mufti-ramadhan-tunisie

Tous les soirs de ramadan, à 19h30, la Watania 1 consacre une émission d’une durée allant de 6 à 8 minutes au Mufti de la République, Othman Battikh (Voir tous les numéros). Assis, il a le regard évasif. Debout, il a les pas lourds. Son ton est toujours hésitant, au point d’avoir la voix tremblante. Et parfois, les mains aussi. Parlant en arabe classique, il multiplie les fautes grammaticales et les approximations linguistiques. Il est également desservi par une mise en scène inappropriée. Tournées à la Mosquée Zitouna, les prêches se font à l’intérieur de la salle de prière ou dans la cour. Il est toujours seul dans une mosquée totalement vide. Une solitude qui renvoie le téléspectateur à deux sentiments. D’abord, l’isolement, vu la superficie de la mosquée dépeuplée de fidèles surtout que le réalisateur recourt abusivement aux plans larges. Ensuite, l’image exprime une certaine prééminence du Mufti comme s’il était le seul à avoir un mot à dire dans les sujets évoqués et comme s’il était le seul détenteur de la mosquée censée être accessible à tous.

Du Wahhabisme dans l’air !

Cherchant toujours à représenter une interprétation tolérante des préceptes de l’islam, le Mufti de la République a dérapé plusieurs fois en adoptant des positions plutôt proches de celles d’un fondamentalisme nongratta. Dès le premier numéro, Othman Battikh a jugé utile de considérer certaines batailles[1] en tant qu’événements qui donnent sens au mois saint. Le grand dérapage suivra dans le quatrième numéro consacré à « la notion de djihad en islam ». Le Mufti définit le djihad comme étant « l’effort physique et mental fourni dans les batailles et autres activités. Il y a le djihad en guerre et le djihad de soi ou au travail ». Pour tempérer son propos et après un argumentaire historique basé sur la sira du prophète lors de ses batailles contre la tribu de Quraych, il conclut d’une manière expéditive : « Donc, le djihad en islam est l’auto-défense ».

Si on croit bien le Mufti, l’action de Daesh est légitime puisqu’ils se défendent de l’oppression d’un régime autoritaire, dans le cas syrien, et de pouvoirs mis en place suite à une invasion américaine dans le cas irakien. Très tolérant M. Battikh, très modérée, son interprétation de l’islam ! Serait-ce anecdotique ? Pas vraiment. Revenant sur la Grande Razzia de Badr, il parle de « moudjahid » contre des « mouqatel », glorifiant ainsi, d’une certaine manière, le statut des combattants des guerres saintes. Pire : Lors du treizième numéro de l’émission consacré à la très polémique « Ordonnance du bien et interdiction du mal », il essaye de répondre à la question de savoir quelle est l’autorité légitime à qui revient l’exercice de cette fonction. Il n’hésite pas à conclure : « Celui qui détient le pouvoir est celui qui ordonne le bien et interdit le mal ». Qui a dit que les Saoud et autres monarchies arabes moyenâgeuses sont les seuls à le penser ?!

Revendiquer l’emploi, « c’est nocif »

A part les dérapages fondamentalistes et admirateurs des guerres saintes, le Mufti de la République a jugé utile d’instrumentaliser la religion au service de la vision sociale et économique du pouvoir. Le douzième numéro de l’émission a eu pour sujet la différence entre les notions de deux termes aux fortes ressemblances phonétiques : « Al-Tawakkul » (faire confiance à Dieu et compter sur lui) et « Al-Tawakol » (la dépendance voulu d’autrui). « Une invitation à nos enfants et à tous les gens pour qu’ils cherchent du travail sans compter sur autrui et qu’ils ne disent pas « nous ne pouvons pas travailler, il faut qu’on nous aide ». C’est Dieu, le tout-puissant, qui peut vous aider à subvenir à vos besoins, à gagner votre vie et à trouver de l’emploi », lance le Mufti. Une opinion qui semble l’obséder puisqu’il a tenu à exprimer sa position de certaines contestations sociales revendiquant l’emploi dans le cinquième numéro de l’émission. « Nos jeunes, s’ils ne trouvent pas du travail dans les établissements de l’Etat ou les entreprises privées, ils doivent compter sur eux-mêmes. Couper les routes et empêcher autrui de travailler, ça n’a rien d’un acte vertueux. C’est nocif », avertit le Mufti. Lui aussi s’inscrit dans la diabolisation des mouvements sociaux en citant seulement leurs formes les plus controversées et en invitant les jeunes à « compter sur eux-mêmes ». Finalement, Othman Battikh se veut, non seulement imam mais aussi historien, économiste et sociologue, alors qu’il n’est en réalité, qu’un mufti en errance.

[1] Othman Battikh utilise les mots ghazoua (razzia) et foutouhat (conquêtes).