Ils étaient presque tous là en cette matinée du 14 juin : les cadres du ministère de l’Energie et des mines, les dirigeants de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (ETAP), les représentants des compagnies extractives et des délégués de la Présidence du gouvernement et du ministère de la Fonction publique et de la lutte contre la corruption. Tous étaient invités au siège de l’entreprise pétrolière étatique pour assister à l’annonce officielle de la publication des contrats relatifs aux titres pétroliers. Au nombre de 50, les contrats ainsi que leurs avenants sont désormais disponibles sur une plateforme Opendata dédiée. Y figurent aussi les données relatives au secteur pétrolier et aux indicateurs du secteur de l’énergie et des mines en général : de la production à la consommation, en passant par les chiffres d’exportation et d’importation. Cependant, cette divulgation tant revendiquée par la société civile, une large frange de citoyens et l’opposition parlementaire, est-elle suffisante pour garantir la transparence du secteur des industries extractives ?
Les contrats divulgués sur le portail Open Data mettent notamment en lumière la relation de l’Etap et de l’Etat avec les opérateurs tunisiens et étrangers. D’autres acteurs, tout autant incontournables du secteur de l’énergie et des mines, sont toutefois absents ou presque.
Les contrats de la STEG, une ligne rouge
Le premier n’est autre que la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG). Dans le 27ème rapport de la Cour des comptes de l’année 2012, relatif au secteur du gaz naturel et couvrant la période 2007-2010, la STEG est omniprésente, avec des dépassements et des irrégularités diverses. Sur le site data.industrie.gov.tn, l’électricien national n’est présent qu’à travers un seul document qui expose son réseau de districts et d’agences. Ses contrats d’achat du gaz naturel auprès des opérateurs ne sont pas publiés. Le rapport de la Cour des comptes a constaté que « les approvisionnements en gaz relatifs aux champs de « Chargui », «Jebel grouz », « Chouchet essaida », « Maamoura » et « Sitep » ont été effectués sans contrats pour des périodes allant de cinq mois à deux ans. Ils ont continué à l’être jusqu’à fin mai 2012 pour les champs de « El baraka », « Maamoura » et « Sitep ».
Plus inquiétant, le système de facturation du gaz tunisien que société britannique impose à la STEG : « La société British Gas utilise lors du redémarrage de ses stations un gaz que lui fournit la STEG à diverses périodes de l’année en l’absence de tout document contractuel précisant les modalités de livraison du gaz et le prix appliqué. Au cours des deux années 2009-2010, « British-gas » s’est vue facturer 10916 t.e.p de gaz destiné à l’exploitation du champ de « Hasdrubal » pour un montant de 7,863MD », relève le même rapport de la Cour des comptes.
L’environnement passe à la trappe
L’opération transparence organisée par Monji Marzouk ministre de l’Energie et des mines n’est pas exempte de lignes rouges, non dits et autre opacités. La question de l’environnement est un autre maillon faible de l’opération communication du ministère.
Interrogé par Nawaat sur l’absence des études d’impacts environnementaux sur le site Opendata, Ridha Bouzouada, directeur général de l’énergie au sein du ministère de l’Energie et des mines affirme que « ces études ne nous concernent pas, elles concernent l’environnement. Ce sont des études ponctuelles qui portent sur le forage d’un puits par exemple, et prennent fin avec la fin du forage ».
Mais le même Ridha Bouzouada a fourni toute une autre réponse à la même question durant la même conférence. Il a affirmé que le Code des hydrocarbures de 1999 oblige tous les opérateurs de fournir des études d’impacts environnementaux à la direction générale de l’Energie et à l’Agence nationale de la protection de l’environnement (ANPE) sous peine d’être privés des permis.
Ce même code insiste dans son article 47 que le plan de développement d’une concession d’exploitation doit inclure « une étude des mesures de sécurité à prendre pour la protection du personnel, des installations, de la population et de l’Environnement, notamment contre les explosions et les incendies, conformément à la législation tunisienne applicable en la matière et, à défaut, aux saines pratiques de l’industrie du pétrole et du gaz ».
Dans une évaluation du secteur des hydrocarbures national effectuée en 2014, le Natural Resource Gouvernance Institute – NGO spécialiste du monitoring des industries extractives dans plus de 60 pays- a déploré la non-publication des « Evaluations des impacts environnementaux et sociaux ». Cette dissimulation a valu alors à la Tunisie une note de 31/100 dans l’indice des pratiques de divulgation.
Il n’est pas clair si la question environnementale pâtit de la primauté de l’intérêt économique et industriel ou de la compartimentation entre les services du ministère de l’Energie et des mines et celui de l’Environnement. Mais la publication de ces documents permettrait une meilleure consécration des droits sociaux et environnementaux, d’autant plus que les dépassements perdurent et se répètent : émissions toxiques et phosphogypse de l’industrie des phosphates, torchage (ou brûlage) du gaz naturel sur les sites pétroliers du sud ou encore marée noire à Kerkennah.
Toutes les industries extractives ?
Contrairement à la direction générale de l’Energie qui a publié les contrats pétroliers dont elle dispose, la direction générale de Mines n’a pas divulgué les permis de recherche et les concessions d’exploitation minière. Le gouvernement a annoncé en février 2016 sa volonté d’adhérer à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). L’ITIE est une organisation internationale chargée de maintenir à jour et superviser la mise en œuvre de la norme de la transparence ITIE. Dans son 11ème point, la norme statue : « Nous sommes d’avis que la divulgation des paiements dans un pays donné devrait impliquer toutes les entreprises extractives présentes dans ce pays. »
Touts les titres des compagnies minières, des plus médiatisées comme Cotusal et la Compagnie des Phosphates de Gafsa aux plus discrètes, devront donc être mis en ligne sur la plateforme Opendata si le gouvernement veut se mettre en conformité avec la norme ITIE.
Des articles comme celui-ci nous facilitent l’accès à l’information.. Oui, la compartimentation entre les services dans toutes les ministères, n’est pas qu’une affaire des services, mais profondément politique, c’est une culture qui profite à la malhonnêteté et pour échapper au contrôle. Surtout dans nos pays -comme la Tunisie, et les autres pays africains, c’est une pratique du système qui profite au pouvoir local, à sa bureaucratie, et aussi aux entreprises étrangères -ces multinationales qui spolient les richesses-, et aux gouvernements européens nommés démocratiques. La transparence est un combat, mais prendre les impactes de tout projet d’une manière global (dans le cadre d’un projet de société, plus juste, plus écologique,…), c’est une nouvelle culture que nous devons épouser, pour le bien de nous tous. Le fait que les majorités changent d’une élection à l’autre, d’une période à l’autre ça pousse les administrations, les services des collectivités, de l’état et des entreprises même privées à être plus transparentes, améliorer leurs vision et leurs approches, leurs cultures de faire et de prendre les choses globalement avec les précautions utiles et nécessaires.. Mais on pourra dire que même dans les pays démocratiques le système est très fort et il faut être agile et ne pas trop bousculer .. la chance en Tunisie , que nous sommes passés par un choc (une révolution), peut-être ça atteindra positivement les consciences ; Et c’est aussi à travers un journalisme indépendant, militant, intègre, qu’on pourra avancer, en tout cas je l’espère. Vive la démocratie.