part, d’une politique publique globale et cohérente, renforçant les moyens de toutes les parties prenantes en matière de lutte contre la corruption. Car il est question, comme le précise fort justement l’ancien bâtonnier, d’une lutte qui « nécessite toute une stratégie nationale !». Une stratégie dont il esquisse quelques éléments au sein de la présente interview.