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14h30, centre-ville de Tunis. Les portes de l’Agence tunisienne de la formation professionnelle sont déjà fermées. Pourtant, lundi 6 juin, le Premier ministère avait annoncé que, durant le ramadan, les administrations resteraient ouvertes jusqu’à 15 heures. Cherif  El Kadhi, 29 ans et membre de l’association I Watch, prend une photo des portes désespérément closes en prenant soin d’y mettre sa montre au premier plan. Nous sommes en pleine opération « Jainekom » (nous arrivons), la campagne initiée par I Watch contre l’absentéisme des fonctionnaires durant ramadan.

Cette campagne, lancée sur Facebook dès le premier jour du mois saint, incite notamment les citoyens à dénoncer le non-respect des horaires administratifs. Quelques centaines d’abonnés interagissent quotidiennement sur la page officielle, diffusant leurs témoignages à grand renfort de photos de portes fermées. « Hier, nous avons reçu une photo envoyée par un citoyen de Tataouine, sa municipalité a fermé dès midi » s’insurge Manel Ben Achour en nous montrant le cliché en question. Cette jeune femme de 25 ans coordonne depuis son bureau la brigade de 24 volontaires qui assurent une surveillance quotidienne dans tous les gouvernorats. Pour couvrir Tunis, les membres de l’association comptent aussi sur la participation citoyenne.

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« Reviens demain ! », « X n’est pas là » ou encore « je sors dans 10 minute, je ne peux pas traiter ton dossier ». Autant de phrases que tous les tunisiens-ennes ont pu entendre lors d’un passage dans une administration. Durant ramadan, le mythe dit que les fonctionnaires ne restent que quelques minutes dans leurs bureaux.

Ponctuel mais pas à l’heure

En réalité, une grande partie des fonctionnaires reste ponctuelle. « Ils arrivent à l’heure mais quittent leurs bureaux avant l’horaire de fermeture officiel » explique Manel qui ajoute que ces horaires ne sont décidément pas clairs. « Il nous a fallu trois jours pour avoir une idée globale des horaires de chaque administration » s’offusque-t-elle. Grâce à leurs investigations, les membres de I Watch ont tout de même réussi à dégager certaines constantes. « Il y a trois catégories d’administrations avec des horaires spécifiques mais aucune n’est précisée, encore une fois, on oublie d’informer le citoyen. »

En réalité, on peut résumer les choses ainsi. Les guichets des caisses nationales, comme la CNSS ou la CNAM, sont ouverts entre 8h et 13h.  Pour les banques publiques, celles-ci accueillent le public entre 8h30 et 12h45. Enfin, les établissements administratifs tel que les collectivités locales respectent la règle de 8h à 15h. «Personne n’explique les raisons de ces différences  observe Manel, interloquée, qui constate prosaïquement qu’il y a une différence entre  ceux qui bossent 7 heures et ceux qui bossent seulement 4 heures ». Bref, on n’y comprend plus rien, d’autant plus que la majorité des administrations continuent d’afficher leurs anciens horaires.

Quand les portes s’ouvrent

Il est 14h40 lorsque nous pénétrons dans l’Administration générale des immeubles agricoles. L’agent de sécurité qui a reconnu Cherif nous ouvre les portes. « Ça fait deux jours maintenant que je leur rends visite et je n’ai noté aucune anomalie assure-t-il très sérieusement, depuis nos visite, on a constaté une nette amélioration de l’assiduité » se réjouit ce jeune militant de la ponctualité. Chérif frappe à la porte du bureau des relations avec le citoyen. Un quarantenaire tout sourire lui ouvre la porte. « C’est une bonne initiative mais le timing est mal choisi » confie Tahar Zaineb, qui cumule 20 ans de service dans l’administration. « Durant ramadan et en été, nous ne recevons pas beaucoup de demandes, le citoyen a pris l’habitude de reporter ses procédures administratives » constate-t-il. Pour ce fonctionnaire chevronné, les faiblesses de l’administration tunisienne restent la bureaucratie et la législation, «et ce ne sont pas les fonctionnaires qui changeront les lois » ajoute-t-il.

Sur les réseaux sociaux, on est parfois loin de l’attitude de Tahar. Certains fonctionnaires voient d’un mauvais œil le contrôle qu’opère l’association. De la même manière, ils critiquent aussi les récents contrôles imposés par le ministère de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption. Depuis le 8 juin, une vingtaine de contrôleurs mandatés par le ministère sont en effet chargés d’inspecter les différentes administrations. Pour ces fonctionnaires mécontents, le contrôle devrait être exercé à tous les échelons, et ne pas se focaliser exclusivement sur les postes subalternes.

En sortant du bureau de Tahar, des employés interpellent Chérif. « Pourquoi vous ne contrôlez pas les concours internes, les mutations et les promotions dans l’administration ? Si votre souci est la lutte contre la corruption, venez voir ce qui se passe au quatrième étage ». Avec sang-froid, le militant leur rappelle que son association s’intéresse à toutes les formes de corruption. « L’année dernière, nous avons observé des concours nationaux, comme celui de la magistrature » explique-t-il en confiant y avoir décelé «plusieurs anomalies, du favoritisme et de la corruption ». I Watch ne travaille pas seul, partenaire de plusieurs administration, l’association milite pour « assurer un maximum de transparence ». Faces aux critiques que certains peuvent lui adresser, Cherif rétorque : « notre objectif n’est pas de bloquer le service public mais de l’améliorer ». Vaste programme.